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Physiopathologie du jeûne


Pr D. RIGAUD - Président d'Autrement

1. Anorexie mentale et jeûne alimentaire

Le jeûne chronique se définit comme une restriction importante et chronique (plus de 3 mois) des apports alimentaires, qui sont alors nettement en dessous des besoins énergétiques et protéiques.
On exclut de cette définition les personnes qui ne mangent que très peu, parce qu’ils sont atteints d’une maladie cachectisante et chez qui on peut mettre en évidence un syndrome inflammatoire.
On exclura également les personnes vivant dans les pays pauvres, qui sont soumis en règle à des agressions environnementales (infectieuses, parasitaires).

A - Les causes

Plusieurs causes de jeûne chronique sont connues :

  • L’anorexie mentale vraie : peur de grossir et besoin irrépressible de maigrir envers et contre tout,
  • L’anorexie dépressive, où la perte de tous les appétits retentit également sur les apports alimentaires,
  • Les conduites restrictives atypiques (EDNOS des anglo-saxons), où les critères de l’anorexie mentale ne sont pas réunis : impossibilité de manger, peur d’être contaminé par l’alimentation, peur de consommer des aliments « mauvais pour la santé »…. Il n’y a pas ici de peur de regrossir ou de besoin de maigrir. Il n’y a pas de déni de la maladie,
  • La grève de la faim, observée en particulier chez des personnes qui cherchent à obtenir, en se privant de l’essentiel de la vie (de quelque chose de vital que seuls ils peuvent s’enlever) quelque chose de la part d’autrui,
  • Les personnes qui ne peuvent pas manger, faute de ressources : traversée du désert, séjour sur une île déserte inhospitalière, ou séjour en mer après un naufrage par exemple.

B- Conséquences physiologiques

La privation importante de nourriture de façon chronique aboutit à différentes adaptations et désordres métaboliques et neurobiologiques :

B-1. Conséquences métaboliques

Il existe une adaptation au jeûne, qui touche le métabolisme énergétique, mais aussi protéique, lipidique et glucidique. Les carences en micronutriments indispensables jouent aussi certainement un rôle.

B-1. 1- Adaptation du métabolisme énergétique : Il existe plusieurs phases au jeûne
B-1. 2- Adaptation du métabolisme protéique : Différentes phases sont retrouvées
B-1. 3- Adaptation du métabolisme glucidique, lipidique et autres : des modifications adaptatives sont observées

B- 2. Conséquences neurobiologiques

La carence d’apport en protéines induit une carence en acides aminés tels que la tyrosine et le tryptophane. Or ces a.a. sont les précurseurs de la synthèse de la Dopamine et de la sérotonine, notamment au niveau du système limbique. Or ce système est impliqué dans ce qu’on appelle le système de gratification (reward system) ou encore système de récompense. On peut supposer qu’il en résulte (c’est prouvé chez l’animal) un déficit d’excrétion de Dopamine et sérotonine et donc des troubles en rapport avec ces déficits. La Dopamine gère la motivation, le plaisir, l’euphorie, les pulsions et répétitions. La sérotonine permet la modulation de l’humeur, la mémorisation, la cognition et l’excitation. Des déficits en ces neuromédiateurs peuvent donc entraîner des troubles de l’humeur (anxiété, labilité de l’humeur, état dépressif), des troubles du sommeil (difficultés à l’endormissement, réveils), la répétition des comportements (pensées obsessionnelles, voire TOC), des troubles de la pensée (préoccupations excessives pour l’alimentation, difficultés de concentration, difficultés à « faire des liens », affectifs ou cognitifs), des déficits hédoniques (perte des appétit), ainsi que des défaillance de puissance (sentiment d’impuissance, peur de l’imprévu).

Mais, dans un 1er temps, notamment au cours de l’anorexie mentale, on observe une stimulation incroyable de ces neuromédiateurs. C’est la phase de toute puissance. Pour « doper » l’animal ou la malade anorexique, face au jeûne et à la nécessité de courir après sa proie, l’organisme sécrète ces neuromédiateurs et donne un sentiment d’euphorie, de puissance, d’excitation et d’hyperactivité physique.

L’expérience du « Minnesota starvation » : Une expérience de quasi-jeûne a été effectuée par le Pr Ancel Keys, dans le Minnesota entre 1944 et 1945 chez l’homme. Elle n’a plus été refaite chez l’homme, mais a été reproduite chez l’animal. Les auteurs avaient pour objectif d’analyser les effets de la dénutrition chez des sujets sains, ainsi que les effets de la réalimentation. Ces auteurs ont donc eu recours à des objecteurs de conscience. Parmi 400 réponses favorables, ils ont pris les volontaires « les plus sains de corps et d’esprit », à savoir 36 hommes d’âge compris entre 20 et 30 ans à qui ils ont fait passer de multiples tests pour être sûr de leur bon état physique et mental. Ont suivi 3 périodes : une d’observation, où les volontaires ont été étudiés sur le plan métabolique et psychologique alors qu’ils étaient en alimentation normale, que leur poids était stable et qu’ils étaient actifs (35 km de marche/semaine, apports de 2800-3200 kcal/jour) ; une 2ème période dite de jeûne, d’une durée de 3 mois, où les volontaires ne mangeaient que de façon très restreinte et avaient la même activité physique : les apports imposés furent de l’ordre de 1800 kcal/jour : féculents (100 g/j), pain (30 g) et surtout légumes-feuille (rutabagas, haricots vert, épinards). Cette alimentation se voulait proche d’une famine due à la guerre. Au terme des 3 mois, les volontaires avaient perdu en moyenne 18 kg (25% de leur poids initial), soit plus d’un kg par semaine. Ensuite, les sujets étaient engagés vivement à augmenter leurs apports alimentaires « librement » pour reprendre du poids. Ils ont été suivis de 12 à 24 mois. Tout au long de l’expérience, ils subirent des analyses métaboliques (mesure de la dépense énergétique de repos), biologiques et psychologiques identiques à celles qu’ils avaient eu en phase 1.

La première catégorie d’informations recueillies, et probablement l’une des plus grandes surprises qu’a provoquées cette étude, est que les sujets mis en restriction ont spontanément adoptés des attitudes fréquemment retrouvées chez les personnes souffrant de troubles des conduites alimentaires, en particulier d’anorexie. On décrivait par exemple, une tendance à manger de plus en plus lentement, à jouer avec la nourriture, à découper les aliments en toutes petites bouchées mâchées longuement, à manger soit très chaud soit très épicé, à boire abondamment, à mâcher des chewing-gums ou avoir des rituels très complexes autour des repas et de l’alimentation. L’ensemble de ces signes est fréquemment retrouvé chez les patientes.

On a aussi constaté que les sujets dénutris avaient une tendance évidente à réfléchir et penser à la nourriture de façon quasi permanente. Ils décrivaient volontiers être préoccupés par le fait de manger dès le réveil et d’être hantés par cette préoccupation au fil de la journée. Ils étaient particulièrement intéressés d’en parler. Ils collectionnaient pour certains des recettes, des ustensiles de cuisine ou des livres portant sur l’art culinaire. Tous ont été très attirés par les situations dans lesquelles d’autres sujets étaient amenés à manger sans pouvoir le faire eux-mêmes. Cette attitude rencontrée chez certaines patientes à faire manger leur proche et leur entourage alors qu’elles ne mangent pas elles-mêmes s’apparentent beaucoup à ce qui a été décrit pour ces sujets.

L’expérience du « rat jeûneur jogger » : Si l’on soumet des rats mis en restriction énergétique (- 25-30 % des apports antérieurs) à la possibilité d’avoir une activité physique, plus le temps passe et plus ils s’activent… et moins ils mangent… et plus ils s’activent. Si on n’arrête pas l’expérience, ils meurent.

2. Conclusion

Le jeûne chronique induit un ensemble complexe d’altérations et d’adaptations à la fois métaboliques et neurobiologiques dont le but est de préserver la vie. Au fil du jeûne, la personne réduit sa dépense énergétique (DE) de repos, sa DE postprandiale et sa DE liée à l’activité physique. Pour alimenter le cerveau et le foie en glucose, l’organisme accentue le catabolisme protéique musculaire, utilise l’énergie (C, H et O) pour produire de l’ATP et se débarrasse du radical azote (N). Le sujet perd donc de la masse musculaire. Afin de stimuler les comportements qui aboutissent à la prise alimentaire, l’organisme est dopé initialement par des neuromédiateurs tels que la Dopamine et la sérotonine : excitation, déni de la précarité du problème. Faute d’apport suffisants, un déficit se fait jour au fil des semaines ou mois, qui induit parfois des troubles neuropsychiques sévères. Ceci peut s’observer aussi bien chez le sujet de poids normal que chez la malade anorexique que chez l’obèse sous régime trop hypocalorique.

Publié en 2011