Pr D. RIGAUD et Hélène PENNACCHIO - Dijon
Depuis longtemps, une habitude, qui nous semble fâcheuse, a été prise par les services hospitaliers qui prennent en charge des malades atteints de troubles du comportement alimentaire (TCA), en particulier l'anorexie mentale et la boulimie : l’isolement.
Ce ne serait pas si grave si ce n’était pas aussi un mode de pensée. Or il nous semble que ce mode de pensée et l’isolement physique qui le représente est d’un rare illogisme dans ces maladies que sont l'anorexie mentale et la boulimie.
Et, au plan conceptuel, de quel droit enferme-t-on des malades consentants à être hospitalisés pour se soigner ?
Il nous semble enfin que cette pratique est un pêché contre l’esprit et ne trouve guère de justificatif dans un pays démocratique. Mais tentons d’analyser le problème.
L’isolement consiste à obliger la patiente souffrant d'anorexie ou de boulimie à rester dans sa chambre d’hôpital, que la porte soit fermée à clé ou non.
La malade n’a pas le droit de quitter sa chambre, pas le droit de recevoir de la visite, ni de téléphoner ; Elle peut ou pas recevoir du courrier (selon les cas) ; Elle mange dans sa chambre, seule ; La porte des toilettes est habituellement fermée à clé ; Elle doit demander la permission pour utiliser les toilettes (brossage des dents, toilette corporelle). La peur est ici que la malade en « profite » pour vomir ou recracher sa nourriture.
Un contrat de poids est un contrat de prise de poids : selon le poids pris, la malade se voit accorder des avantages qu’elle n’avait pas. C’est le système du « bâton et de la carotte » pour l’âne.
En pratique ceci se pratique de la façon suivante : une anorexique par exemple entre à l’hôpital avec un poids de 38 kg pour 1,65 m. On lui explique qu’elle sera isolée. Elle accédera à des avantages en fonction du poids pris.
Voici un exemple : De 38 à 41 kg, l’isolement reste total (d’un point de vue nutritionnel, 3 « vrais » kilos se prennent en 3 semaines, à condition de manger à hauteur de 2300 à 2500 kcal/jour. Soit 3 fois plus qu’avant d’arriver à l’hôpital !).
A 41 kg, elle a droit à un coup de téléphone/semaine.
A 42 kg, elle a droit à 2 coups de téléphone.
A 43 kg, elle recevra la visite des parents, mais en nombre et temps limités (une fois/semaine).
A 44 kg, première sortie hors de la chambre, pour aller par exemple aux ateliers « thérapeutiques » (!).
A 45 kg, première promenade.
La malade anorexique ou boulimique est seule, très seule. Elle s’est isolée elle même depuis longtemps. Elle s’est rétractée, a perdu toute sensation. Elle a peur même du contact avec les autres.
Il lui faudra des années de travail pour échapper à cet isolement consenti « librement » à la maladie ! Pourquoi en rajouter ?
Elle a perdu confiance dans les autres et a le plus grand mal à instaurer avec autrui des rapports sans méfiance. Pourquoi en rajouter ?
Elle doit s’ouvrir (et on l’enferme). Elle doit se tourner vers les autres et arrêter de se regarder le nombril (et on la contraint à ne penser qu’à elle et à sa maladie).
Elle doit partager (et on la laisse seule).
Sur un plan plus général, n’est-ce pas paradoxal par ailleurs qu’à une époque où tous les services psychiatriques se sont ouverts (sortie en permission de malades psychotiques ou dépressifs), les seuls malades que l’on enferme toujours soient les anorexiques et les boulimiques.
Dans la prise en charge des adolescents, l’accent est actuellement mis sur la confiance, la pensée positive, la responsabilisation face au monde des adultes.
Sur un plan plus philosophique, nous avons du mal à accepter que des malades si fragiles, si inquiètes, anxieuses, si soucieuses de leur propreté soient isolées au point qu’elles ne puissent pas assurer simplement les besoins hygiéniques corporels.
Le Dr X. dit à une patiente souffrant d'anorexie : « le poids n’est pas si important ; arrêtez d’être fixée dessus. Ce n’est pas ça qui compte dans la vie ». Et il ajoute : nous allons vous isoler et vous n’aurez droit à une permission qu’à 43,6 kg (drôle !).
Et un poids, ça se manipule : n’en rajoutons pas
Et un poids, c’est variable en fonction de critères physiologiques (l’eau)
La sortie de l’hôpital est un grand moment !
Tellement attendu et aussi tellement angoissant !
Après une hospitalisation d’une telle durée (plusieurs mois parfois), les malades attendent la sortie comme une délivrance.
Mais quelle angoisse de se retrouver seule face à ses repas, sans personne pour vous « garantir » que c’est « diététiquement correct ». Et quelle responsabilité aussi d’être obligée, soi-même, d’organiser les repas. C’était plus facile quand c’était « l’autre » qui décidait !
Face à cette sortie qui angoisse et ravit en même temps, et ceci concerne bien des malades, une réflexion s’impose :
Pour ceci, il lui faut des permissions les semaines précédentes, pour qu’elle se lance des défis, tant alimentaires que comportementaux : une sortie au restaurant, une brioche à « 4 heures », la gestion de son temps et de ses repas.
Le contrat de poids est réducteur dans la prise en charge des malades car il ne suffit pas d’atteindre le poids que le thérapeute à fixer pour guérir.
Cette méthode d’hospitalisation fait souvent fuir les malades. Pour n’importe qui, l’isolement en chambre est bien difficile. Cela le sera d’autant plus pour ces malades qui sont souvent hyperactives. Résultat, elles préfèrent ne pas se faire hospitaliser et pourtant c’est souvent un passage obligé pour que la malade « prenne les armes nécessaires » pour pouvoir ensuite continuer son combat contre la maladie en ambulatoire.
Enfermée dans sa chambre, la malade a souvent l’impression d’être punie. Elle n’est pas malade, elle a commis un crime !
Elle qui manque déjà de confiance en elle, qui a un problème avec son identité, a vraiment le sentiment d’être rabaissée. Je n’ai pas la parole … Alors, qui suis-je ? Je ne compte pas aux yeux des autres…
Du coup, elle se trompe de cible : au lieu de lutter contre la maladie, elle lutte contre le personnel : alors elle dissimule, elle vomit, elle boit de l’eau pour prendre du poids plus vite, etc…
Il n’y a pas de justification à l’isolement, sauf cas très particulier, et à la demande du malade.
En effet :
Publié en 2008