Mme Solange COOK, psychothérapeute, Hôpital Robert Debré, Paris
Historiquement, le développement de la thérapie familiale a été intimement lié au traitement de l’anorexie mentale (AM). Deux pionniers de la thérapie familiale (TF), Minuchin (USA) et Selvini-Palazzoli (Italie) ont développé dans les années 1970 des modèles de « causalité familiale » de l’anorexie mentale qui ont contribué à faire de la TF un traitement de choix dans la prise en charge des adolescents anorexiques. Ces auteurs suggéraient l’existence de particularités familiales qui engendraient, renforçaient ou maintenaient le trouble et qu’il était important de « réparer » à la fois pour que la patiente puisse aller mieux et pour éviter l’émergence de nouveaux symptômes ou de nouveaux porteurs de symptômes dans la famille. Ces familles dites « psychosomatiques » ou « anorexigènes » étaient décrites comme fusionnelles et enchevêtrées, fermées au monde extérieur, valorisant la loyauté au groupe familial au détriment des besoins individuels, évitant les conflits et rigides, donc peu à même d’accueillir les mouvements d’individuation et d’autonomisation caractéristiques de l’adolescence. L’enfant symptôme devenait alors l’agent régulateur (mais aussi dénonciateur) d’une stabilité familiale dysfonctionnelle ou représentait la meilleure adaptation possible de l’enfant grandissant à cette configuration familiale.
Ces modèles de causalité familiale ont été remis en question par les recherches sur le fonctionnement des familles anorexiques et par les thérapeutes familiaux de la génération suivante. Mais ils sont restés vivaces, sans doute du fait de l’efficacité thérapeutique reconnue de la thérapie familiale dans l'anorexie mentale.
En effet, les recherches des années 1990 sur le rôle de la famille dans le développement et le maintien de l'anorexie mentale n’ont pas vérifié les modèles de causalité familiale. Elles ont plutôt montré des organisations familiales très diverses, souvent non pathologiques. De plus, les dysfonctionnements, lorsqu’ils existaient, ne correspondaient pas toujours au schéma classique ci-dessus.
Cette même veine d’études suggérait plutôt :
Les modèles entièrement focalisés sur l’étiologie familiale sont donc vraisemblablement moins utiles sur le plan thérapeutique que ceux qui s’intéressent aux facteurs familiaux de maintien et de devenir, l’objectif de la thérapie familiale étant désormais de mobiliser les ressources et compétences de la famille afin de potentialiser les chances de guérison/amélioration, et d’en décourager les dynamiques délétères pour minimiser les risques de rechutes et de chronicisation.
Dans cet esprit, les études des années 1980-90 (équipes de Maudsley et Stanford) ont démontré que certaines TF incarnant ce nouveau ciblage étaient particulièrement efficaces (en comparaison à la thérapie individuelle) dans le traitement de l’anorexie mentale non chronicisée (< 3 ans) de l’adolescent et de l’enfant, ainsi que de l’adulte dont l’anorexie a débuté à l’adolescence. D’autres études ont précisé les bénéfices spécifiques de certaines TF : « conjointe » (tous les membres présents) ou « séparée » (prise en charge séparée des parents et de la patiente) selon le climat émotionnel de la famille. Enfin, des études plus récentes (Maudsley, S Cook) se sont intéressées à l’efficacité de la thérapie multifamiliale (TMF), utilisée en alternative à l’hospitalisation ou en post-hospitalisation, dans les situations d’échec de la TF ou de risque de rechute ou de chronicisation. Mais la durée et l’intensité optimales de la TF ou TMF restent à déterminer.
Ces 15 dernières années, la prise en charge des enfants et adolescents anorexiques suivis dans le service de pédopsychiatre de l’hôpital Robert Debré s’est largement inspirée de ces nouveaux modèles :
Les principaux objectifs de notre approche familiale sont les suivants :
Les différentes « formules » de thérapie familiale se déclinent dans une perspective pluridisciplinaire intégrative qui implique systématiquement la thérapeute familiale et un(e) co-thérapeute dont le choix dépend de la modalité de soins (consultation externe ou hospitalisation), du type de TF retenu, du stade de maladie et des affinités de chacun : pédopsychiatre, infirmière, éducateur, diététicienne, interne, psychologue…
Suivent, ci-dessous, plusieurs exemples d’activités et techniques thérapeutiques que nous utilisons fréquemment en thérapie familiale/multifamiliale avec l’enfant et l’adolescent anorexiques :
La famille est un facteur non négligeable d’amélioration du jeune patient anorexique et il est essentiel de la mobiliser en tant que partenaire de soins, sans préjuger de ses responsabilités étiologiques et en l’aidant au contraire à se sentir compétente et confiante. Pour ce faire, nous devons tendre vers des modèles de travail familial plus souples, éclectiques et normatifs que les modèles de la première génération. Le travail familial, qui a l’avantage d’inclure la fratrie dans ses interventions, doit et peut s’adapter aux divers besoins, demandes et réticences des familles, et semble incontournable dans la prise en charge des enfants et adolescents anorexiques.
Cook-Darzens S (2002). Thérapie familiale de l’adolescent anorexique : Perspective systémique intégrée. Dunod.
Cook-Darzens S. (2004). 50 exercices pour sortir de l’anorexie. Odile Jacob.
Cook-Darzens S. (2009). La fratrie, dans l’ombre de l’anorexie mentale. ThérapieFamiliale, 30, p. 327-352.
Lock J. et al. (2001). Treatment manual for anorexia nervosa : A family-based approach. Guilford Press.
Minuchin S. et al. (1978). Psychosomatic families : Anorexia nervosa in context. Harvard University Press.
Mouren M.C. et al. (Eds) (2011). Troubles du comportement alimentaire de l’enfant, du nourrisson au pré-adolescent. Masson.
Selvini-Palazzoli M. (1978). Self-starvation: From the intra-psychic to the transpersonal approach to anorexia nervosa. Jason Aronson.
Publié en 2012