Anorexie, boulimie, compulsions alimentaires : l'association peut vous aider à voir les choses Autrement

Anorexie mentale et boulimie
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Anorexie mentale : facteurs génétiques


Il peut paraître étrange d'évoquer le rôle de la génétique face à une maladie comme l'anorexie mentale. Ce trouble alimentaire est psychique, c'est évident (sic) ! C'est une volonté, un besoin de maigrir, une peur de grossir.

Pourtant, entre anorexie et génétique, tout concorde : il ne fait plus aucun doute, depuis plus de vingt ans, qu'il existe une composante génétique à l'anorexie mentale. Mais avant d'aborder la question de la génétique, voyons, pour bien comprendre ce qui arrive (à vous-même, à votre enfant, à votre amie ou conjoint), quelques points importants :

  • Le point de départ de l'anorexie mentale est très souvent un "régime" (pour maigrir). C'est le déclencheur dans trois cas sur quatre (70-80 % des cas selon les séries). 
  • Souvent, il existait, avant l'anorexie mentale, un contexte facilitateur : un mal-être, un manque de confiance en soi, un événement perturbateur traumatique. C'était "la source" de l'anorexie mentale.
  • Il y a rarement anorexie mentale sans qu'il y ait eu, avant, un mal-être marqué.
  • L'anorexie mentale évolue pour son propre compte, même si la "cause" n'est plus d'actualité.
  • L'anorexie mentale s'apparente à une addiction, de type comportemental. On est "accro" à la restriction alimentaire, à la balance, à l'hyperactivité physique. Si on ne le fait pas, on est "mal" !
  • Le cerveau tire un "bénéfice", à la fois sensoriel et cognitif, à l'anorexie mentale.
  • Ce qui pilote l'anorexie mentale, c'est la peur : peur intense de grossir, de devenir obèse, de ne pas s'arrêter de grossir.

1.Rôle de la génétique

Il n'est pas douteux qu’il existe des familles dans lesquelles on trouve plusieurs cas de troubles du comportement alimentaire (TCA) -anorexie mentale, boulimie, compulsion- sur plusieurs générations.

Mais au fond, a-t-on des preuves de "la nature génétique" de l'anorexie mentale ? Oui, totalement !!

  1. La fréquence élevée de ce qui ressemble à de l'anorexie mentale chez des rats génétiquement sélectionnés.
  2. La fréquence élevée d'anorexie mentale chez les vrais jumeaux (jumeaux dits homozygotes),comparés aux faux jumeaux,
  3. La fréquence plus élevée d'anorexie mentale chez les parents biologiques comparés aux parents adoptifs,
  4. Le risque accru d'anorexie mentale dans certaines familles,
  5. La découverte de gènes de susceptibilité à l'anorexie mentale.

Fait important : il existe en fait une susceptibilité génétique aux TCA en général, et non pas à l'anorexie mentale en particulier.

Une histoire : Claudine M. est d’une famille de quatre enfants. Quand elle consulte, à 17 ans, pour anorexie mentale, on apprend que son frère ainé (25 ans) boit trop et fume beaucoup (tabac, haschisch), que deux de ses tantes maternelles ont été l’une anorexique, l’autre boulimique (vomitive à poids normale), un oncle paternel était compulsif et obèse et que son grand-père paternel était alcoolique et dépressif.

Une autre histoire : Aurélie G. a 2 sœurs et un frère. Une de ses sœurs a souffert d'anorexie mentale. Son frère boit trop d'alcool et ne peut pas arrêter. La mère d'Aurélie est dépressive, comme sa propre mère. Cette grand-mère maternelle a souffert, vers 20 ans, de ce qui ressemble à une anorexie mentale.

2. Les facteurs génétiques

Ce qui se transmet, ce n'est pas l'anorexie ou la compulsion, mais une tendance à faire un TCA. Il semble que le processus soit le même que celui des addictions et du système de récompense (un système qui, dans le cerveau, induit une tendance à la dépendance). Certaines personnes sont programmées génétiquement pour développer une dépendance à l'alcool, à l'héroïne ou à autre chose. Ce n'est pas cette susceptibilité qui déclenche l'addiction, mais elle la rend possible ou plus probable.

Après 30 ans de recherche, on a admis qu'il existait bien des facteurs génétiques d'anorexie mentale avec une probabilité de se tromper inférieure à 0,1 % !!

On admet que la génétique pourrait expliquer la "susceptibilité à l'anorexie mentale" à hauteur d'un tiers, un autre tiers revenant à la famille et un dernier tiers aux caractéristiques mentales de la personne.

On connait maintenant, sans guère de possibilité de se tromper, des gènes ou des mutations de gènes qui sont clairement impliqués dans la genèse de l'anorexie mentale. Citons :

  • Gène de l'AgRP : L'AgRP est un neuromédiateur orexigène (une espèce d'hormone cérébrale qui donne faim). Son nom développé est "Agouti-related peptide (AgRP)". Ce neuromédiateur est situé dans le cerveau. Son gène s'exprime sous trois formes. Une de ces formes, l'allèle "Ala67Thr" du gène de l'AgRP est significativement associé à l'anorexie mentale (PS : il existe dans notre corps plusieurs "copies" d'un même gène, qui sont appelées allèles).
  • Gène du BDNF : Un neuromédiateur appelé "facteur de croissance cérébral" (brain-derived neutrophic factor ou BDNF) est une substance anorexigène qui induit une hyperactivité physique et une anxiété. L'allèle "TrkB" est significativement associé à l'anorexie mentale.
  • Gène de la sérotonine : L'ensemble de neuromédiateurs dérivés de la "sérotonine" ont dans le cerveau et le tube digestif une action anorexigène. La sérotonine induit aussi de l'hyperactivité psychique et physique et de l'anxiété. Son déficit induit, lui, de la dépression. L'allèle "5HT2A" est significativement associé à l'anorexie mentale et au besoin de contrôle.
  • Le système endocannabinoïde (équivalent cérébral du cannabis) et endorphinique (équivalent de la morphine) cérébraux sont, eux aussi, anorexigènes. Ils diminuent la douleur (physique et psychique) et favorisent l'addiction. Certains allèles, comme le "CB1dT", sont significativement associés à l'anorexie mentale.

3. Ce que ça change en pratique ?

Il y a des cas où l'anorexie mentale se développe sans qu'aucun facteur "visible" ne puisse l'expliquer. Dans ces cas, il est capital d'obtenir, si possible, le profil de chacun des membres de la famille : poids, comportement alimentaire, tendance à grossir ou à maigrir, tendance dépressive ou anxieuse, tendance à l'abus d'alcool…

Cette prédisposition génétique à l'anorexie mentale peut être liée à différents facteurs :

  • Un ou des facteurs qui contribuent à rendre possible l'anorexie mentale,
  • Un ou des facteurs qui déclenchent l'anorexie mentale,
  • Un ou des facteurs qui perpétuent l'anorexie mentale (la figent),
  • Un ou des facteurs qui sont associés à l'anorexie mentale : troubles obsessionnels, anxiété, dépression…

Ex. : Claudine M. et Delphine G., deux très bonnes copines, commencent ensemble un régime pour perdre cinq kilos. Claudine mange plutôt peu depuis qu'elle est toute petite, tandis que Delphine a plutôt tendance à grossir et a tout le temps faim. Claudine suit à la lettre le régime "sans viande, sans pain, sans féculents, sans cochonneries" qu'elles se sont imposées. Delphine craque assez vite. Au bout de six mois, Claudine a perdu 20 kg, court six kilomètres par jour et ne dort plus. Elle ne pense plus qu'à perdre du poids, tant ceci a été "facile pour elle". Delphine, au contraire, a repris ses habitudes d'avant et envie, sans pour autant l'imiter, sa copine Claudine. Dans ce cas, Claudine a un métabolisme d'épargne qui lui permet de faire de l'anorexie mentale en ne mangeant rien. Pour le cerveau de Delphine, se restreindre semble "impossible".

La génétique nous a sortis de l'époque où on pensait que l'anorexie mentale était la "faute" des parents et une "faiblesse" de la personne et nous a fait entrer dans une nouvelle ère : on a prouvé que l'anorexie mentale était en rapport avec une capacité (susceptibilité ?) à avoir ou pouvoir perpétuer un comportement de type restrictif durablement (qui n'est pas permis à tout le monde !).

L'anorexie mentale s'explique, souvent, plus parce qu'un évènement extérieur (le régime notamment) a mis en route un programme préétabli que par une fragilité psychique de la future malade.

4. Ce qu'il faut bannir de sa pensée

Face à la composante génétique, nous entendons souvent des patients souffrant l'anorexie mentale nous dire "Donc, je risque de le transmettre à mes enfants. Ça m'angoisse horriblement".

Il faut les rassurer. Si la génétique double ou triple le risque d'avoir un enfant souffrant d'anorexie mentale, ça ne fera au total qu'un risque de 1,5 % multiplié par trois, soit 5 % !! En effet, la fréquence de l'anorexie mentale dans la population, hors contexte génétique, n'est que de 1,5 %.

D'autres facteurs rendent compte de l'anorexie mentale. Si les parents et frères et sœurs ont un comportement alimentaire normal, le risque n'est pas si grand, car les facteurs familiaux ne sont pas négligeables. Si l'ado va bien psychiquement, il y a peu de risque qu'elle (il) développe de l'anorexie mentale.

5. Conclusion

L'anorexie mentale est en partie sous contrôle de facteurs génétiques qui commencent à être bien connus. Ces facteurs ne sont pas la cause de l'anorexie mentale mais seulement un facteur facilitant, déclenchant ou de fixation de la maladie.

S'il apparait un déclencheur (par exemple le régime), la susceptibilité génétique va favoriser ce type de comportement ou le "fixer".

Pour autant, ce n'est pas une fatalité. Ce n'est pas comme certaines maladies où les parents transmettent la maladie génétique plus d'une fois sur deux. Ici, le risque est, certes, multiplié par trois, mais ne dépasse pas 5 %.

6. Bibliographie

Baker JH et al. Genetics of Anorexia Nervosa. Curr Psychiatry Rep 2017 ; 19(11) : 84-91

Bulik CM et al. Genetics of Eating Disorders: What the Clinician Needs to Know. Psychiatr Clin North Am 2019 ; 42(1) : 59-73

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Mayhew AJ et al. An Evolutionary Genetic Perspective of Eating Disorders. Neuroendocrinology 2018 ; 106(3) : 292-306

 

Publié en 2019.07