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Anorexie mentale et boulimie
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Féminité et trouble du comportement alimentaire

Pr D. Rigaud - Président d'Autrement

Il y a, en cas de trouble du comportement alimentaire (TCA), un impact mesurable sur la féminité. C’est une évidence en cas d’anorexie mentale, mais c’est aussi le cas chez les malades qui souffrent de boulimie. La plupart de ces malades disent que leur féminité est altérée. Tous les thérapeutes qui se sont intéressés à cette question opinent dans ce sens.

Dès lors, deux questions se posent. Un trouble de l’identité sexuelle est-il en cause dans les TCA ? De quelle nature est le trouble constaté ?

Au préalable, il faut s’interroger sur la nature de l’identité sexuelle. Inscrite initialement dans nos gènes, l’identité sexuelle se développe tout au long de l’enfance et l’adolescence, pour se poursuivre à l’âge adulte.
La sexualité ici doit s’entendre au sens strict du terme. Il ne sera donc pas question ici du principe de plaisir, au sens où les psychanalystes l’évoquent.

Le but ultime de la sexualité est la conservation de l’espèce. Il s’agit donc d’une fonction vitale pour l’espèce, qui doit être vécue comme vitale pour l’individu. Ainsi, pour la plupart des personnes, la sexualité va de soi. La féminité est l’affirmation de la sexualité féminine.

Un premier aspect doit retenir notre attention : la sexualité a des liens, clairs mais obscurs à la plupart d’entre nous, avec l’alimentation. Comme l’alimentation, la sexualité est vitale, l’une pour la conservation de l’individu (alimentation) et l’autre pour l’espèce. L’alimentation, au même titre que la sexualité, est une fonction vitale qui génère du plaisir, c’est à dire, au sens neurobiologique du terme, une gratification propre à la faire répéter. Comme le propose la sexualité, notamment chez la femme, l’alimentation consiste à faire pénétrer au sein de son corps quelque chose d’étranger, et donc de potentiellement dangereux. Pour faire ceci, il faut donc « lâcher prise » vis à vis de notre besoin de sécurité.

Rappelons que nous sommes des carnivores et que, chez la femelle carnivore (louves, lionnes…), la sexualité représente un danger supposé : que sait-elle après tout du désir de son mâle ? D’autant que le mâle, par sa position (il l’aborde par derrière) et son comportement (il la mord au cou), est possiblement menaçant ! La femelle doit donc faire fi de sa peur, lâcher prise. N’y aurait-il pas chez la femelle humaine un réflexe archaïque de peur ? Ce n’est pas qu’intellectuel, puisque, jusqu’à une période récente, les soldats des armées victorieuses, violaient les femmes du pays ou de la tribu vaincue ! Puisque dans certains lieux de certains pays civilisés, des bandes de mâles agressent physiquement et sexuellement des jeunes femmes ! Ce n’est donc pas un pur phantasme.

Un autre point doit être souligné : pour se laisser aller au plaisir sexuel, il faut lâcher prise. Nul n’ignore que l’acte sexuel aboutit (peut aboutir chez la femme) à un tel lâcher prise… que la personne perd tout d’abord toute notion de contrôle (elle ne sait plus bien ce qu’elle fait) et que, dans un 2ème temps, elle sent un besoin irrépressible de dormir. En d’autres termes, pour aboutir, il faut accepter de se perdre ! Dans l’acte sexuel « adulte », on n’est plus que plaisir, puis que sommeil. Notre identité se dissout dans un premier temps dans le couple formé, et, dans un deuxième temps, dans la torpeur nécessaire peut-être à économiser de l’énergie en réponse à l’énergie dissipée pendant l’acte.

Mais il faut ici faire un petit retour en arrière. La sexualité n’est pas univoque et ne se construit pas à l’âge adulte. Dès le plus jeune âge, la petite fille (plus d’ailleurs que le petit garçon) s’identifie (et est identifiée) comme personne sexuée. A 3 ans, la petite fille sait qu’elle est une fille et joue avec cette idée : elle joue à la poupée, elle joue avec son oncle ou son papa. Il n’est pas rare d’entendre de sa part : « On dirait que maman serait partie et que moi, je resterai avec toi ». Dans ce futur improbable (mais pas totalement), la petite fille se « voit avec papa ». C’est ce qu’expliquent les psychanalystes lorsqu’ils parlent de triangle oedipien. La petite fille est effectivement un double de la mère, cette femme que justement papa a épousé. D’un point de vue de la conservation de l’espèce et des gènes du mâle, la petite fille est aussi la garante de ses gènes à lui ! Cette « maturation sexuelle primaire » se met en place sensiblement au même moment que l’autonomie alimentaire. Peut-être la nature sait-elle que la petite fille ne peut pas se rapprocher de son père tant qu’elle est sous dépendance alimentaire totale, vis à vis de la mère ? Si je m’écarte de la mère qui me nourrit, elle ne me nourrira plus justement. Si je suis un peu plus autonome alimentairement, ça devient possible. Enfin, il y a chez la petite fille comme chez le petit garçon, un plaisir sexué indéniable. Toucher ses organes procure un plaisir : les choses sont déjà un peu en place. La sexualité à ce stade n’a qu’un sens de mise en place d’une ébauche, d’un modèle. Pour apparaître "femme", la petite fille se pare d’attributs féminins. Sa mère, qui cherche son double, en rajoutent. Le père, en sous-main, valide ces comportements. La petite fille « fait sa coquette », « singe maman », met ses chaussures (trop grandes). Elle fait autant ceci pour jouer que pour plaire au père et à la mère.

Au moment de la puberté, une nouvelle problématique se met en place : l’organisme se prépare à la sexualité adulte. On ne joue plus tellement : tout le monde sait, le père en particulier, la mère bien sûr, la fille enfin, que quelque chose s’est mis en place qui fait que « tout est possible ». Ce ne peut plus être un jeu. Le père, soucieux cette fois, sans le savoir, de la consanguinité, met en place un comportement d’évitement. « Ma fille grandit » est substitué parfois, du fait d’un père maladroit par un souci de n’être plus tenté : « ma fille, fais attention, tu prends des fesses ». Lui se protège et elle, elle encaisse quelque chose qu’elle n’a pas voulu et auquel elle ne comprend rien : « mon père trouve que je suis grosse » est l’énoncé conscient d’une question plus fondamentale : jouer à papa-maman avec papa n’est plus possible ; « me mettre sur ses genoux pour regarder la télé n’est plus envisageable ». Pour autant, certaines filles n’y sont pas prêtes et retourneraient bien vers l’enfance, quand papa se lâchait, me chatouillait, tandis que je gloussais… Il faut alors, dans le même temps qu’elles lâchent leur père, que les filles trouvent un substitut, riche d’excitation et quand même neutre d’un point de vue sexuel : c’est l’âge des emballements pour tel chanteur, tel acteur, tel « people ». Et les personnages médiatiques sont tous minces…

La fille doit faire face à une problématique très sérieuse : elle est de la « chair fraîche », son corps a changé, ses seins poussent et elle n’y est pas toujours prête ! D’où parfois cette idée de « gommer ces formes » qui ne sont pas ses formes, mais celles d’une femme qu’elle ne souhaite pas être (tout de suite). Mais, il y a aussi des pensées contraires, quand tout se passe bien : papa c’est fini, il me faut un remplaçant de mon âge, à ma taille. La jeune fille qui sait, inconsciemment que papa ne peut plus être son homme, cherche ailleurs. Pour ce faire, elle démolit l’image paternelle (mon père est trop c…, trop gros). Mais si le processus dysfonctionne, la jeune fille n’arrive pas à passer outre, au delà du père et n’arrive pas à s’insérer dans une féminité adulte. Dans certains cas, l’anorexie paraît une solution. Il n’y a plus de formes, plus de silhouette féminine et tout peut reprendre comme dans l’enfance !

Car l’anorexie mentale fait à la fois perdre la silhouette qui gène et autorise les genoux de papa (je suis malade, pas femme).

Une autre question se pose : la sexualité disparaît, au sens en tout cas du plaisir qu’elle donne, des aspirations qu’elle génère (les coups de foudre des ados en témoignent). Mais la féminité, elle, ne disparaît pas  complètement : ce n’est pas parce qu’elle est anorexique ou boulimique que la jeune fille ou jeune femme s'habille comme un sac à pomme de terre. Elle se coiffe, elle met des habits éventuellement seyants. Elle fait semblant, elle donne le change. Elle se donne le change. C’est sans doute possible, parce que ça l’était dans l’enfance. C’est une féminité déconnectée de la réalité sexuelle, archaïque.

En fait, on sait peu de choses de la sexualité des malades souffrant d'anorexie et/ou de boulimie. Une certaine sexualité est possible, à la demande du conjoint. Il est même possible que cette sexualité « dérape », tant la malade est incapable de dire non à son conjoint ; la malade fait (ou laisse faire) des choses qu’elle ne veut pas.
Chez la malade boulimique, il n’est pas exceptionnel que la sexualité soit consommée comme les aliments : dans des crises compulsives peu contrôlées, sans appétit et sans plaisir ! Ou dans une optique inconsciente de se faire du mal, comme on le fait dans le vomissement ou dans la fin de crise.

Une dernière question mérite réponse : est-ce que la problématique sexuelle qui vient d’être abordée peut expliquer l’anorexie mentale. Il me semble, sans preuve scientifique, que ce n’est pas évident. Bien sûr, il est des cas où une sexualité qui a déraillé (un viol, un inceste, des attouchements) est clairement responsable du TCA. Mais, dans notre expérience, le lien entre abus sexuel et TCA n’est clair que lorsqu’il y a compulsions alimentaires au sens large du terme, avec ou sans vomissements provoqués (compulsions alimentaires vraies, boulimie à poids normal, anorexie de forme boulimique ou vomisseuse). En revanche, on ne trouve pas d’antécédent d’abus sexuel plus fréquemment dans le passé des malades anorexiques restrictives que dans la population sans TCA. Bien sûr, il est des histoires particulières où le lien affectif fort avec le père ou l’oncle est en partie responsable du TCA, mais, dans bien des cas, l’origine du TCA n’est pas en rapport avec cette féminité ou sexualité.

Ce qui est sûr en revanche, c’est qu’il faudra bien aborder le thème de la féminité et de la sexualité lors du travail qui mènera à la guérison. En effet, c’est très souvent une question qu’elles (ou ils) se posent. De plus, le TCA a véritablement mis à mal la féminité (désir de l’autre) et la sexualité « adulte ». Ne serait-ce que parce que le TCA est très souvent associé à une image corporelle de soi déplorable : « je suis moche », « grosse », « j’ai un gros ventre, de grosses cuisses ». Il n’est donc pas facile pour elle (lui) de se mettre nu(e) ! De s’offrir à l’autre. Par ailleurs, il n’est pas facile non plus de lâcher prise, de se perdre dans ce désir, ce plaisir qui fait peur !

Qu’en est-il après guérison. Fort heureusement, dans la majorité des cas, les problèmes relatifs à la féminité, à la sexualité disparaissent. Sans doute pas tout seul, souvent, mais accompagnés par le thérapeute attentif à cette question, qui n’a pas craint de les aborder en temps utile.

Il faut le dire aux malades, qu’elles en soient sûres : une sexualité adulte épanouie est possible, est la règle après la guérison. Mais pour ceci, il faut peser un poids normal, accepter que ce poids soit « soi », que ce ventre, ces fesses deviennent « votre petit ventre », « vos fesses », « vos cuisses ». C’est possible, parce que toutes les malades qui ont guéries en témoignent ! Et comme 60 % des malades guérissent…

 

Publié en 2010