Anorexie, boulimie, compulsions alimentaires : l'association peut vous aider à voir les choses Autrement

Anorexie mentale et boulimie
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Les paradoxes dans l'anorexie mentale et la boulimie


Hélène PENNACCHIO - Secrétaire Générale

1. L'anorexie mentale et la boulimie : un monde de paradoxes !

La vie de Sarah, à 20 ans, est devenue un enfer. Et pourtant, à 17 ans, elle rêvait de conquérir le monde. Ce que pensait l’autre avait de l’importance pour elle. Elle avait en elle cet intense besoin d’amour ! Sa mère, son père surtout, étaient tout pour elle. Elle avait tellement souffert de leur séparation. Et cette joie, lors de la remise des devoirs au lycée : brillante, sûre d’elle, elle récoltait les médailles. Alors pourquoi tout s’était-il effondré ?
Besoin de rien, besoin d’ailleurs. Ou rien ! Sa copine lui avait fait remarqué que Sophie, leur meilleure amie, grossissait à vue d’œil. Coup de tonnerre dans la tête de Sarah : et si ça lui arrivait à elle aussi ? Car elle avait toujours été bonne vivante, elle qui adorait manger petite sur les genoux de Papa. L’anorexie mentale et la boulimie sont deux troubles du comportement alimentaire (TCA) où les paradoxes ne sont pas rares. Pire : c’est un monde de paradoxes.

2. Les paradoxes de l'anorexie et de la boulimie

2.1. Elle a tellement envie de manger qu'elle ne mange rien !

Elle a tant envie de manger, elle qui ne mange rien ! C’est cette envie qui la ronge, qui l’angoisse. Sept fois sur dix, l’anorexie commence par un régime pour maigrir qu’on a imposé à son cerveau. Un cerveau qui souvent avait une attention particulière pour l’alimentation. La malade qui souffre d’anorexie mentale meurt littéralement de faim, elle crève d’envie. Mais, cette envie lui fait peur. D’autant que bien souvent, elle ne fait que s’amplifier au fil de l’amaigrissement et des carences nutritives. Moins on mange, plus on a faim et plus on a envie de manger. C’est la nature des choses. C’est une réponse physiologique aux carences. La malade qui souffre de boulimie est dans l’autre extrême : elle a tellement dit non à ses envies, elle a tellement nié ses besoins nutritifs qu’elle a sombré dans une première crise de compulsion alimentaire : du fait de ces carences, le cerveau a forcé la malade à « bouffer », pour combler ce vide. Et comme elle ne le supporte pas, elle se débarrasse de cette crise en vomissant. Du coup, les choses se répètent : plus elle crise, moins elle mange ; plus elle crise, plus elle réduit ses repas et plus elle est frustrée ; plus elle crise et moins elle a de plaisir à manger.

2.2. Anorexie et boulimie : une conduite morbide pour exprimer une envie de vivre démesurée, de vivre autrement ... et non de mourir

Cette envie est une envie de tout : Celle d’une vie à la hauteur de ses espérances, pleine d’émotions, une envie de partage. Et pourtant, au fin fond de l’anorexie ou de la boulimie, cette envie est perdue, elle ne peut s’exprimer. L’émotion est tout au fond, sous l’anorexie. L’anorexie sert de couvercle, c’est même parfois la raison de sa présence. L’anorexie mentale est un rempart, une forteresse : rien ne rentre, mais rien ne sort non plus ; la malade est vide, vide de ses émotions, vide de ressenti, vide d’expression. A l’inverse, dans la boulimie, les émotions débordent dans une crise hallucinante qu’on ne comprend pas, que personne, surtout les proches, ne comprend. Les émotions sont hypertrophiées et comme « à côté » : elles sont trop fortes, excessives, trop souvent négatives : on pique une crise pour un rien, parce qu’on se sent nulle, honteuse, coupable. Dans l’anorexie, l’émotion est niée, verrouillée. Dans la boulimie, l’autre extrême, c’est la coulée incessante de souffrances. On se fait du mal.

3.1. Quand trop de contrôle conduit à la perte de contrôle

Parce qu’elle ne contrôle pas son entourage, elle cherchera à contrôler la seule chose qui lui appartienne : son corps !
Avoir le contrôle : Sarah, comme beaucoup de malades qui souffrent de  trouble du comportement alimentaire, manquait de confiance en elle. Elle rêvait d’avoir le contrôle sur sa vie, les autres, son avenir. Elle avait plus besoin de maîtrise que quiconque. L’anorexie, au début, lui a apporté cette maîtrise. Elle lui donnait l’illusion du contrôle de ses émotions, de son assiette, des calories, du poids sur la balance. Elle avait là un moyen concret, indiscutable, de montrer, de se montrer qu’elle avait bien le contrôle de quelque chose. C’est bien pourquoi elle poursuit, souvent sans s’en rendre compte, sa course dans l’anorexie. Plus elle maigrit, et plus, croit-elle, elle contrôle. Experte en anorexie ! Mais, dans 30-40% des cas, cette maîtrise, parce qu’elle n’est pas physiologique, n’a qu’un temps. Court ! La malade, parce qu’elle a voulu ce contrôle excessif, explose dans son contraire : la crise compulsive alimentaire.

4.1. Elles rêvent d’être altruistes, sans voir leur narcissisme

Être utile : Ces malades souvent rêvent de consacrer leur vie aux autres, d’être utile. Elles veulent être infirmière ou médecin, travailleur social ou enseignant. Mais l'anorexie ou la boulimie a pris le dessus.  La maladie contrôle tout, pousse la malade à des comportements obsessionnels qui n’ont pas de sens et qui lui bouffent tout son temps. Les études ne l’intéressent plus, son boulot l’ennuie, les autres la jugent, la critiquent. L’anorexie l’écarte des autres : elle a d’autres préoccupations, trop alimentaires ! Il n’est plus question d’amour, de partage, de rires. On parle de calories, de haricots verts, de suppression du beurre, de grammes perdus sur la balance. Parfois, on cuisine pour l’autre, mais c’est juste pour s’assurer qu’il ne mange pas moins que vous. La malade boulimique, elle, est capable de quitter un proche pour aller faire sa crise, de lui mentir, de lui prendre un peu d’argent, voire de voler sa « bouffe ».

5.1. Tant besoin des autres et pourtant si seules !

Être proche des autres : Toutes ces malades ont besoin d’être proches des autres, d’être aimées. Elles ont travaillé dur au collège, au lycée pour ça. Elles voulaient être parfaites. Pour être aimées en fait ! Elles ont tellement besoin d’une relation intime forte. Elles veulent tellement qu’on tienne à elles. C’est sans aucun doute pour ceci qu’elle n’arrive pas à lâcher le trouble alimentaire. Mais dans l’anorexie, il n’y a plus rien. Elle n’y trouve pas de preuve d’amour. Ses copains et ses copines s’écartent tout doucement d’elle, ses parents ne la supporte plus guère, ce sont avec eux des conflits ou de l’indifférence affichée. Son père, parce que les hommes n’ont quasiment jamais cette maladie, ne la comprend pas plus. Petit à petit elle maigrit et elle fait peur. On s’écarte d’elle comme d’un animal pestiféré. Ses traits émaciés font peur, et ne témoignent pas de son amour, comme elle voudrait. Ceci l’écarte des autres et les autres le voient bien, qui s’écartent à leur tour ! Quant à la malade boulimique, c’est pire, car la boulimie se met au travers des autres. Quand le besoin de crises se fait fort par exemple, la malade y cède et quitte les autres, elle qui a tant besoin d’eux !

6.1. Un monde d’incompréhension pour elle qui aimerait tant être comprise !

Être comprise : C’est une de ses priorités, être comprise. Car son besoin d’amour est fort et ses émotions à fleur de peau. Elle aurait bien voulu pouvoir dire à son père qu’elle avait besoin de son affection. Elle aurait voulu parler de sa souffrance, de sa difficulté à être aimée, de ses doutes et de ses exigences, de sa peur de l’avenir. Que quelqu’un la comprenne enfin, dans toutes ses dimensions, surtout dans sa crainte d’être impuissante face à la vie. L’anorexie mentale, la boulimie voulaient dire ceci : je ne vais pas bien. Mais aller dans l’anorexie ou la boulimie, malheureusement, ne résout rien. Car personne n’y comprend rien ! Car la maladie n’exprime rien, et pas en particulier la raison de sa souffrance. Elle dit seulement un mur, entre soi et les autres ! Un mur si haut que nul ne pense pouvoir l’escalader. Les parents sont présents bien sûr, ils s’occupent de faire manger Sarah, mais ce geste, cette attention l’agacent. Ce n’est pas ce qu’elle recherche, elle ne veut pas de cette sollicitude. C’est si peu que ça l’énerve, ça la déprime ! « Je vais mal », pense-t-elle dire ; mais les autres entendent une autre voix, celle de l’anorexie « elle est sur son nuage, n’écoute rien », pensent les autres. Elle avait tant besoin d’être comprise et aimée et pourtant, la maladie, l’anorexie ou la boulimie, l’isole comme jamais !

7.1. Elle croyait renforcer sa confiance et n'a trouvé que méfiance

Avoir confiance : Sarah rêvait d’un monde de beauté et de douceur, où les gens s’aimaient et se faisaient confiance. Sarah avait toujours eu cette soif de vérité, de justice. Mais l’anorexie mentale s’est installée en elle et elle ne se reconnaît plus : elle doute des autres, elle se méfie de sa mère, avec sa sollicitude agaçante, de son père, avec son silence, de ses copines, qui croient pouvoir lui dire qu’il faut manger. Qu’elles aillent se faire f… mais où est donc cet amour qu’elle avait ? Et cette soif de vérité : car elle ment « oui, j’ai mangé au lycée », « non, ça fait trois jours que je n’ai pas vomi », « tu vas être contente, j’ai pris un kilo », « non, j’ignore où est le billet de 20 euros qui était sur la table », « je finis de manger dans ma chambre, j’ai du travail ». L’anorexie, la boulimie ont tissé leur toile, entre elle et le monde, entre elle et celles et ceux qu’elle aime. La malade se méfie de tous, ne fait plus confiance en personne, surtout pas en elle. Elle croyait au départ renforcer sa confiance et elle n’a trouvé en fait que méfiance, suspicion, mensonge, dissimulation.

8.1. Quand le sentiment de toute puissance rime en fait avec "drogue"

Le sentiment de puissance : Au début, on se sent fort, plus pertinent. Quel sentiment de puissance, ces premiers kilos perdus ! Tant de malades se disent qu’avec le jeûne, l’amaigrissement, la réduction des portions alimentaires, ils montrent leur compétence. Les autres vont voir leur volonté, leur détermination. On ne pourra pas dire qu’ils sont banals.
Puissance ? Non, droguée en fait, droguée de ce jeûne qui s’impose à vous, droguée de cette bouffe que vous ne prenez pas, mais à laquelle vous ne cessez de penser, droguée de cette bouffe que vous ingurgitez goulûment sans faim ni plaisir dans cette crise de boulimie. Impuissante en fait face à la pensée anorexique qui vous emplit toute, qui vous gouverne, impuissante face à la crise de boulimie qui vous met à plat et vous donne ce si fort sentiment de perte de contrôle.

9.1. Une conduite morbide pour apprivoiser la mort !

Frôler la mort pour mieux l’apprivoiser !
La peur de la maladie et de la mort : Combien de fois ai-je entendu ces malades me parler de leur peur de la mort : combien la perte de quelqu’un de proche était pour elles insupportable ! Et pourtant, l’anorexie mentale et la boulimie tuent, elles enterrent vos sentiments, votre ressenti, votre relation aux autres. C’est une véritable désertification. Dans l’anorexie, les doigts, les mains, la peau, les cheveux, l’os en proie à l’ostéoporose, les douleurs digestives dégradent votre santé. On a peur de l’obésité et du diabète et on meurt de dénutrition ! On craignait pour la santé et la vie de ses parents, de ses enfants, et l’anorexie comme la boulimie provoquent chez ceux qui vous aiment dépression, angoisse, maux de tête, prise de tête et consultations auprès de psy !

10.1 Elle voulait peser "lourd" et elle devient transparente !

Le poids de la personnalité : On voudrait peser lourd. Dans sa vie, dans la vie des autres. Être « un poids lourd » dans la société, dans le regard des autres. On veut que son amour ait du poids, on veut compter pour les autres, être important, avoir SA place. Et l’anorexie vous rétrécit, vous racornit, vous rend si légère que vous en êtes invisible. On se croit invincible dans l’anorexie et on est battue par la boulimie. On croit que l’autre vous accorde toute son attention, depuis qu’on est malade, mais en fait il ne regarde que l’anorexie mentale ou la boulimie en vous, il ne s’occupe que d’elle, que de poids, de féculents.
Avec l’anorexie ou la boulimie, vous vous retrouvez seule, sans poids, sans place dans votre propre vie. L’anorexie a semé la maîtrise et vous ne récoltez que du vide.

Publié en 2010