Anorexie, boulimie, compulsions alimentaires : l'association peut vous aider à voir les choses Autrement

Anorexie mentale et boulimie
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Anorexie, tu nous mens !


Pr D. RIGAUD, Nutrition

 

L’anorexie mentale, c’est cette peur de manger parce qu’on se sent trop grosse. C’est une étrange maladie où les malades se sentent menacées par le surpoids, alors même qu’elles pèsent 36 kg et que leur vie est menacée. Elles ne voient que de la graisse, alors que leur corps est décharné !

Pourquoi ce paradoxe hallucinant ? Que se passe-t-il dans la tête des malades ?

Afin de rendre plus vivant ce texte, nous avons choisi de faire de l’anorexie une personne qui nous mentirait, une grande manipulatrice. Bien sûr, d’un point de vue neurobiologique, c’est un non-sens : l’anorexie est le produit d’un cerveau (celui de la malade) et ne lui « ment » pas. Il s’agit plutôt d’un mode de fonctionnement anormal.

ce que nous dit l'anorexie et en quoi ceci un mensonge ?

« Les gens préfèrent les gens minces »

C’est bien connu, les garçons préfèrent les filles minces. En fait, c’est un gros mensonge ! Ils disent qu’ils préfèrent les filles minces, mais on constate souvent, en fait, qu’ils deviennent amoureux des filles enrobées tout autant que des filles sveltes ! Bien sûr, certaines personnes font des réflexions sur les gros. Mais ces mêmes personnes font aussi des réflexions sur celles qui ont des oreilles décollées ou les cheveux roux. Dans la vraie vie, au contact des vrais gens (en tout cas celles et ceux qui ont de l’humanité, qui vous méritent), le poids importe peu.

« Les gens m’aimeront plus, si je suis mince »

Dans l’anorexie mentale, la pensée qu’on est nulle, que les gens ne peuvent pas nous aimer telle qu’on est, est souvent présente. On cherche un coupable et l’anorexie nous susurre alors que « c’est à cause de ton poids que les gens te trouvent nulle ». En fait, les gens ne nous trouvent pas nulle et notre pensée d’être nulle vient d’autre chose, pas du poids qu’on pèse.

Je dirais même pire : pendant l’anorexie, les gens nous aiment moins, car l’anorexie fait barrage entre eux et nous. D’une part, ils ne nous voient plus, d’autre part, nous-mêmes, nous refusons le contact, nous nous excluons (toujours cette maudite peur d’être jugée !).

« Maigrir m’apporte la satisfaction du travail accompli »

Mais quel travail ?? Ce travail ressemble en fait au travail qu’a fait cet ingénieur anglais capturé par l’armée japonaise pour construire un pont sur une rivière, pont qui allait permettre aux japonais d’attaquer les positions anglaises (« Le pont de la rivière Kwaï »). C’est un travail qui nuit à tout le monde. C’est un travail vain, parfaitement inutile et qui est un non-sens d’un point de vue philosophique : maigrir pour quel projet humain ? Quels bénéfices suis-je sensée en tirer ? Quels « plus » apporte-je à la société, à mes amis, à mes proches ? En quoi suis-je plus utile qu’avant ?

Si ce projet apportait la sérénité et la satisfaction, on pourrait comprendre. Mais non, il n’apporte rien de tel. Depuis 30 ans que nous écoutons les malades souffrant d’anorexie, nous voyons bien que c’est pire, que les malades se trouvent toujours aussi nulles, aussi inutiles, aussi décalées, aussi peu aimables ! Et continuer à perdre du poids, manifestement n’arrange rien, au contraire, dans leur esprit.

« Faire régime m’apporte le sentiment de contrôle et de maîtrise »

Oui, au début, c’est bien ceci qui se met en place. La malade a le sentiment qu’elle contrôle, qu’elle a la maîtrise sur elle-même, sur son comportement alimentaire… sur quelque chose. Et comme elle pense depuis longtemps qu’elle est incapable de quoi que ce soit, ce sentiment d’avoir le contrôle lui fait du bien. Sauf qu’il s’avère vite faux. Cette sensation de maîtrise ne dure qu’un temps. Ensuite, ça se gâte vraiment. On ne contrôle plus rien : on est incapable de manger, incapable de se faire plaisir (même pour des choses qui ne sont pas alimentaires), incapable de partager quoi que ce soit avec ses copines, ses amies et amis, son père et sa mère. En fait, c’est la peur qui contrôle. On est de plus en plus angoissée, de plus en plus triste voire dépressive. On a de plus en plus de mal à dormir. On doit bouger, brûler des calories. Bref, ça nous échappe. Et le pire, pour une moitié des malades, c’est que la boulimie s’installe, dans les deux à trois premières années de la maladie : crises alimentaires hallucinantes et vomissements provoqués. Tout ce qu’elle déteste, tout ce dont elles avaient peur.

« Être maigre me rend plus puissant, plus pertinent »

Au début, on flotte sur son petit  nuage. Il y a une vraie satisfaction, voire même un certain plaisir physique à maigrir. On se sent objectivement mieux, surtout si on était un peu en surpoids. Les gens vous admirent. Mais ça ne dure pas. En 30 ans, je n’ai pas rencontré plus de trois malades qui disaient, pesant 40 kg : « c’est super, tout va bien, je me sens parfaitement heureuse, je fais plein de choses que je ne faisais pas avant. J’ai plein d’amis et je m’éclate ».

« Les gens ne me jugeront plus, si je suis très maigre »

Quand on a 10 kilos à perdre, parce qu’on est vraiment trop grosse, les copines, au début, vous admirent. Puis elles s’en foutent, car notre côte d’amour auprès des autres n’est jamais fonction du poids qu’on pèse !

Quand on n’a pas d’excès de poids, au mieux, les copines ne comprennent pas.

Quand on est déjà minces ou maigres, les gens vous jugent. Vous ne sortez plus et ils vous jugent. Vous ne riez plus, et ils vous jugent.

« Je ne suis pas malade, puisque je peux courir et me dépenser »

Dans l’anorexie, plus on court et moins on mange… et moins on mange, plus on court ! Les chercheurs ont même pu reproduire ce phénomène chez le rat. Des mécanismes archaïques sont en jeu.

Le problème, c’est que courir de façon compulsive, sans pouvoir s’en empêcher, alors même qu’il faudrait faire autre chose n’est pas le signe d’une bonne santé mentale. Courir, marcher vite, monter des escaliers sans arrêt, certes, mais pour quel but ? Que penseriez-vous d’une copine qui apprendrait le bottin par cœur, alors qu’elle n’étudierait pas sa géographie ou son français pour le bac ?

« L’anorexie, c’est un appel au secours et mes proches vont l’entendre »

Oui, ils vont entendre quelque chose, mais ils ne sauront pas quoi. Un peu comme quelqu’un que vous entendriez de loin hurler en japonais. Il a l’air de vouloir dire quelque chose, mais quoi ? Ce sont des mots qu’il vous faut, et de l’émotion, pour attirer et surtout capter l’attention des gens. Il vaut mieux dire « je ne vais pas bien » que maigrir en pensant que les autres vont voir pourquoi vous n’allez pas bien.

« Je m’en fous des autres, seul ce que je pense compte. C’est pour moi que je maigris »

J’ai beaucoup entendu cette phrase. Mais elle n’a aucun sens. Sur une île déserte, à quoi bon maigrir ou grossir, sinon pour des raisons de santé. S’il n’y a personne pour regarder, pourquoi peser 10 kilos de moins (ou de plus) ? Avouez-le : maigrir, au fond, répond à un besoin inconscient d’être aimée plus, d’être désirée. La société nous a mis cette pensée dans la tête, mais l’idée est bien d’être admirée par les autres.

Parfois, il y a vraiment, dans l’anorexie, le besoin de disparaître. Mais en fait, on ne disparaît pas : cette maigreur qui inquiète celles et ceux qui vous aiment vous rend plus visible, mais dans le mauvais sens du terme : on ne voit qu’une maladie, ou tout au plus une personne malade et vous, on ne vous voit plus.

Quels mécanismes sont en jeu pour expliquer ce mensonge ?

Des mécanismes subtils et encore mal connus font que le cerveau est trompé par l’anorexie mentale. Le jeûne que l’on s’impose fait fabriquer au cerveau des neuromédiateurs qui le trompent sur ses capacités réelles. Un peu comme ce qu’on voit dans les courses de fond. Au bout d’un certain temps en effet, le cerveau sécrète de la béta-endorphine, une hormone qui leurre le cerveau en lui donnant une sensation de bien-être (ou de diminution du mal-être). La malade anorexique est « comme sur un petit nuage », elle plane, comme « dopée par la morphine sécrétée par le cerveau » en réponse au jeûne et à l’hyperactivité physique.

Parallèlement, le jeûne et l’hyperactivité physique font sécréter de la dopamine et de la sérotonine, deux « hormones réputées pour leur fonction « dopante » (elles excitent le cerveau), mais connues aussi pour leur fonction anorexigène (elles diminuent la faim).

Les personnes qui manquent de « vrai projet » et qui sont de nature angoissée et perfectionniste tente de s’en fabriquer un, inconsciemment. Et une fois qu’elles ont un projet auquel elles croient, elles s’y tiennent (elles sont têtues et « jusqu’au-boutistes ») et ne veulent plus le lâcher… Même si elles sentent qu’elles ont tord !