Anorexie, boulimie, compulsions alimentaires : l'association peut vous aider à voir les choses Autrement

Anorexie mentale et boulimie
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Autour des TCA
Obésité et compulsions alimentaires Diététique & Nutrition

Importance de l'entourage familial


M. Jean-Michel HUET, Psychanalyste, Sexologue, Paris

1. Se sortir d'un trouble du comportement alimentaire

Du repas comme exemple du soutien thérapeutique d’une aide familiale efficace pour se sortir des TCA

Si parmi toutes les pathologies humaines possibles, il existe bien des pathologies où l’entourage familial et particulièrement parental est le plus souvent incriminé sans autre forme de procès, ce sont bien les pathologies de l’alimentation, universellement référées à un trouble grave de la relation avec la mère. D’ailleurs dès l’invention de l’anorexie essentielle de la jeune fille par LASEGUE en 1873, conjointement à GULL en Angleterre, la famille n’a cessée d’être considérée comme un agent pathogène. A tel point qu’une des premières thérapeutiques, préconisée par CHARCOT, a consisté en un isolement hospitalier strict en dehors de tout contact du milieu familial.

Il ne parait pas réaliste de dégager absolument l’entourage familial de toute causalité (il ne s’agit pas ici de responsabilité). Ce serait aussi caricatural et aussi inexact que lui en imputer tous les maux dans le déroulement et l’histoire de la maladie. Mais l’âge de décompensation à l’adolescence de ces pathologies limite la portée de la causalité familiale unique. Le sujet malade ado est, depuis longtemps, bien plus en contact avec ses pairs ou ses enseignants qu’avec sa famille nucléaire. Aussi peut-on légitimement s’interroger si les troubles du comportement alimentaire (TCA) ne sont pas plutôt une pathologie de la relation humaine, particulièrement de la relation humaine proche, que de la relation familiale. En effet, les études anthropologiques et sociologiques montrent clairement qu’une des caractéristiques particulière de l’espèce humaine est que l’acte alimentaire s’effectue en commun, à la différence des grands singes auxquels nous sommes apparentés de manière proche (Gorilles, Orang-outang, mais surtout Chimpanzés) et de la plupart des espèces animales.

Une observation simple montre que dans à peu près toutes les rencontres humaines ou presque, il existe une offre de nourriture plus ou moins symbolique : repas, bien entendu, mais aussi pot pris en commun, café sur le lieu de travail ou offert chez le coiffeur, bonbons à disposition dans de nombreux commerces, fontaines à eau en libre accès dans de nombreux endroits publics. Il n’y a guère que dans mon cabinet qu’il n’y a rien à absorber, si ce n’est une nourriture intellectuelle et affective et encore certains arrivent à me solliciter pour un verre d’eau...
De fait, si la rencontre de plusieurs êtres humains entraine un acte alimentaire, c’est dire à quel point les TCA attaquent le tissu des relations humaines. Elles suscitent des réactions particulièrement viscérales quand la relation dite « normale », en fait normative, du rapport culturel est menacé. Car le refus de la nourriture offerte est toujours vécu comme un refus d’amour ou d’amitié, de même l’abus de la même nourriture est considérée comme une spoliation, un gâchis ou un mépris, non pas de nourriture mais de la relation. Tout parasitage de la relation à la nourriture entraîne de fait un parasitage important de la relation interpersonnelle.

C’est pourtant dans l’entourage familial qu’il existe le plus d’occasion de manger ensemble et c’est celui-ci qui en souffrira donc le plus. Voilà pourquoi le traitement général des TCA implique particulièrement l’entourage familial.

Avec son aide, la tâche des différents intervenants médicaux est grandement facilitée. Alors que son opposition, son rejet ou son intolérance, conscients ou le plus souvent inconscients, compromettent particulièrement l’évolution thérapeutique. Si elle ne possède certes pas le pouvoir de soigner par elle-même, du fait du manque de distance induite par son implication affective normale, il faut bien le préciser, la famille effective, c’est-à-dire celle qui côtoie le sujet malade possède par contre la capacité de renforcer par son soutien affectif, voire comportemental, le travail fait dans le cadre médical.

En abordant la question toujours difficile de l’alimentation par son comportement lors des repas, je le rappelle généralement pris en commun, l’entourage familial a, de par ses actes et non par son discours, une influence majeure sur le rapport à la nourriture du sujet souffrant. Selon sa manière de manger personnelle, ses goûts, ses dégoûts alimentaires, ses manières de table, le menu du repas, sa composition, le temps pris pour celui-ci, l’atmosphère autour de la table, l’attention portée aux convives, l’entourage familial aura fait parvenir au malade souffrant de TCA tout un ensemble de signaux sur l’alimentation en général et sur son alimentation déviante en particulier. Ainsi, sans le plus souvent y penser, l’entourage familial « propose » des solutions alimentaires à un mal-être. Mais il n’est pas le seul, car, faut-il le rappeler, le sujet anorexique ou boulimique est confronté à de multiples prises alimentaires en dehors de chez lui. Pour la sensibilité aussi extrême de ceux atteints par les troubles alimentaires, sur une question aussi délicate, les signaux envoyés même par mégarde ou par ignorance sont des indications majeures de l’attitude à adopter, ou à ne pas adopter face à la nourriture.

Il convient donc, pour tout l’entourage mais particulièrement pour l’entourage familial, de soutenir par tous les moyens possibles une alimentation sereine pour la personne souffrant de TCA. Pour cela, suivant l’adage « On ne parle pas de corde dans la maison d’un pendu », une attention extrême devrait être portée de manière constante à toute forme de communication, verbale ou non verbale concernant la nourriture et le corps, y compris à travers les expressions toutes faites. Le suivi pendant près de trois décennies de malades souffrant de TCA m’a amplement démontré au cours des années à quel point ces patients pouvaient s’emparer, à leur gré défendant, de bribes de discours ou d’attitudes passées inaperçues aux personnes qui en étaient pourtant les auteurs. Par exemple la formule d’accueil banale « Tu as bonne mine » étant le plus souvent comprise par « Tu as grossi » ou, pire « Tu es devenu (e) gros(se) », déclenche le plus souvent des angoisses incontrôlables chez nos sujets et les plonge dans des heures d’auto examen ou de questions sans fin, quand elle ne provoque pas une recrudescence des symptômes.

Il ne s’agit pas pour moi de prescrire un langage « anorexiquement correct » ou « boulimiquement correct » à la manière du « politiquement correct » qui, pour ne risquer d’offenser aucun citoyen électeur, mène à un degré zéro du discours. Ce dernier n’a alors pour but non de communiquer, mais seulement de tenter de se faire bien voir. Pour éviter non pas d’offenser mais plutôt de susciter des angoisses chez des sujets qui en ont déjà plus qu’il n’en faut, j’aurai tendance à préconiser une authenticité de la relation à l’autre assortie d’un minimum d’identification que l’on pourrait résumer par « Ne dis pas à l’autre ce que tu n’aimerais pas qu’on te dise dans sa situation ». Cela peut s’appeler du tact ou de la délicatesse. Ne pas appuyer sur ce qui fait mal car les personnes souffrant de TCA sont plutôt hyper conscientes de leur état que le contraire.

Car excessivement rares sont les anorexiques, boulimiques ou autres qui ne savent absolument pas ce qu’il convient de faire. Le problème se situe plutôt du côté du comment faire que du savoir que faire. De ce fait, il est aisé de comprendre l’humiliation légitime ressentie par celles à qui il est doctement recommandé de « bien manger ». Le soutien de l’entourage se doit donc d’être particulièrement adaptatif, un peu à la manière dont on apprend à un enfant à marcher : si l’enfant est trop entouré, il ne tombera pas et ne risquera pas de se faire mal, mais il n’apprendra jamais à marcher. S’il ne l’est pas assez il marchera vite et bien pour autant qu’il survive à son apprentissage.

Si la relation de confiance est suffisamment bonne pour permettre avec l’entourage d’aborder les difficultés rencontrées, un bon contenant peut être donné pour encourager l’évolution. Il n’est pas question d’en demander trop, la guérison immédiate ne peut se faire ni par l’amour ni par le chantage ou la menace. Il n’est pas question non plus de trop de complaisance qui fermerai l’œil sur les symptômes ou d’indifférence, mais d’une aide forcément limitée, nécessaire mais non suffisante puisque la possibilité de guérison réside d’abord dans le désir d’évolution de la personne souffrante.

De même, tous les professionnels et l’entourage des patients souffrant de TCA savent bien qu’au sujet de leur alimentation il est difficile de leur faire confiance, qu’ils ne sont pas fiables. Mais pour autant, comment peut-on aider ces personnes autrement qu’en leur accordant une confiance que nous savons fort bien qu’ils ne la mériteront pas, du moins d’emblée, du moins au début ? Accepter les failles de nos sujets pour mieux les aider à les combler, en discuter à chaque échec dans un climat de confiance, pour apprendre de ses erreurs et trouver une meilleure stratégie, voir ce qui aurait pu être évité et comment, sont la seule manière de soutenir durablement l’évolution de nos patients, à la fois pour les professionnels et pour l’entourage.

Publié en 2011