Anorexie, boulimie, compulsions alimentaires : l'association peut vous aider à voir les choses Autrement

Anorexie mentale et boulimie
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Insécurité et troubles du comportement alimentaire


M. Jean-Michel HUET - Psychanalyste

1. Insécurité, anorexie mentale et boulimie

Le sentiment d'insécurité : Le sentiment d'insécurité est sûrement une des caractéristiques des malades qui souffrent de troubles du comportement alimentaire (TCA), en particulier d’anorexie mentale ou de boulimie. Les malades n’ont pas confiance : elles doutent des autres et d’elles-mêmes et se sentent menacées.

Le sentiment d'insécurité de ces malades s’appuie sur un danger fictif, imaginaire et non réel. Cette menace, confuse, serait liée au fait que le monde, hostile, les juge.

Définition : De façon générale, le sentiment d'insécurité repose sur la perception d’une peur que la personne ne s’explique pas ou ne contrôle pas. Ce sentiment de peur est en rapport avec une idée de danger, de menace. Cette peur vient, dans les troubles du comportement alimentaire comme ailleurs, d’une intolérance voire d’une aversion au risque ou à ce que l’on croit être un risque. Il n’est pas supportable qu’il y ait un risque. Le sentiment d'insécurité vient aussi d’une résistance au changement. Globalement, on peut identifier plusieurs raisons au sentiment d'insécurité :

  • La peur d’être agressé ou d’être blessé,
  • La peur de mourir,
  • La peur d’être envahi ou jugé par autrui,
  • La peur d’être nié,
  • La peur d’être abandonné,
  • La peur du jugement de l’autre,
  • La peur du changement et du futur.

Tout devrait rester comme « avant », par exemple il faudrait revenir au temps de l’enfance imaginée que les malades se sont construite. Les éléments perçus comme angoissants peuvent varier d'une période à l'autre, mais le sentiment, lui, est constant. Ce sentiment d'insécurité empêche d’avancer, de progresser, d’imaginer même l’avenir. Le futur est vécu comme forcément angoissant : « on ne sait jamais ce qui peut arriver ».

Ce sentiment d'insécurité, en cas de trouble alimentaire, repose sur une angoisse profonde. Le malade se sent d’autant plus insécure qu’il doute de lui-même. L’anorexie et la pensée anorexique de la personne boulimique sont en fait mises en place pour lutter contre ce sentiment d'insécurité. On peut dire que, tel un dictateur, l’anorexie joue sur ces peurs. Ceci permet à la personne de s'assurer un pouvoir qu’elle n’a plus sur elle-même : le sentiment d’insécurité génère des peurs immotivées que la pensée de maigrir et de « faire régime » combat.

2. Derrière le sentiment d'insécurité, qu’y a-t-il ?

Dans ce sentiment d'insécurité, il y a quelque chose de l’ordre de la peur de l’autre. Ou peut-être seulement le sentiment perpétuel d’être jugé ? La personne sent peser sur elle le poids de ce jugement. C’est ce jugement qui la met en insécurité. Comment se sentir en confiance, serein, alors que tout le monde vous juge ? Dans le travail que l’on fait avec les malades, la question de l’autre doit être au cœur du sujet : l’autre est-il vraiment menaçant, inquiétant en ceci qu’il vous juge obligatoirement ? Il faut apprendre aux malades que, la plupart du temps, l’autre ne vous juge pas : il n’en a peut-être pas tant à faire que ça !

Être jugé n’est pas un drame, seulement le point de vue d’un autre qui est différent du sien. Il faut travailler aussi sur le fait qu’être jugé est une fatalité, mais que personne n’en meure. Il y aura toujours des gens qui vous jugent. C’est vrai, donc il faut apprendre que c’est incontournable mais absolument pas dramatique. Même le Président de la République ne fait pas l’unanimité. Même les puissants, lorsqu’ils sont en faute, sont jugés par les petits. Mais les puissants ont appris à s’en moquer. Ils sont jugés tout le temps, par beaucoup de gens, mais ne s’en préoccupent pas ! Il en est ainsi même des grands sportifs. La plus grande gymnaste du monde, dès qu’elle perd, est jugée : « à sa place, j’aurais fait ceci ou cela ». Elle doit apprendre à ignorer ces propos négatifs.

La malade, sans s’en rendre compte parfois, cherche d’où peut lui venir ce sentiment d'insécurité. Elle pense à un moment donné qu’il y a dans l’alimentation la raison à cette angoisse de choses qui lui échappent. En effet, les médias insistent beaucoup sur l’idée que notre alimentation n’est pas saine, qu’elle représente des risques pour la santé : salmonellose, grippe aviaire, vache folle et, tout récemment, la bactérie « tueuse » des concombres.
De plus, tout le monde sait que l’alimentation véhicule des dangers chroniques bien plus graves : accidents cardiaques et vasculaires cérébraux, cancers, diabète. La mauvaise graisse tue, la graisse tout court tue, les calories finissent par tuer, à force de vous rendre obèses. Rien de sécurisant dans notre alimentation : trop de choix, trop d’offres et en trop grosse quantité. Les malades en puissance se disent que ce n’est pas sain, toute cette alimentation. Nous ne serions pas en sécurité face à ces aliments qui véhiculent une dangerosité cachée : il faudrait reprendre le contrôle de ce que nous mangeons.

Il y a là un vieux principe conversationniste : rien de meilleur que le lait de la vache de mon voisin, rien de plus sûr que la bonne santé de l’agneau de mon cousin. En revanche, les multinationales, elles, sont susceptibles de nous empoisonner, avec leurs aliments qui viennent de nulle part. En fait, les multinationales de l’agroalimentaire sont soumises à des contrôles bien plus fréquents et bien plus approfondis que ceux qui sont faits chez les éleveurs et les cultivateurs ayant de petites exploitations.

Ce principe conversationniste est en fait en rapport avec notre angoisse face au changement. Les malades qui souffrent d’anorexie mentale ou de boulimie ont cette pensée obsédante en tête : rien de mieux que ce qui ne change pas. Cette pensée leur donne envie de retourner au monde de l’enfance, aux peluches, à l’« innocence ». « Dans ce temps là », il y avait du bonheur : les choses étaient claires, bien quadrillées entre le CM2 avec ses devoirs bien notés, l’instituteur attentif à vous faire progresser et les devoirs à faire chez soi, la chambre bien rangée et les compliments des parents pour vos très bonnes notes ! Le monde des adultes est bien différent : rien n’y est sûr et ce n’est pas parce qu’on y est perfectionniste au travail qu’on obtient un CDI justement. Vous ne comptez plus guère, seule l’entreprise a de l’importance.

C’est ce sentiment d'insécurité qui pousse les malades à rester dans leur chambre plutôt qu’à sortir avec leurs copains ou copines.

C’est ce sentiment d'insécurité qui amènent les malades à rester dans leur chambre d’hôpital, plutôt qu’à se confronter à la vraie vie. Si on arrive si facilement à les enfermer, à leur proposer un « contrat de poids avec isolement », c’est parce qu’elles (ils) se sentent bien entre les 4 murs du service hospitalier.

C’est ce sentiment d'insécurité qui conduit bien des malades à restreidre le champ de ce qu’elles (ils) mangent : plus les malades se sentent en insécurité et plus ils écartent d’aliments : « ça me rassure » disent-ils de manger toujours la même chose.
C’est ce sentiment d'insécurité qui fait que l’imprévu leur fait peur, au lieu d’être accueilli avec joie.

3. Prise en charge

3.1. La peur d’être agressé ou d’être blessé

La malade qui souffre d’anorexie ou de boulimie a peur que son intégrité soit menacée. N’est-il pas alors curieux qu’elle (il) y attente justement : rien de plus dangereux que l’anorexie qui s’attaque aux muscles, à l’os et qui délabre le corps entier. Il n’y a pas de sécurité dans un corps qui souffre de trouble alimentaire, quand on vomit plusieurs fois par jour et où le trouble alimentaire vous met dans un état de grande faiblesse, de grande fragilité. Au point que bien des gens pourraient avoir envie de l’agresser.

3.2. La peur de mourir

Cette peur n’est pas absente des pensées des malades, alors même que l’anorexie la rapproche à grands pas. Guérir, c’est devenir adulte, trouver la richesse de ce monde où tout finit, mais où chaque chose, par sa vie même, se multiplie et perdure. La fleur est éphémère : est-ce une raison pour ne pas vouloir de fleurs ?

3.3. La peur d’être envahi ou jugé par autrui

Rien n’est plus subtil. Une pensée sous-marine qui vous envahit, vous saisit d’effroi. « Je serai jugée, si je me bats contre mon anorexie et que j’échoue ». Répondons aux malades que, justement : « A vaincre sans péril, on triomphe sans gloire » (Corneille, « Le Cid »). Il faut leur dire aussi que, si l’on se bat, on a des chances de gagner, alors que, si on ne se bat pas, on n’a qu’une certitude : celle de perdre. On peut leur rappeler qu’on en est tous au même point, que cette peur de perdre fait partie de l’âme humaine et qu’elle n’est pas un signe de faiblesse. Enfin, il faut leur dire qu’en général, ce n’est pas parce que les choses sont difficiles que nous n’osons pas, mais bien parce que nous n’osons pas qu’elles deviennent difficiles (Sénèque) ! Cette citation doit faire réfléchir nos malades sur leur manière d’agir, de vivre, et même de penser : c’est la « pensée négative » qu’il faut combattre. Pourquoi dire que tel but est inaccessible ? Pourquoi ne pas profiter de chaque instant de la vie, pourquoi ne pas viser des buts à court terme, faciles, pour atteindre ensuite d’autres objectifs, plus lointains ? Il faut oser tout de suite, ça fait gagner du temps. Il ne faut pas se poser toutes ces questions qui n’ont pas de réponses. Ne jamais se dire que l’on n’est pas assez fort, compétent, intelligent, doué pour réussir quelque chose. Allons au bout des choses, avec optimisme.

3.4. La peur d’être nié

Si je m’en vais, on m’oublie. Mais la vie témoigne toujours du contraire. L’absence rend l’amour plus fort, le sentiment plus aigu. Pour s’aimer, il faut se quitter (au moins chaque jour pour aller travailler !). Seules l’anorexie et la boulimie vous nie.

3.5. La peur d’être abandonné

Paradoxe encore que ces maladies où l’on a peur d’être abandonnée et où la maladie vous isole de plus en plus, et vous pousse à vous éloigner des autres. Il faut au contraire se rapprocher des autres, leur montrer qu’on existe, qu’on se bat, qu’on croit en quelques choses pour aller de l’avant.

3.6. La peur du jugement de l’autre

Nous ne sommes pas tant jugés que ça : seuls les puissants le sont. Ceux qui nous aiment sont souvent sensibles à nos émotions, à nos doutes. Quand une personne nous dit « tu devrais faire ceci », elle ne nous juge pas, elle nous conseille. Elle a le droit d’être d’un autre avis que le notre sans pour autant que l’on doute de son affection.

3.7. La peur du changement et du futur

Nous ne sommes pas menacés par le futur. Le futur, l’inconnu sont aussi la richesse d’une vie. La joie d’une rencontre inopinée, d’une amie qu’on n’avait pas vue depuis longtemps, d’un travail qu’on n’attendait pas. Il faut redire ici une vérité de La Palice : « une bouteille à moitié vide est aussi une bouteille à moitié pleine » ! C’est l’angle de vue qui change tout simplement, mais c’est crucial. Il faut apprendre aux malades à répliquer, quand leur cerveau leur dit qu’on ne peut rien attendre de bon de l’avenir, « mais c’est l’anorexie, la boulimie qui te fait dire ça. En fait, il reste tant de choses à vivre ! »

4. Conclusion

Pour conclure, je dirais que le sentiment d’insécurité est une pensée erronée. C’est un point de vue qui s’avère, avec l’expérience, faux. Il ne faut pas s’arrêter sur ce sentiment qui nous pourrit la vie. Il vaut bien mieux se « mettre en danger et faire face à l’inconnu », car il en reste toujours quelque chose de positif à vivre sa vie, ne serait-ce que le combat qui a été mené !

Publié en 2011