Anorexie, boulimie, compulsions alimentaires : l'association peut vous aider à voir les choses Autrement

Anorexie mentale et boulimie
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Boulimie : la traiter par les médicaments en 2018


Pr Daniel RIGAUD, Nutrition (Dijon)

 

Les années 2000 ont vu l'arsenal thérapeutique contre la boulimie s'enrichir notablement. De nouveaux médicaments sont apparus et d'autres ont fait la preuve de leur efficacité.

Définition : La boulimie se définit comme la survenue au moins deux fois par semaine depuis au moins 3 mois de crises compulsives alimentaires ponctuées de vomissements provoqués (90 % des cas) ou d'autres comportements visant à "éliminer la crise" (jeûne, hyperactivité physique intensive, laxatifs).

1. Rappels utiles concernant le contexte

Dans la boulimie, il y a quasiment toujours une "pensée anorexique" aussi forte que celle des malades atteints d'anorexie mentale (la pensée de maigirir est aussi forte).

Dans la boulimie, il y a très souvent une anxiété, un état dépressif et des troubles de l'humeur (labilité, irritabilité) qui sont accrus par les crises : plus la malade fait de crises, plus elle a honte, plus elle est anxieuse et.. plus elle fait de crises !

La boulimie associe donc et fortes crises de compulsion et poids (IMC) normal et besoin de contrôle et sentiment fort de perte de contrôle et vomissements provoqués et dégoût de soi. Le plaisir est plutôt absent, le dégoût de soi toujours fort et la souffrance des patientes très importante. L'activité physique est souvent accrue au début.

La guérison y est un long processus : L'évolution de la boulimie est émaillée de rechutes. Pour autant, la guérison est obtenue dans deux tiers des cas, au bout d'un long processus.

Si nous avons des traitements pour obtenir la rémission, nous n'avons pas de traitement qui guérissent les malades. Les traitements permettent seulement au malade d'accéder au chemin de guérison.

2. Le traitement de ces TCA doit être actif

Il comprend :

  • Un travail sur le comportement alimentaire et les repas,
  • Un travail sur l'équilibre nutritionnel et la correction des carences éventuelles.
  • Un travail aussi sur l'excès de contrôle et l'anxiété, la dépression et les troubles de l'image corporelle.

Statistiquement, plus la malade arrive à mettre en place des "vrais repas" qui couvrent ses propres besoins, moins elle fait de crises. Elle doit pour ceci être aidée par un ou des thérapeutes. Au final, il faut à la malade se mettre à table !

Donc, quil y ait ou non un traitement médicamenteux des crises de boulimie elles-mêmes, il convient de toujours mettre en œuvre une prise en charge diététique et comportementale prenant en compte la personne elle-même dans sa complexité.

Car ce qui compte, c'est "l'après médicament" : que faut-il mettre en place pour éviter la rechute à l'arrêt du médicament prescrit.

Pour conclure, nous disons que le traitement médicamenteux permet (le plus souvent) la rémission des crises, mais pas la guérison. Il ne peut pas remplacer tout traitement +++

2.1. Base essentielle du traitement médicamenteux de la boulimie

Les études publiées suggèrent que le traitement doit être de longue durée : en tout cas pas inférieur à 6 mois. L'ensemble des auteurs s'accordent sur une durée de 9-12 mois suivant la gravité de la maladie.

La "montée en charge" doit être progressive, car les 3 médicaments utiles contre les crises ont tous des effets secondaires : dans le doute, il convient d'en parler avec son médecin traitant pour savoir si l'effet indésirable constaté peut être imputable au médicament.

L'arrêt doit, lui aussi, être progressif pour éviter la rechute à l'arrêt.

Se rappeler que si les repas ne sont pas assurés et pas conformes aux besoins corporels, il y aura quasiment toujours rechute.

Nous avons 3 médicaments efficaces contre les crises de boulimie.

Prescrire un médicament contre les crises n'est pas le traitement qu'on doit mettre en place en premier +++











3. Anti-dépresseurs sérotoninergiques (IRS)

(inhibiteurs de la recapture de la sérotonine au niveau des synapses nerveuses) : Ils ont fait la preuve de leur efficacité dans 20 études prospectives contrôlées, dont 12 contre groupe contrôle comportant un placebo et en double insu (ni le patient, ni le thérapeute ne savent si le patient prend le médicament ou le placebo). La 1ère étude remonte à 1989 (fluoxétine). Que conclure ?

  1. Efficacité globale : Les IRS sont efficaces contre les crises. Ils en diminuent la fréquence, la durée et l'intensité chez environ 50-65 % des malades. Ils réduisent aussi les vomissements "hors crises" chez 3/4 malades. Ils améliorent la qualité de vie et l'humeur chez les déprimés. Ils réduisent le risque de rechute, tant qu'ils sont poursuivis. Résultats : Chez environ 15-20 % des malades, une rémission complète est observée. Chez 30 % des malades, une rémission incomplète mais importante est notée (diminution de plus de 50 % des crises). Chez 20-25 % des malades, on ne note aucun effet positif.
  2. Dose utile : Les IRS sont efficaces à la dose de 2 ou 3 gélules/j et sont inefficaces à 1 gélule 'ex. : fluoxétine 40 ou 60 mg/j et pas 20 mg/jour. Une gélule ou zéro, c'est pareil. Ce n'est en aucun cas un médicament à prendre à la demande : il faut prendre ses gélules tous les matins, crise ou pas.
  3. Action décalée : L'effet est décalé dans le temps, il faut le savoir : les IRS n'agissent qu'au bout de 2 voire 3 semaines en moyenne. Ce n'est pas le médicament à prendre contre la crise du lendemain.  ► Donc pendre l'IRS pendant 4 semaines avant de conclure à son efficacité (ou à l'échec). Conseils : Ex. : on prend 2 gélules le matin, on voit ce que ça donne au bout de 3 semaines : si aucun effet, arrêter ; si un effet certain mais limité : passer à 3 gélules et analyser le résultat 3-4 semaines plus tard..
  4. Arrêt du traitement : il doit être progressif et jamais avant 9 à 12 mois. En cas d'efficacité (si la fréquence des crises a diminué), il faut diminuer très progressivement la dose, sur 3 mois environ (plutôt l'été ?). Ex. : si vous prenez 2 gélules par jour, ça fait 14 par semaine. La semaine suivante, vous passez à 12, la semaine d'après à 10, puis la semaine d'après à 7 (1 gélule/jour)…
  5. C'est le Prozac® qui a été le plus étudié. Ensuite, le Floxyfral® et le Seropram® et le Zoloft®.
  6. Les IRS ne font pas mieux que la TCC. Associés à la TCC, ils font (un peu) mieux que la TCC seule ou les IRS seuls.
  7. Les IRS semblent plus efficaces dans la boulimie (15-20 % de rémission complète [versus placebo] dans la boulimie contre 7-15 % dans la compulsion ; réduction des 3/4 des crises chez 60-70 % des malades (boulimie) contre 45-65 % (compulsion).
  8. Les effets indésirables : Les plus fréquents : anxiété accrue, tension, insomnie, fatigue, céphalée (mal de tête), diarrhée, nausées, vomissements (plus rares ici), palpitations, mais aussi troubles de l'humeur ; enfin, réactions allergiques et convulsions possibles chez personnes prédisposées (voir fiche doctissimo : ). Si doute raisonnable sur troubles du rythme cardiaque, faire un électrocardiogramme (ECG : allongement de l'espace QT).
  9.  Ne pas utiliser chez : les adolescents où on a décrit des tentatives de suicide et une agressivité plus fréquentes qu'avec le placebo.

4. Le topiramate

C'est un antiépileptique (épilepsie = maladie faite de convulsions avec en règle perte de connaissance transitoire et morsure de la langue). Ce médicament est souvent utilisé dans le traitement des enfants, adolescents et adultes épileptiques. On le connait maintenant bien. Le topiramate agit par un circuit qui n'est pas le même que celui des IRS (voir ci-dessus). Il est actif sur un circuit dopaminergique et pas sérotoninergique. ► Il peut donc être essayé si l'IRS n'est pas efficace.

Une dizaine d'études scientifiques ont été publiées, dont neuf font état d'un effet significatif net. La 1ère date de 2001.

  1. Efficacité globale : Elle est avérée. Le topiramate est sans doute le plus actif des médicaments que nous avons en 2018 contre les crises de boulimie. Il permet une rémission complète chez 30-35 % des malades et une rémission partielle (diminution de plus de 50 % des crises) dans 40 % des cas. La réduction du nombre de crises est en moyenne de 60-70 % : sous traitement, un malade qui faisait 18 crises par semaine n'en fera plus que six ! Chez 10-15 % des malades, aucune efficacité n'est notée.
  2. Dose utile : La dose utile est de 150 à 300 mg/jour, le plus souvent, en 3 prises.
  3. Action immédiate et durée courte : Son action est rapide (on la voit en quelques jours) et dose-dépendante. La dose utile se situe dans deux cas sur trois entre 50 mg à 100 mg par prise, soit 150 à 300 mg/j. La durée d'action est de 8 h. On peut ainsi ne donner qu'une prise à 17 h chez les personnes qui ne font pas de crises avant le soir.
  4. Mise en route du traitement : On commence à petite dose (25 mg) 1h30-2h avant l'heure habituelle des crises. On test ainsi la tolérance, mais c'est une dose trop faible habituellement. Si cette dose réduit les crises tant mieux, mais ce ne sera sans doute pas suffisant. Puis on augmente par pallier de 25 mg. Il est raisonnable de ne pas dépasser 300 mg/jour.
  5. Arrêt du traitement : On ne doit pas arrêter le traitement, si efficace, avant 9 à 12 mois. L'arrêt doit être progressif : baisser de 25 mg par jour avec paliers d'une semaine. Ex. : le malade est à 100 mg x 3 / jour : passer à 75 mg x 3 pendant une semaine, puis à 50 mg x 3 pendant une semaine…
  6. Il semble aussi efficace dans la compulsion que la boulimie.
  7. Effets indésirables : Ils touchent 10-20 % des malades : il s'agit avant tout d'altérations de la sensorialité (paresthésie [sensations cutanées bizarres], distorsion auditive, visuelle ou olfactive). On a décrit aussi : tendance dépressive, trouble de l'humeur, insomnie, troubles digestifs, rhinopharyngite (mécanisme ?), vertiges. Contrindications : grossesse, troubles visuels connus (dans le doute, consultation ophtalmo). Effets secondaires sérieux : Un état dépressif "sérieux" (à traiter) et les troubles de l'acuité de la vision (baisse ou vision trouble) survient dans 4-8 % des cas ► arrêt immédiat du topiramate et consultation en ophtalmo. Autres effets assez fréquents (10-15 %) : paresthésies, altération de la sensorialité (dysgeusie, distorsions auditives, olfactives ou visuelles) ► voir avec le patient s'il préfère arrêter ou non. En cas de distorsion de la vision chez un conducteur habituel : ne pas prescrire ou arrêt immédiat (voir fiche doctissimo).

5. Les nouveaux : le baclofène

C'est un myorelaxant (Liorésal®, Zentiva®) qui a des propriétés GABAergiques lui aussi. Il est très efficace et très anorexigène. Il faudra donc que la personne malade ait mis en place de vrais repas pris à table avant de le prescrire.

En fait, très peu d'études (comparé au topiramate ou aux antidépresseurs IRS) ont été effectuées : six études scientifiques sont disponibles seulement, dont 5 ont mis en évidence son efficacité.

  1. Efficacité globale : Elle est avérée. Environ 20-30 % des malades sont en rémission complète et 25-30 % autres sont en rémission partielle (réduction de plus de 50 % des crises). Le baclofène est inefficace chez 15-20 % des personnes traitées. La dose efficace est parfois de 10 mg par prise, mais souvent de 20 mg. L'efficacité est vite mis en évidence (quelques jours) ► si aucun effet au bout de 7-10 jours : arrêt.
  2. Durée d'action : Elle est de 3 h. Donc, s'il y a des crises de 18 à 24 h, donner une dose (10 mg puis, si échec, 20 mg) à 17h00, une à 20h00 et une à 23h. S'il n'y pas de crise jusqu'à 17h, ne commencer le baclofène qu'à partir de 16h00.
  3. Dose utile : Elle est le plus souvent de 10 mg x 6 à 8 fois par jour. Le médicament doit être pris toutes les 3 heures (4 h max). S'il n'y a jamais de crise à un moment de la journée, sauter la dose.
  4. Action immédiate de courte durée : La durée d'action est de 3-4 heures. L'efficacité est mis en évidence en moins d'une semaine..
  5. Mise en route : Commencer à petite dose. Il n'est pas raisonnable de dépasser 80 mg/jour (au-delà, on a noté un risque de surmortalité chez des personnes alcooliques sous baclofène).
  6. Le baclofène est très anorexigène (vérifier les repas et ne pas accepter une perte de poids). Ne pas donner en cas d'IMC bas : anorexie-boulimie. Il est plus efficace dans la compulsion que dans la boulimie (10 % en plus).
  7. Arrêt du traitement : ne pas arrêter avant 9- 12 mois. L'arrêt doit être progressif, sur plusieurs semaines.
  8. Effets secondaires : avant tout vertiges, fatigue, insomnie, sécheresse de la bouche et acouphènes, sédation, somnolence surtout en début de traitement, nausées, confusion, , maux de tête, difficulté à coordonner des mouvements, tremblements, dépression, euphorie, hallucinations, troubles de la vue, difficultés à respirer, diminution de la tension artérielle, vomissements, constipation, diarrhée, sécheresse de la bouche, éruption cutanée, sueurs, problème pour uriner...

Conclusion

Trois médicaments ont fait la preuve de leur efficacité contre les crises de boulimie.

Ils agissent sur des circuits sérotoninergique (IRS) ou dopaminergique (baclofène, topiramate).

Un médicament, dans la boulimie, ne doit pas être prescrit d'emblée. Il faut mettre en place, avant, la psychothérapie.

En réduisant les crises (fréquence, durée), les médicaments permettent souvent d'améliorer l'humeur et le sommeil.

Mais ils peuvent avoir aussi, par eux-mêmes, des effets négatifsi sur l'humeur (irritabilité, état dépressif ou anxieux).

Ces médicaments doivent être pris sous contrôle médical strict.

Il convient d'augmenter la dose prudemment et d'arrêter, en fin de traitement, après au moins 9 mois, progressivement.

La prescription d'un de ces médicaments ne doit pas faire oublier l'intérêt de la psychothérapie associée.

 

Publié en 2018.03