Dans trouble du comportement alimentaire, il y a le mot « trouble » : le trouble est le manifeste de cette peur. Physiologiquement la peur s’explique par une « pression » du cerveau. Le cerveau va chercher à gérer cette pression par une « action » : action de soulagement, de dérivation à cette peur. Concrètement c’est le besoin d’évitement de cette peur qui va renforcer boulimie, jeûne et hyperactivité. Malheureusement, en refusant d’affronter ses peurs, on oppose plus à la pression que la dépression, d’où la dépréciation de soi-même et les idées noires.
La peur. Elle était là sans doute bien avant la maladie pour certaines malades anorexiques ou boulimiques. Depuis très longtemps parfois. Si longtemps que vous diriez volontiers : « depuis toujours en fait » ! Mais la peur est surtout là pendant. Pendant cette maladie qui vous bouffe tout doucement.
La maladie sait bien l’exploiter, cette peur, dans une vision manichéenne, populiste en diable. Elle est là, omniprésente et vous auriez raison de l’écouter car tout est dangereux, à commencer par cette graisse qui vous rend monstrueuse, difforme, impossible à aimer. Vous seriez grosse, grosse de vos émotions et de votre besoin d’amour et l’on vous jugerait pour ça sans appel. Et vous qui atteignez parfois des « sommets de maigreur », vous auriez tellement peur de ne pas peser lourd dans cette vie, de ne pas avoir de poids pour changer les choses que vous en préféreriez maigrir encore, encore un peu plus chaque jour.
Car il y a cette peur de grossir ou de regrossir bien sûr. C’est d’ailleurs dans la définition de l’anorexie mentale. Dans la pensée de bien des malades boulimiques ! Peur de manger ou de faire une crise. Peur de ces frites, telle que même une seule dans la bouche et l’on croît étouffer ou s’empoisonner ! |
Mais ce ne sont pas les seules peurs au fond. Je dirais même que ce ne sont pas ces peurs alimentaires qui sont le « vrai moteur » de vos actes et de vos pensées. Il en est d’autres, bien plus ancrées.
Pour certaines d’entre vous, c’est la peur de ne pas savoir être une femme, la peur de l’avenir, de l’inconnu. Pour beaucoup, c’est la peur de ne pas arriver à guérir, à vivre, à aimer, à garder. Et peut-être aussi, au bout d’années d’emprise de la maladie, la peur d’avoir peur ! Peur de ce sentiment qui monte parfois en vous et que le jeûne, l’hyperactivité physique ou la crise de boulimie semblent repousser. Mais ils ne la repoussent pas très loin, non ?
Cette peur est communicative. Elle finit par faire peur aux autres, qui n’osent pas vous parler, vous dire que ça ne va pas si bien. Qui n’osent pas vous dire que seul un poids normal, un apport de matières grasses suffisant aux repas, un peu de tissu adipeux aux endroits où la nature l’a prévue vous iraient mieux que cette maladie dévoreuse de graisse et d’âme. Et qui dit que parfois, cette peur qui vous tenaille, est devenue une deuxième peau, une raison de vivre, un mode de pensée, un manifeste que vous vous refusez à enfoncer et détruire. Trop abîmée par cette peur que vous en êtes la servante !
Et pourquoi donc n’avez-vous pas peur des seuls effets, pervers et quasi constants, de ce trouble du comportement alimentaire qui vous habite : peur d’y perdre tous vos amis, d’y perdre vos frères et vos sœurs, lassés de ce comportement fou qu’ils comprennent mal, de perdre la seule vraie relation qui soit avec sa famille, ses parents : celle du dialogue et du partage, celle de l’échange et des mains qui se serrent. Pourquoi donc n’avez-vous pas peur de mourir, alors que la mort est la conclusion trop fréquente de votre anorexie mentale (par dénutrition) ou de votre boulimie (par suicide de dégoût de vous et de lassitude) ?
Il n’y a pas de raison d’avoir peur. Ayez plutôt peur que vote maladie ait raison de vous. En vous entraînant dans la spirale odieuse et dérisoire d’une mort annoncée. Et rappelez-vous ceci : il n‘y a pas dans votre cas de choses si difficiles à faire pour s’en sortir. Ce qui les rend difficiles, c’est votre peur !
Alors : et si vous essayiez ? Si vous tentiez de vous en sortir, si vous vous risquiez à faire confiance en vos thérapeutes, quand ils vous disent que le risque de devenir obèse est nul, alors que le risque de se pourrir la vie avec cette maladie est majeur.