Anorexie, boulimie, compulsions alimentaires : l'association peut vous aider à voir les choses Autrement

Anorexie mentale et boulimie
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Anorexie mentale, boulimie et le conflit

Il m’en souvient, elle m’en parlait, Alice. C’était il y a longtemps : avant qu’elle ne guérisse. Elle disait que jamais, jamais elle ne pourrait s’y faire : tous ces conflits, elle disait qu’elle ne pouvait pas gérer ça. Elle le répétait, trop difficile, trop angoissant. Elle disait qu’il lui était arrivé parfois de penser que c’était à cause de cette difficulté là qu’elle avait dû tomber malade, dans le temps.

Que tout ce chemin à guérir, c’était pour cela : apprendre à le faire.

Mais elle voulait alors qu’on lui explique : pourquoi ces conflits et pourquoi tant de difficultés à « rentrer dedans », pourquoi tant de mal à défendre son point de vue ?

Un conflit, lui dis-je, c’est d’abord deux personnes, ou deux groupes de personnes.

C’est ensuite un désaccord : on pensait qu’on faisait de la musique ensemble, en harmonie… Et c’est le désaccord.

Mais pas n’importe quel désaccord, me disait-elle. Un désaccord où chacun a envie de prouver qu’il a raison. Sur des choses importantes, lui demandai-je ? « Peut-être pas » est la réponse qui lui vint ! Mais un désaccord, ce n’est pas grave, on peut toujours en discuter. « C’est bien ça », me dit Alice alors, avec moi, on ne peut pas en discuter.

« Est-ce un désaccord, où l’on se dit que l’autre, s’il joue aussi mal, une note aussi loin de la votre, tellement en dehors de vous, c’est qu’il ne vous aime pas ? ».

Peut-être, lui dis-je alors, qu’il y a de l’amour là, en toi, tout autour de ce désaccord. C’est pourquoi il résonne comme un conflit. Je m’en souviens, il y eut un silence. Je n’eus pas l’envie de le rompre.

Elle était partie loin… dans ce temps où justement le temps ne comptait plus… Où la maladie avait tout pris.

Le conflit naît d’une nécessité d’avoir raison, du besoin impulsif de s’imposer. Il peut y avoir plusieurs mécanismes : manque de confiance en soi, besoin fort d’être apprécié, d’exister et aussi, en même temps sentiment que ceci est important, qu’on joue beaucoup là dessus.

Ainsi, entre deux pays, y a-t-il conflit quand ils s’opposent sur des besoins qui ne s’accordent pas : un accès à l’eau, une affaire de lieu saint ou de religion, une voie de commerce ou un accès à la mer. Le conflit prend sa racine là. Le conflit développe ses racines dans le silence muré et offensé de celui qui a raison et qui a perdu la parole. Il n’y a plus les mots pour le dire, seule la violence l’exprime.

Si je regarde mes statistiques, si j’en parle aux malades souffrant de troubles du comportement alimentaire (TCA), j’ai bien souvent, quasiment toujours la même réponse : je n’ai jamais été capable d’être en conflit avec les autres ; je m’écrase, je me tais, je mords mon frein. Je ne dis rien et alors une pensée me saisit. Pourquoi ce conflit ? Ne m’aiment-ils pas ? Ne me comprennent-ils pas ?

Si je pose la question aux parents, j’ai souvent eu aussi cette réponse : ma fille (mon fils) est quelqu’un qui ne dit pas grand chose ; elle a toujours été sage, elle ne faisait pas de bruit et ne voulait pas d’histoire.

Alors, aux parents et aux malades, je dis mon étonnement : s’il y a bien une maladie où le conflit est organisé, c’est bien l’anorexie mentale, s’il est une maladie où le conflit est armé, c’est bien la boulimie. Tout n’est que colère, rage, dérapages plus ou moins mal contrôlés des relations affectives dans des disputes sans fin (sans faim ?).

Car la malade anorexique ou boulimique dit « JE ne mange pas », dit « VOUS ne me ferez pas manger ». Il faut bien l’avouer : dans l’anorexie mentale comme dans la boulimie, s’orchestre le conflit. Ces maladies sont un conflit sur pattes ! Elles s’infiltrent partout !

Cette fille (ce fils) sage devient totalement incontrôlable, la bataille lors des repas est infernale. Ce n’est bien sûr pas un hasard !

Mais où est le désaccord profond ? Symboliquement ? Il faut le voir au sein même de la période de la vie où s’inscrivent le plus souvent les TCA, l’adolescence : l’adolescence est l’âge des conflits.

Alice me dit qu’elle voulait que je lui explique. « C’est la loi de la Nature. Le corps et l’esprit de l’enfant d’alors se réveillent, comme après un long hiver. Ils disent, mais sans les mots qui vont avec « il faut partir, il est temps ». Princesse endormie se réveille sous le baiser du prince. Elle sent peut-être ceci, l’adolescente. Son cerveau formule quelque chose d’improbable jusque là, de jamais formulé « un jour, je partirai ». Il n’y a plus de conditionnel, on est dans la réalité. Mais pour pouvoir partir, il faut que l’endroit où nous sommes devienne invivable : c’est bien plus aisé de quitter quand nous n’aimons plus les gens qui sont nos proches. C’est pourquoi les adolescents se disputent avec leurs parents : ils cherchent ainsi tout autant à rejeter qu’à se faire rejeter. Symboliquement bien sûr !

Mais la future malade anorexique ou boulimique, si elle sent de même cette pulsion de quitter, ce besoin de faire du tapage, des sorties illicites, cette envie de rentrer à « pas d’heures », elle,  est incapable de le faire réellement. Alors l’anorexie mentale ou sa compère, la boulimie, travaillent pour elle : elles organisent le conflit. Car dans ces troubles du comportement alimentaire, on ne mange pas à table (le plus souvent), mais on reste chez ses parents. En d’autres termes, ça se voit !

Ce conflit physiologique, si naturel parce qu’il repose sur le besoin de quitter, ce conflit que jouent tous les mammifères du monde, lorsque leur vie est centrée sur la famille (lions, loups, chiens, cerfs…), ce conflit se heurte de plein fouet, dans le cas de nos malades, à cette difficulté majeure pour elle : comment entrer en conflit et être aimée, puisque « faire conflit » fait naître l’idée qu’on va perdre, justement. Perdre ceux que l’on aime tant, ou ceux qui vous aiment tant, ou les deux. Et perdre, pour Alice, est insupportable. Je ne le souffre pas, c’est ma maladie qui le souffre.

Alors, je suis prise entre deux pensées inconscientes, que je n’ai même pas formulées : d’un côté, il faut que je quitte, de l’autre, je ne veux rien perdre de ce qui m’entoure d’une cuirasse  aimante. Je ne peux plus alors être moi, je ne pèse plus rien. C’est bien pourquoi je veux maigrir. Dans ce rien qui ne m’assemble pas !

Pour guérir, il faut entrer en conflit, se dire que rien ne meure, que rien n’y est englouti. Que c’est juste comme ça, comme quand j’ai mangé et que j’ai aimé, « juste comme ça, pas plus… Ce n’était que ça ».

Publié en 2009