Pr Frédéric HUET, Dr Laure BONNET, Pr Daniel RIGAUD – CHU Dijon
La mucoviscidose est une affection chronique invalidante liée à des anomalies génétiques des sécrétions bronchiques et pancréatiques. Il en résulte une bronchopneumopathie aggravée par les surinfections et une atteinte pancréatique exocrine (malabsorption) et endocrine (diabète). La mucoviscidose est liée à une mutation (plusieurs sont impliquées, selon les malades) sur le gène d’une protéine spécifique qui participe à la sécrétion pancréatique exocrine et à la sécrétion bronchique : il s’agit de la mutation du gène CFTR (pour cystic fibrosis transmembrane receptor).
La dénutrition est très fréquente dans la mucoviscidose, tout stade évolutif confondu, entre 15 et 44 % des patients, selon les publications. On peut l’estimer à :
La dénutrition résulte de la négativité durable de la balance nutritive (par exemple énergétique). Il peut s’agir d’un déficit énergétique (marasme), protéique (diminution préférentielle de la masse maigre) ou en micronutriments (calcium, fer, vitamine D...). Le déficit énergétique porte sur les glucides et/ou sur les protides et lipides. Ces derniers ont plus de conséquences, dans la mesure où il existe des besoins qualitatifs (acides gras essentiels, acides aminés essentiels). Dans la mucoviscidose, la dénutrition est en rapport avec une réduction des ingesta et une augmentation des pertes.
Anorexie (perte d’appétit) : C’est une cause fréquente de dénutrition. En sont responsables : vomissements, toux et encombrements nasopharyngés, syndrome inflammatoire (sécrétion de cytokines anorexigènes), médicaments anorexigènes (antibiotiques) et état dépressif.
Inconfort digestif : vomissements, reflux gastrooesophagien, retard à l’évacuation gastrique, douleurs abdominales, constipation, pseudo-obstruction intestinale distale, colopathie fibrosante.
Prescriptions diététiques ou médicales trop restrictives
Troubles du comportement alimentaire : restriction alimentaire et anorexie mentale.
L’augmentation des pertes d’interface
Tableau 1 : Mécanismes de la dénutrition dans la mucoviscidose
Retentissement
|
Sur les ingesta
|
Sur les pertes
|
Insuffisance pancréatique exo
|
+ | +++ |
Anorexie
|
++ | 0 |
Insuffisance respiratoire
|
++ | ++ |
Infections bronchiques
|
++ | ++ |
Encombrement naso-pharyngé
|
+ | 0 |
Cirrhose biliaire
|
+ | + |
Insuffisance pancréatique endo
|
0 | ± |
Résection du grêle
|
+ | +++ |
Etat dépressif
|
++ | 0 |
0 = pas d'effet
La dénutrition altère différentes fonctions de l’organisme, notamment en situation chronique d’agression :
La dénutrition apparait parfois dans la petite enfance (1-3 ans). Dans les années 80, il a été montré qu’associer apport énergétique lipidique suffisant et substitution par enzymes pancréatiques permettait de réduire la fréquence de la dénutrition et d’augmenter d’environ 9 ans l’espérance de vie des enfants atteints de mucoviscidose. Un traitement précoce et durable de la dénutrition permet d’améliorer le pronostic même jusqu’à l’adolescence. A l’inverse, le retard à la prise en charge nutritionnelle ne se rattrape pas toujours. L’état nutritionnel reste corrélé à l’espérance de vie et suggère l’intérêt toujours actuel d’une alimentation riche en lipides et en enzymes pancréatiques. Chez l’enfant de un à trois ans, la dénutrition s’accompagne d’une diminution irréversible de la croissance pulmonaire.
Cependant, il n’existe pas d’étude prospective contrôlée à deux bras portant sur de larges groupes comparant une attitude nutritionnelle agressive à un groupe en alimentation « libre ». Il n’existe pas non plus d’étude contrôlée comparant une intervention nutritionnelle adaptée à la mucoviscidose (enrichie par exemple en tel ou tel acides gras ou acides aminés) à une approche nutritionnelle plus standard (compléments énergétiques et micronutriments).
De véritables cercles vicieux se font jour. En voici trois exemples :
1. Les troubles fonctionnels digestifs favorisent la réduction des ingesta et augmentent le risque de dénutrition, qui, elle, majore les troubles digestifs (ralentissement de la vidange gastrique surtout).
2. L’atteinte respiratoire et les surinfections accroissent à la fois l’anorexie et la dépense énergétique. La dénutrition qui en résulte peut, à son tour, diminuer la force des muscles respiratoires, réduire la sécrétion de surfactant pulmonaire et la production de cytokines, et donc la capacité de lutte contre l’infection. Elle aggrave ainsi l’insuffisance respiratoire chronique.
3. Les troubles du comportement alimentaire ou l’état dépressif limitent les apports énergétiques, induisent une dénutrition qui va augmenter l’anorexie et contribuer à altérer l’humeur.
En pratique clinique, seuls des critères faciles à mettre en œuvre (accessibles), peu onéreux et sensibles ont leur intérêt. Différentes variables ont été employées et des valeurs « seuil » ont été définies. Ainsi, certains critères paraissent plus opportuns pour repérer les sujets à risque de dénutrition et d’autres les sujets à risque de complications de la dénutrition.
Le poids : Chez l’enfant et l’adolescent, il doit être analysé selon les courbes, en référence à la taille, au sexe et à l’âge. Chez l’enfant jusqu’à 15 ans, Le déficit pondéral est le signe le plus précoce de dénutrition et précède le déficit statural de plusieurs mois. On doit estimer le déficit pondéral et statural en pourcentage du poids et de la taille référence pour l’âge et le sexe. On doit aussi calculer le déficit d’indice de masse corporelle (IMC). Chez l’adulte, la dénutrition est définie par un IMC < 18,5 kg/(m)2.
Le déficit statural : la taille pour l’âge, en pourcentage de la normale. Il est utile, pour définir le couloir attendu chez l’enfant malade, de tenir compte de la taille des parents :
(Taille du père + taille de la mère + 13 cm {+ 13 cm chez le garçon et – 13 cm chez la fille}) / 2
Tableau 2 : valeurs seuil indicatives de dénutrition
Déficit
|
Dénutrition légère
|
Dénutrition moyenne
|
Dénutrition importante
|
85-90 %
|
80-85 %
|
75-80 %
|
< 75 %
|
Par rapport à la moyenne de la normale pour l’âge (N compris entre 90 et 120 %)
Le périmètre crânien : uniquement chez le nouveau-né et le nourrisson (jusqu’à 3 ans).
Le critère évolutif : Un bon critère d’altération de l’état nutritionnel d’un enfant est la sortie de son couloir de poids, de taille et d’IMC. Ceci permet d’agir rapidement.
La composition corporelle : Essentielle à mieux préciser le déficit pondéral. En effet, la perte de poids peut porter avant tout sur la masse maigre ou plutôt sur la masse grasse. Or la perte de masse maigre a plus de retentissement physiologique que la perte de masse grasse.
Il est important, faute de valeurs seuil normales, d’évaluer ces variables de façon dynamique. On peut mesurer masse maigre et masse grasse par des moyens cliniques ou biophysiques :
Pli cutané tricipital (PCT), circonférence brachiale (CB), circonférence musculaire brachiale (CMB) : CMB = CM – (PCT x )
Biophysiques : impédancemétrie bioélectrique ; absorptiométrie biphotonique (DEXA).
Les autres variables : L’état de la peau et des phanères rend compte de certaines carences nutritionnelles. Le retard pubertaire : La puberté est retardée et étalé dans la mucoviscidose. Le stade pubertaire doit être évalué à partir de l’âge de 8-10 ans (fille) ou 10-12 ans (garçon).
Les critères biologiques :
Les protéines : dans l’ordre de sensibilité décroissante, rétinol binding protein (RBP), puis préalbuminémie (transthyrétine ou TTR), puis albuminémie.
Les micronutriments : fer sérique, hémoglobine, calcémie, phosphorémie
La prise en charge nutritionnelle a révolutionné le pronostic de la mucoviscidose. Elle repose sur un diagnostic précoce, car la dénutrition et les malnutritions sont à la fois précoces et fréquentes, et si on ne fait rien, graves dans la mesure où elles retentissent sur la morbidité et la mortalité de façon notable. Au cours du suivi, l’évaluation de l’état nutritionnel est primordiale et la prévention ou la correction de la dénutrition sont des enjeux majeurs pour améliorer le pronostic.
Publié en 2010