Il peut paraître étrange d'évoquer le rôle de la génétique face à une maladie comme l'anorexie mentale. Ce trouble alimentaire est psychique, c'est évident (sic) ! C'est une volonté, un besoin de maigrir, une peur de grossir.
Pourtant, entre anorexie et génétique, tout concorde : il ne fait plus aucun doute, depuis plus de vingt ans, qu'il existe une composante génétique à l'anorexie mentale. Mais avant d'aborder la question de la génétique, voyons, pour bien comprendre ce qui arrive (à vous-même, à votre enfant, à votre amie ou conjoint), quelques points importants :
Il n'est pas douteux qu’il existe des familles dans lesquelles on trouve plusieurs cas de troubles du comportement alimentaire (TCA) -anorexie mentale, boulimie, compulsion- sur plusieurs générations.
Mais au fond, a-t-on des preuves de "la nature génétique" de l'anorexie mentale ? Oui, totalement !!
Fait important : il existe en fait une susceptibilité génétique aux TCA en général, et non pas à l'anorexie mentale en particulier.
Une histoire : Claudine M. est d’une famille de quatre enfants. Quand elle consulte, à 17 ans, pour anorexie mentale, on apprend que son frère ainé (25 ans) boit trop et fume beaucoup (tabac, haschisch), que deux de ses tantes maternelles ont été l’une anorexique, l’autre boulimique (vomitive à poids normale), un oncle paternel était compulsif et obèse et que son grand-père paternel était alcoolique et dépressif.
Une autre histoire : Aurélie G. a 2 sœurs et un frère. Une de ses sœurs a souffert d'anorexie mentale. Son frère boit trop d'alcool et ne peut pas arrêter. La mère d'Aurélie est dépressive, comme sa propre mère. Cette grand-mère maternelle a souffert, vers 20 ans, de ce qui ressemble à une anorexie mentale.
Ce qui se transmet, ce n'est pas l'anorexie ou la compulsion, mais une tendance à faire un TCA. Il semble que le processus soit le même que celui des addictions et du système de récompense (un système qui, dans le cerveau, induit une tendance à la dépendance). Certaines personnes sont programmées génétiquement pour développer une dépendance à l'alcool, à l'héroïne ou à autre chose. Ce n'est pas cette susceptibilité qui déclenche l'addiction, mais elle la rend possible ou plus probable. Après 30 ans de recherche, on a admis qu'il existait bien des facteurs génétiques d'anorexie mentale avec une probabilité de se tromper inférieure à 0,1 % !! On admet que la génétique pourrait expliquer la "susceptibilité à l'anorexie mentale" à hauteur d'un tiers, un autre tiers revenant à la famille et un dernier tiers aux caractéristiques mentales de la personne. |
On connait maintenant, sans guère de possibilité de se tromper, des gènes ou des mutations de gènes qui sont clairement impliqués dans la genèse de l'anorexie mentale. Citons :
Il y a des cas où l'anorexie mentale se développe sans qu'aucun facteur "visible" ne puisse l'expliquer. Dans ces cas, il est capital d'obtenir, si possible, le profil de chacun des membres de la famille : poids, comportement alimentaire, tendance à grossir ou à maigrir, tendance dépressive ou anxieuse, tendance à l'abus d'alcool…
Cette prédisposition génétique à l'anorexie mentale peut être liée à différents facteurs :
Ex. : Claudine M. et Delphine G., deux très bonnes copines, commencent ensemble un régime pour perdre cinq kilos. Claudine mange plutôt peu depuis qu'elle est toute petite, tandis que Delphine a plutôt tendance à grossir et a tout le temps faim. Claudine suit à la lettre le régime "sans viande, sans pain, sans féculents, sans cochonneries" qu'elles se sont imposées. Delphine craque assez vite. Au bout de six mois, Claudine a perdu 20 kg, court six kilomètres par jour et ne dort plus. Elle ne pense plus qu'à perdre du poids, tant ceci a été "facile pour elle". Delphine, au contraire, a repris ses habitudes d'avant et envie, sans pour autant l'imiter, sa copine Claudine. Dans ce cas, Claudine a un métabolisme d'épargne qui lui permet de faire de l'anorexie mentale en ne mangeant rien. Pour le cerveau de Delphine, se restreindre semble "impossible".
La génétique nous a sortis de l'époque où on pensait que l'anorexie mentale était la "faute" des parents et une "faiblesse" de la personne et nous a fait entrer dans une nouvelle ère : on a prouvé que l'anorexie mentale était en rapport avec une capacité (susceptibilité ?) à avoir ou pouvoir perpétuer un comportement de type restrictif durablement (qui n'est pas permis à tout le monde !).
L'anorexie mentale s'explique, souvent, plus parce qu'un évènement extérieur (le régime notamment) a mis en route un programme préétabli que par une fragilité psychique de la future malade.
Face à la composante génétique, nous entendons souvent des patients souffrant l'anorexie mentale nous dire "Donc, je risque de le transmettre à mes enfants. Ça m'angoisse horriblement".
Il faut les rassurer. Si la génétique double ou triple le risque d'avoir un enfant souffrant d'anorexie mentale, ça ne fera au total qu'un risque de 1,5 % multiplié par trois, soit 5 % !! En effet, la fréquence de l'anorexie mentale dans la population, hors contexte génétique, n'est que de 1,5 %.
D'autres facteurs rendent compte de l'anorexie mentale. Si les parents et frères et sœurs ont un comportement alimentaire normal, le risque n'est pas si grand, car les facteurs familiaux ne sont pas négligeables. Si l'ado va bien psychiquement, il y a peu de risque qu'elle (il) développe de l'anorexie mentale.
L'anorexie mentale est en partie sous contrôle de facteurs génétiques qui commencent à être bien connus. Ces facteurs ne sont pas la cause de l'anorexie mentale mais seulement un facteur facilitant, déclenchant ou de fixation de la maladie.
S'il apparait un déclencheur (par exemple le régime), la susceptibilité génétique va favoriser ce type de comportement ou le "fixer".
Pour autant, ce n'est pas une fatalité. Ce n'est pas comme certaines maladies où les parents transmettent la maladie génétique plus d'une fois sur deux. Ici, le risque est, certes, multiplié par trois, mais ne dépasse pas 5 %.
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Publié en 2019.07