Les médias sont souvent accusés de favoriser, par l’image du corps qu’ils véhiculent, un besoin de minceur et des anomalies du comportement alimentaire, voire même des troubles du comportement alimentaire (TCA). En fait, jusqu’à présent, les différents magazines de mode et la presse dite féminine qui centrent leur publication autour du corps et du vêtement féminin arguaient du fait que « rien n’était prouvé scientifiquement », pour continuer à valoriser un « idéal minceur ».
Il est important de rappeler que, physiologiquement, peu de femmes sont à même de pouvoir atteindre et maintenir de tels poids sans tomber dans des comportements de maintien du poids dommageables pour la santé. On peut estimer ainsi à 1 à 2 % des adolescentes et à 2 à 4 % des femmes de 35-45 ans celles qui peuvent maintenir un poids juste inférieur à la normale pour la population française. Rappelons que ce poids minimal est fonction de la taille corporelle, selon la formule dite de l’indice de masse corporelle : IMC = 18,5 kg/(m)2 pour une adulte (soit par exemple 53 kg pour 1,70 m ou 49 kg pour 1,64 m).
Mais qu’appelle-t-on « comportements de maintien du poids dommageables pour la santé » ? La définition est en fait médicale. Il s’agit de comportements, alimentaires ou non alimentaires, qui exposent à un risque accru d’incidents ou d’accidents de santé.
On connaît le risque de fréquents vomissements provoqués (plusieurs par semaine jusqu’à plusieurs par jour) dans le but de perdre du poids : atteintes des dents et des gencives, déminéralisation osseuse, troubles des règles, vomissements sanglants, déficit en potassium et en minéraux indispensables au bon fonctionnement cardiaque, et enfin risque de boulimie (puisqu’on peut vomir !) ;
La prise abusive de laxatifs dans le but de maigrir peut aussi entraîner un déficit en minéraux, des altérations des fonctions du gros intestin et une déshydratation, notamment lorsqu’il fait chaud (coups de pompe, malaises) ;
La pratique incessante de régimes hypocaloriques très sévères et trop rigides, voire de diètes protéiques, sans contrôle médical, expose à des carences nutritionnelles, mais surtout à la survenue de crises de compulsions alimentaires incoercibles, voire de crises de boulimie (crise compulsive avec vomissements et besoin féroce de contrôle du poids) ;
La prise sans contrôle de médicaments, potions ou préparations « pour maigrir » expose à des accidents de type allergique, à des intolérances physiques ou psychiques pas toujours prévisibles. Des cas d’hépatites graves ont ainsi été décrits ;
Enfin, la pratique d’activités sportives à outrance peut être responsable d’atteintes des articulations (entorses) et de malaises.
Depuis 1999, un certain nombre de publications scientifiques très sérieuses à la méthodologie irréprochable, viennent confirmer ce que l’on craignait : oui, les médias de masse ont bien une influence négative sur le comportement alimentaire de leurs lecteurs. Nous parlons ici des médias hebdomadaires et mensuels qui basent leur discours autour d'une image "idéale", très mince, du corps féminin, d'émissions de télévision centrées sur ce même concept de « forme physique contre les formes corporelles ».
En 1999, Field et coll (1) publient un travail sur l’influence des médias sur l’image du corps, le besoin de perdre du poids et les manœuvres pour perdre du poids, par rapport à la lecture de ces magazines. Ils étudient 548 filles de 10 à 17 ans aux USA et montrent que la lecture régulière de cette presse féminine « centrée sur l’image de minceur » influence 67 % des filles et que 47 % disent avoir voulu perdre du poids à la lecture de ces magazines, alors que seulement 16 % en avaient besoin. Chez ces filles, existait une relation entre la lecture de cette presse et des « comportements de maintien du poids dommageables pour la santé » : les filles qui les lisaient le plus étaient celles qui avaient le plus souvent suppression de repas, restriction alimentaire excessive, hyperactivité physique et besoin de perdre du poids. Ainsi, celles qui les lisaient le plus fréquemment étaient 2 fois à vouloir perdre du poids et 3 fois plus à bouger pour maigrir, alors qu’elles n’en avaient pas besoin, que celles qui ne les lisaient pas. Elles pensaient aussi plus souvent qu’un corps mince est indispensable à la « forme ».
Une autre étude de ces auteurs (2) aux USA a porté sur 6.982 filles de 9 à 14 ans suivies un an. Après un an, 74 d’entre elles (1 %) souffraient d’un abus de laxatifs ou vomissaient plusieurs fois par semaine pour maigrir. Le fait d’être pubères et le fait de lire régulièrement des articles de la presse féminine « sur la minceur » étaient les deux facteurs qui permettaient de prédire le mieux ces vomissements et abus de laxatifs (risque multiplié par 1,8 et 2,3 respectivement). La fréquence de ces comportements anormaux était multipliée par 30 à 40 % à chaque tranche de fréquence de lecture (jamais, parfois, souvent, en règle, tout le temps).
Le même groupe (3) a étudié l’influence des parents et des pairs sur les mises au régime hypocalorique et sur les jeûnes de 1 à 3 jours chez 6.770 filles et 5.287 garçons de 9 à 14 ans. Le suivi était de 12 mois. En 1 an, 6 % des filles et 2 % des garçons étaient très souvent au régime pour maigrir ; 2 % des filles et 1 % des garçons était sans arrêt au régime hypocalorique. L’image et les propos du père sur la minceur était un facteur qui jouait un rôle certain. Mais surtout, c’étaient les médias qui jouaient le rôle le plus fort, augmentant par deux chez les garçons et par trois chez les filles le besoin d’être très mince et de faire un régime pour ressembler aux images vues sur les photos de ces magazines. En revanche, l’avis des pairs n’avait pas d’influence. Les résultats concernant l’influence des magazines sur l’image corporelle de minceur excessive et sur les régimes n’étaient pas le seul fait des adolescents qui avaient réellement du poids ou des plus âgées. Il s’observait aussi chez les filles plus jeunes (9-11 ans) et chez les filles et garçons minces.
En 2005, les mêmes chercheurs ont étudié 6.212 filles et 4.237 garçons de 12 à 18 ans pour savoir s’il existait un lien entre la prise de substances prohibées et/ou dopantes « pour avoir la bonne silhouette » (minceur chez la fille, musclée chez le garçon) et la lecture de ce type d’article de presse. Les auteurs ont trouvé que la prise de produits protéiques, d’hormones, de créatinine, d’amino-acides, d’hormone de croissance ou d’anabolisants une à plusieurs fois par semaine concernait 4,7 % des garçons et 1,6 % des filles. Celles et ceux qui lisaient le type d’articles de presse ci-dessus avaient un risque de vouloir maigrir à tout prix deux fois plus élevé et prenaient deux fois (garçons) ou trois fois (filles) plus ce type de produits « dopants que celles et ceux qui ne lisaient pas ces articles. Ce comportement était-il associé à des comportements adaptés pour être plus minces (moins regarder la télévision ou moins manger de sucreries) ? Malheureusement non !
Tavera et coll (5) ont réalisé en 2004 une étude chez 11.606 garçons et filles de 9 à 16 ans sur la relation entre la lecture de ces magazines « sur la forme » et l’activité physique effectuée dans le seul but de maigrir. Les auteurs ont trouvé une nette relation entre ces lectures, lorsqu’elles étaient fréquentes (plusieurs fois par mois) et l’excès d’activité physique : 46 % des filles et 27 % des garçons disaient avoir une activité physique seulement pour ressembler à ces images médiatiques (mannequins, stars).
L’étude très récente de Van den Berg, toujours aux USA, aboutit aux mêmes résultats (6) : ils ont étudié 2.516 garçons et filles âgés de 10 à 17 ans. Ils les ont suivi 5 ans, et c’est en ceci que leur étude apporte du nouveau. Ils ont retrouvé une relation très nette entre la fréquence de lecture de cette presse et le besoin de maigrir, le suivi de régime pour maigrir, la pratique de techniques pour maigrir et surtout la pratique régulière de comportements nocifs pour la santé : vomissements, abus de laxatifs, jeûne prolongé, tabac. Celles qui lisaient ces articles avaient 3 fois plus souvent de fréquents vomissements provoqués ou d’abus de laxatifs pour maigrir et deux fois plus de jeûnes, de sauts de repas fréquents que les filles qui ne lisaient pas ces articles de presse. Ces relations n’étaient pas observées chez les garçons.
La lecture fréquente de cette presse « minceur » ou plus généralement « silhouette » est donc significativement associée à un excès d’estime portée par la silhouette et par un poids corporel tirant vers la maigreur.
Ceci est surtout vrai chez les filles, beaucoup moins chez les garçons. Il se pourrait que la période de la vie concernée soit l’adolescence avant tout, mais nous manquons de données à cet égard. En effet, c’est à cette période de la vie, entre 10 et 20 ans, que filles et garçons sont les plus soucieux de leur image, notamment extérieure (image corporelle) et sont le plus à même de « copier » les modèles ambiants valorisés par les médias. Cette angoisse de n’être « pas assez mince pour plaire » est peut-être un moyen d’exprimer une angoisse sous-jacente. Cette angoisse, en première analyse, pourrait être une angoisse de la sexualité naissante, mais aussi une angoisse plus générale.
Cette pensée, parfois obsédante, de n’être pas assez mince s’accompagne malheureusement d’une augmentation significative de la fréquence de comportements alimentaires ou non alimentaires anormaux néfastes pour la santé. Parmi ces comportements, on relève notamment vomissements provoqués, abus de laxatifs et jeûne prolongé, tous comportements et pensées qui peuvent pousser aux troubles du comportement alimentaire. Je ne parle pas ici du risque de développer une anorexie mentale, maladie rare (sans doute 2 % des femmes de 15 à 35 ans) caractérisée par une extrême maigreur, mais plutôt de comportements, alimentaires ou non, plus fréquents et nocifs, tels que l’anorexie-boulimie, la prise de laxatifs ou de « pilules pour maigrir » ou les vomissements provoqués induits par la peur de grossir.
Il est clair que prôner un idéal minceur sans partage, au contraire d’une diversité de silhouette, ne peut que favoriser, comme ces études le montrent bien, une image du corps dé-réelle, trop mince pour que la plupart des jeunes filles et femmes concernées puissent s’y conformer. Au demeurant, beaucoup de ces professionnels le savent bien, puisqu’ils retouchent systématiquement les photographies des mannequins pour obéir à une norme dont au demeurant personne n’est capable de dire, dans ces milieux, à quoi elle sert vraiment, sinon… à faire vendre !
Il est donc important que les médias et les professionnels de la mode prennent conscience de l’impact réel de ce qu’ils écrivent et montrent sur la pensée des adolescents, en particulier des filles qui sont surtout « la cible » de leurs articles et photographies. C’est grâce à une moralisation, peu douloureuse sans doute, que les efforts faits par les professionnels de santé pour prévenir les troubles du comportement alimentaire ne seront pas réduits à l’inutilité. Il est bien évident qu’il n’est pas de notre propos de nier aux personnes trop grosses le droit de maigrir, si c’est à bon escient et dans de bonnes mains. En effet, l’on sait la fréquence actuelle de l’obésité dans de nombreux pays. Il ne faut donc pas faire des régimes hypocaloriques les ennemis publics de demain. Mais il serait très utile de prendre conscience qu’au fond vouloir maigrir a un prix. Ce prix se paie dans un registre émotionnel et sensoriel dont on ne peut pas faire l’économie. Il est donc souhaitable que maigrir soit justifié, pour que ce risque soit pris.
Il est donc souhaitable que les médias prennent conscience de ceci et ne prônent plus un modèle de silhouette de maigreur (je ne parle pas ici d’anorexie mentale et de grande maigreur), mais plutôt de bonne forme.
1. Field AE, Cheung L, Wolf AM, Herzog DB, Gortmaker SL, Colditz GA. Exposure to the mass media and weight concerns among girls. Pediatrics 1999; 103(3):E36-39.
2. Field AE, Camargo CA Jr, Taylor CB, Berkey CS, Colditz GA. Relation of peer and media influences to the development of purging behaviors among preadolescent and adolescent girls. Arch Pediatr Adolesc Med 1999; 153(11):1184-9
3. Field AE, Camargo CA Jr, Taylor CB, Berkey CS, Roberts SB, Colditz GA. Peer, parent, and media influences on the development of weight concerns and frequent dieting among preadolescent and adolescent girls and boys. Pediatrics 2001; 107(1):54-60
4. Taveras EM, Rifas-Shiman SL, Field AE, Frazier AL, Colditz GA, Gillman MW. The influence of wanting to look like media figures on adolescent physical activity. J Adolesc Health 2004; 35(1):41-50
5. Field AE, Austin SB, Camargo CA Jr, Taylor CB, Striegel-Moore RH, Loud KJ, Colditz GA. Exposure to the mass media, body shape concerns, and use of supplements to improve weight and shape among male and female adolescents. Pediatrics2005; 116(2):e214-20
6. Van den Berg P, Neumark-Sztainer D, Hannan PJ, Haines J. Is dieting advice from magazines helpful or harmful? Five-year associations with weight-control behaviors and psychological outcomes in adolescents. Pediatrics 2007; 119(1):e30-7.
Publié en 2008