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Anorexie mentale et boulimie
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Le déni dans l'anorexie mentale

Hélène PENNACCHIO - Association Autrement

L’anorexie mentale, quelle drôle de maladie !

Voici la maladie psychiatrique qui tue encore le plus de jeunes femmes de 15 à 35 ans.

Voici la maladie où la maigreur et la dénutrition sont si manifestes que parfois leurs spectateurs en frémissent.

Voici la maladie qui supprime les règles, qui abîme les mains et violine les doigts, qui altère les gencives et ternit les dents. Bref, une maladie qu’on voit, et on ne voit qu’elle !

Pourquoi faut-il qu’il y ait tant de ces malades qui se cachent derrière un déni ?

Un déni de la maladie qui cache au fond bien plus encore ce déni d’elles-mêmes, qu’elles s’avouent si peu.

En première lecture on pourrait croire, à les voir s’acharner à dire qu’elles ne sont pas malades, qu’elles sont folles ! Quelles personnes sensées en effet pourrait-elle ne pas voir tous ces désordres, cette peau qui flétrit, ce squelette qui se démasque ? Pourtant, folles, elles ne le sont pas. Pas au sens où elles n’auraient pas conscience de leur état. Folie non, mais hallucination sûrement, état second où la libération par le jeûne des neuromédiateurs cérébraux (espèce d’hormone du cerveau) leur donne l’illusion de maîtrise, là où tout s’est écroulé.

Hallucinées, elles le sont : nourries aux amphétamines et à la sérétonine, plus droguées parfois qu’un héroïnomane mais moins conscientes de l’être, car ne s’injectant rien. C’est un peu comme si le cerveau, tendu à l’extrême vers un but incompréhensible, figeait le système dans une quête d’absolu où la mort du vivant n’a plus d’importance. Car pendant que le cerveau, comme jamais, se sent vivre, ce sont des centaines de millions, que dis-je , des dizaines de milliards de cellules qui disparaissent.

Le cerveau des carnassiers, et nous en sommes, est ainsi fait qu’il « soumet » tout à son projet de chasse.

anorexie_guepard.jpg Car, si on y pense, le chasseur pour chasser doit être à jeun et se dire qu’il est le meilleur alors que justement les forces, faute de carburant, pourraient venir à lui manquer. La nature a donc prévu que quand l’estomac tenaille, vide qu’il est, ce manque d’énergie justement déclenche dans le cerveau la libération des neuromédiateurs motivationnels. Ces hormones hypothalamiques, une fois libérées, vont à la fois donner le sentiment de puissance nécessaire à la motivation et couper la faim (manger empêcherait de se mettre à aller chasser). On le voit, ces neuromédiateurs qu’on appelle amphétamine, sérotonine, dopamine comme le mot « doper », renforcent la volonté, bandent les muscles, coupent la faim et lancent le chasseur vers sa proie.

Mais la nature sait que la condition de chasseur n’est pas drôle et qu’il va, dans sa course pour attraper sa proie, rencontrer maints obstacles, irrégularité de terrain, cailloux… La nature a donc prévu dans sa sagesse de faire secréter, en partance pour la chasse, des neuromédiateurs qui, libérés, calment la sensation de douleur… et sont également coupe-faim. Je veux parler ici des endorphines et des canabinoïdes, espèces d’hormones cérébrales qui ont pour rôle d’anesthésier à la douleur et de donner un sentiment d’euphorie.

Tout le déni est là. Dans ces systèmes imaginés par Dame Nature, pour permettre de faire tomber sa proie, le guépard, la gazelle, l’homo sapiens, le mammouth. C’est bien sans doute de ce système dont se sert la malade anorexique dans le déni qu’elle va mal. Elle ressent cette euphorie, cette sensation de puissance, cette excitation, qui était nécessaire naguère au chasseur. Mais il serait réducteur de n’attribuer qu’à la physiologie du cerveau ce déni si cher aux malades et si préjudiciable à leurs soins. Ce serait oublier que la malade qui souffre d’anorexie mentale est perdue.

Elle l’était déjà parfois avant la maladie et c’est même pour cette raison que la maladie s’est installée. Elle l’est de toute façon toujours pendant. Elle ne sait plus très bien où elle va, qui elle est, comment on peut l’aimer. Elle doute d’ailleurs qu’on le puisse. Au demeurant, elle doute de tout et se voit parfois assez mal pénétrée dans ce monde de brut, de compromis, d’aménagement, de petites fuites et de faux combats qu’on appelle la vie adulte.

Voici bien longtemps qu’elle n’a plus guère de projets, qu’elle n’en attend plus grand chose. C’est dire si ces quelques kilos qu’elle arrache à son corps, si quelques calories qu’elle arrache à son assiette lui paraissent bientôt un ancrage face à la dérive de sa vie et de ses émotions. Et lorsqu’on y prend pas garde, un ancrage devient trop souvent une raison de vivre. Bientôt sa raison de vivre ; puis sa seule raison de vivre. Pourquoi donc voulez-vous qu’elle l’abandonne, alors que tout est obscurci, trouble devant elle. Elle a par ailleurs si peu confiance en elle qu’il faut bien qu’elle croit en quelque chose de très concret, de très mesurable, de quasi mathématique… un poids sur un pèse-personne, une soustraction de calories dans une assiette de légumes !

En résumé, son cerveau lui ment en lui faisant croire que le jeûne lui réussit et ça l’arrange bien, elle qui ne croit plus à grand chose. L’anorexie mentale est bien le dernier bastion derrière lequel elle s’est retranchée, la dernière place forte à laquelle elle s’accroche à tout prix, sa grande muraille face à laquelle tout s’effondre.

Ce déni, c’est enfin le déni de l’impuissant ; celui qui sait bien qu’au fond n’arrive jamais à rien, qui se sait battu d’avance. Elle est si petite et la maladie est si grande. Il vaut sûrement mieux dire qu’il n’y a pas de problème plutôt que d’affronter un problème ou d’affronter un adversaire qui va certainement nous vaincre.

Ce déni de la maladie est une horreur. Il nous laisse voir tout le décharnement de cette jeune fille impuissante, tous les désenchantements des pauvres soirs du monde, toute la misère de ce vide que nul ne vient remplir. Ce déni, et c’est peut-être aussi pour ceci qu’il existe, nous met face à notre échec : échec à convaincre cette jeune femme désincarnée que 15 kg de plus iraient si bien.

Publié en 2009