Pr D. RIGAUD - Président d'Autrement
La thérapie cognitivo-comportementale (TCC) est une des psychothérapies possibles. Il y en a beaucoup d’autres. La plus connue est la psychanalyse.
La TCC est quasiment le contraire de la psychanalyse. Dans cette dernière, on cherche les causes d’un problème dans l’enfance, voire la petite enfance, voire même la vie in utero. Dans une psychanalyse, très souvent, le thérapeute parle peu (ou pas), attend que le patient utilise le matériel issu de ses rêves et ne s’occupe pas vraiment du symptôme. Ce dernier ne l’intéresse que pour autant qu’il lui donne des pistes pour comprendre, avoir accès à l’inconscient de son patient. Donc, assez souvent, le malade s’entend dire que ses symptômes n’ont pas d’intérêt. Ce n’est pas faux en soi, mais pas toujours facile à comprendre pour la malade. Et surtout pas toujours efficace.
Dans la TCC, on n’attache aucune valeur à ce travail de recherche d’évènements perturbants ou traumatisants dans l’enfance. On se limite au(x) symptôme(x) actuels.
L’origine de la TCC est, assez curieusement, l’analyse des comportements animaux. Comme ceux-ci ne sont pas doués de paroles, les chercheurs ont voulu comprendre la pensée des animaux en question (chien, chat, singe, pieuvre) à travers leurs comportements. L’idée de base est que le comportement est issu de nos pensées, y compris de nos pensées inconscientes. Même si le sujet ne le sait pas avec sa conscience, il réagit à ses pensées et à son environnement par son comportement.
La 2ème idée clé de la TCC est que toute cause a un effet, mais que cet effet retentit sur la cause et la modifie. On n’est donc pas du tout dans un raisonnement logique, mais phénoménologique. Dans le raisonnement logique, un coup de marteau casse la vitre ; mais la vitre cassée ne modifie pas le marteau. Dans le raisonnement cognitivo-comportemental, l’effet agit sur la cause. C’est très souvent le cas en physiologie (les lois qui régissent le fonctionnement du corps, notamment celui du corps humain). Ainsi, la glycémie (le taux de sucre dans le sang) monte après un repas ; il en résulte une sécrétion d’insuline qui fait baisser la glycémie ; et la glycémie en baissant faire « réagir le système », ce qui conduit à faire baisser l’insuline qui a fait baisser la glycémie. On appelle ceci une régulation et une contre-régulation : l’insuline régule la glycémie qui régule l’insuline à son tour.
Dans la TCC, on part du principe supplémentaire que, pendant que ceci se passe, le sujet apprend ce qui se passe, en tire des conclusions et adapte son comportement futur à ce qu’il a appris.
Le sujet mange aussi en fonction du repas suivant : Il est logique de penser que la quantité de ce que le sujet mange à un repas donné est fonction de ce qu’il a mangé avant. C’est vrai, mais pas tant que ça.
Un exemple : le petit déjeuner est petit justement, alors qu’il fait suite au temps passé à jeun le plus long (il y a 10 h entre le dîner et le petit déjeuner). En revanche, il sera suivi rapidement (3-4 h après) d’un « gros » repas ; donc on mange peu au petit déjeuner ! L’homme (et l’animal), se faisant, a obéit à un apprentissage : il sait quelle quantité va lui être servie et « ajuste » son comportement alimentaire de façon anticipée.
Un autre exemple : une malade boulimique ne mange pas aux repas parce qu’elle va faire une crise. Or elle sait aussi que la crise va être vomie ! Mais, en ne mangeant pas, elle « apprend » (sans s’en rendre compte) qu’il lui faut donc manger plus la fois prochaine : elle se l’interdit… et crise d’autant plus.
Un humain (ou un animal d’ailleurs) sait qu’il mange et ce que ça fait à l’intérieur. Ainsi, un sujet qui a faim, puis qui mange et qui n’a plus faim, apprend ce qui le rassasie. Une malade anorexique qui ne mange pas n’a plus de conséquence à sa faim, donc perd ses sensations. C’est ce qu’elles disent toutes : je ne sais plus ce que je ressens, je voudrais retrouver des sensations. Mais pour ceci justement il faut… qu’elle mange à « sa faim ».
Il y a deux idées dans cette appellation de la TCC : comprendre (cognitif, c’est à dire la pensée consciente et « réfléchie ») et modifier le comportement pour voir ce que ceci fait.
La TCC, par opposition à la psychanalyse, est une thérapie active : on est dans l’action, pas dans la réflexion. On explique, on propose une action et on analyse avec le patient les résultats.
Les pensées dysfonctionnelles : Au cours de la TCC, on évoque avec le patient les pensées dysfonctionnelles. Il y en a beaucoup. C’est pourquoi on travaille dessus à l’occasion de plusieurs séances.
Prenons l’exemple de l’anorexie mentale :
Il existe un modèle animal qui a des ressemblances avec l’anorexie mentale : celui du rat « jogger au régime ». On soumet des rats à la fois à un régime pour maigrir et à la possibilité de développer une activité physique (accès à une roue qui tourne) ; dans ce modèle, le rat au régime (mais pas le rat qui n’y est pas) se met non seulement à s’activer plus, mais jour après jour, à manger moins. Si on n’arrête pas l’expérience, certains de ces rats meurent de sous-alimentation. C’est la preuve que le système « s’auto-active » tout seul, même si au départ le régime pour maigrir n’était pas la conséquence d’un très grand mal-être.
Dans l’anorexie mentale, la malade a, parfois consciemment, parfois non, différentes pensées. On travaille avec elle pour lui monter, par des questions, qu’elle fait fausse route.
Quelques exemples :
Plus elle maigrit, plus elle ne pense qu’à ça !
et plus elle y pense, plus elle a peur (de craquer)
et plus elle a peur, plus elle est sûre, au fond, qu’elle ne contrôle rien !!!
On peut travailler, de séance en séance, sur la base suivante :
Elle pense… |
Et en fait, il se passe… |
Si je maigris, j’aurais moins faim à force |
En fait, elle a de plus en plus faim |
Si je maigris, j’y penserais moins |
En fait, plus elle maigrit, et plus elle y pense |
Si je maigris, je serais mieux |
En fait, elle est de plus en plus frustrée |
Si je maigris encore, j’aurais de la marge |
En fait, plus elle maigrit et plus elle pense qu’elle a moins de marge (ça ne ‘arrête plus) |
Si je mange moins gras, je serais moins grasse |
En fait, moins elle mange gras, et plus elle se trouve grosse, plus elle ne voit que ses énormes cuisses (avant, elle n’y pensait pas) |
Si je maigris, on m’estimera plus |
En fait, les gens s’éloignent et ne la voient plus |
Si je contrôle mon alimentation, j’angoisse moins |
En fait, plus elle prend le contrôle de son alimentation, plus son angoisse augmente |
Si je maigris, l’autre dit « respect » |
En fait, plus elle maigrit, plus l’autre disparaît |
Est-ce prouvé ? Oui.
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Elles sont dans la maladie : les malades ont du mal à accepter l’idée de lâcher leur maladie ! Elles lâchent plus souvent la TCC que la maladie. On peut penser que seule une malade sur quatre bénéficie vraiment de la TCC, au sens où elle atteint un poids acceptable pour sa taille et le maintient.
Si l’on prend la même système de notation, la TCC obtient 8 sur 10. Son efficacité est prouvée, grâce à des essais contrôlés :
La TCC est, selon des études contrôlées, aussi efficaces que ces médicaments.
Comme dans l’anorexie mentale, on s’appuie sur les pensées dysfonctionnelles et on montre à la malade, en la laissant « active » (par des questions par exemple, plus que par des réponses), que ces pensées « ne fonctionnent pas en fait ».
Une des clés de la TCC est la réalité physiologique suivante :
Elles sont dans la maladie : certains malades ont du mal à lâcher leur maladie, tant le vide est grand autour d’eux, dans leur vie ! Ils se disent : « est-il possible de vivre sans crise ? ».
La TCC est efficace chez une malade sur deux et arrête les crises chez une malade sur quatre définitivement.
Elle aide les autres techniques, y compris la sonde gastrique, à maintenir les résultats obtenus.
Les résultats sont assez voisins de ceux obtenus dans la boulimie, avec un peu moins d’efficacité.
On évoque aussi le cycle infernal « restriction alimentaire » ⇔« frustration » ⇔ « carences » ⇔ « besoin de crises renforcé » ⇔ « angoisse » ⇔ « nouvelle crise pour réduire l’angoisse ».
Publié en 2009