Mme Sophia DUCCESCHI, Psychothérapeute (Paris
Difficile voire impossible de circonscrire une origine unique et précise du sentiment de culpabilité chez les personnes souffrant de Troubles du Comportement Alimentaire (TCA). Seule certitude : il est toujours présent !
Ce sentiment de culpabilité se manifeste de diverses façons et influence souvent la restriction alimentaire ou le passage à l'acte de la crise boulimique. La personne subissant une telle culpabilité doute souvent de ses capacités à vivre d'où le manque de confiance en soi que l'on observe dans la majorité des cas. Ce sentiment peut aussi se traduire par une virulente auto dévalorisation et aboutir aux mauvais traitements infligés au corps : crises boulimiques, vomissements répétés, auto mutilation, comportements masochistes...
1. Cette culpabilité se justifie-t-elle dans le réel ?
Jamais ou presque ! Bien au contraire : les personnes souffrant de troubles alimentaires sont souvent à l'opposé du passage à l'acte répréhensible.
Incapables de franchir les limites strictes qu'elles s'imposent, on les imagine mal dans des attitudes offensives à l'égard d'autrui. Il s'agit, dans la plupart des cas de personnes à qui «on ne peut rien reprocher», toujours soucieuses des autres avant même de porter attention à elles, toujours inquiètes des regards étrangers, de ce qu'elles appellent « les jugements ».
Ce mode relationnel ne justifie donc en rien, dans la réalité, les auto-accusations si pesantes qu'elles se portent.
Et si c'était justement cette culpabilité très ancienne qui avait suscité le développement lisse, calme, effacé voire incomplet de la personnalité en question ?
La culpabilité peut être la conséquence de différents faits, plus ou moins imaginaires, plus ou moins conscientisés. On peut ainsi distinguer :
- La culpabilité «oedipienne». Il est normal que les petites filles, à un certain stade de leur développement, nourrissent un sentiment de rivalité envers leur mère. Elles doivent, en effet, partager «le Père» avec cette femme alors qu'elles le voudraient pour elles seules. Ces sentiments hostiles peuvent parfois être très violents. La petite fille peut, par ailleurs, s'en vouloir de ses ressentis inavouables. Il n'est pas simple d'aimer et de haïr à la fois une même personne, encore moins quand il s'agit de sa mère ! Cette rivalité culpabilisante peut parfois prendre du retard dans sa résolution. Il n'est pas rare de rencontrer des jeunes filles voire des jeunes femmes toujours aux prises avec ce conflit oedipien.
- La culpabilité «de l'abus». Les petites filles ayant subi un abus sexuel (attouchements, viol...} se sentent toujours coupables des faits. Pour elles, leur corps les a trahies en suscitant le désir d'autrui. D'autres pensées peuvent encore les accabler : Pourquoi n'ont-elles pas dit «non» ? Pourquoi ne pas en avoir parlé plus rapidement ? Autant d'interrogations qui viennent conforter une culpabilité bien illégitime mais si souvent ressentie par ces petites victimes. En grandissant, le plus grand de leurs soucis devient la maîtrise totale du corps, des pulsions et pourquoi pas la disparition de tout signe de féminité surgissant à l'adolescence.
- La culpabilité « événementielle » ou «de fait » : II arrive parfois, bien malheureusement qu'un événement dramatique de la vie se produise au «plus mauvais moment pour la fillette». Telle cette petite fille qui, en proie à une jalousie fraternelle suite à la naissance de sa petite sœur est amenée plus ou moins consciemment à en souhaiter la disparition (quel aîné n'a pas été concerné par ceci ?). Rien de bien anormal jusqu'à ce que la petite sœur soit victime de la mort subite du nourrisson. L'aînée grandira avec la conviction que ses pensées ont influencé les faits, qu'elle a, en quelque sorte, tué sa sœur ! On imagine facilement toute la culpabilité qui en découlera.
- La culpabilité « sacrificielle » : Certaines personnes souffrant de TCA sont convaincues qu'elles doivent impérativement être « utiles » ! Sans cette raison d'être, elles seraient « un poids » pour leur famille et pour la société. Elles se considèrent aussi très souvent comme la cause de tous les maux de leurs proches ; comme responsables de leurs parents. Elles se doivent de porter autrui comme elles mêmes ne l'ont jamais été. Rapport au monde culpabilisant ? Hypersensibilité émotionnelle ? D'où que vienne cette omnipotence qu'elles s'imposent, c'est dans un esprit d'esclavage affectif que ces fillettes vont grandir et encore une fois dans la négation d'elles mêmes !
À ces différents types de culpabilités s'ajoute souvent celle même d'être malade, de rendre ses parents malheureux, de ne pas répondre à leurs espoirs et de ne pas réussir à s'en sortir !
Ces exemples ne représentent pas une liste exhaustive des causes du sentiment de culpabilité chez les personnes atteintes de TCA, mais ils montrent combien les raisons de culpabiliser peuvent être variées. Elles peuvent remonter au plus jeune âge, être totalement injustifiées et souvent indépendantes des actes et pensées de l'entourage.
Cette culpabilité, quelle que soit son origine, vient sournoisement s'installer sur un terrain d'hypersensibilité innée et sur une capacité de résilience certainement plus faible que chez d'autres personnes.
La culpabilité serait-elle une des causes du TCA ? Symptôme jaillissant à l'adolescence tel un cri de désespoir, un appel au secours pour la survie d'une personnalité jusque là entièrement dévouée à la volonté d'autrui, d'un Moi soumis à l'autorité d'un censeur interne et redoutable ? Si la culpabilité était une des raisons du symptôme, du TCA, celui-ci ne prendrait-il pas valeur de « punition » ?
Publié en 2009