Pr Pierre PFITZENMEYER, Pr Daniel RIGAUD – CHU Dijon
Le sujet âgé de plus de 75 ans est souvent atteint de dénutrition. Tout commence par une perte de poids, soit à l’occasion d’un élément déclencheur, soit suite à une succession d’éléments favorisants : c’est alors une descente « en escalier », où le patient perd du poids du fait d’une cause x, n’arrive pas à reprendre tout le poids perdu, reperd du poids suite à une cause y et ainsi de suite.
La dénutrition est fréquente : on admet que 10 à 20 % des sujets âgés de plus de 75 ans vivant à domicile sont dénutris. Mais la fréquence en est beaucoup plus grande encore si l’on considère les sujets âgés institutionnalisés (maison de retraite et surtout long séjour), où 20 à 30 % des personnes qui y vivent sont dénutries, souvent sans que personne ne réagisse, tant le fait parait banal. Certaines publications émanant de structures de long séjour évoquent même le chiffre de 35 à 40 %.
Les causes de la dénutrition chez le sujet âgé sont souvent banales et multiples. Elles sont actuellement bien connues.
1. Les troubles alimentaires
Un certain nombre de facteurs contribuent à la réduction de la prise alimentaire, rendant l’état nutritionnel parfois limite, voire précaire :
- La diminution des capacités olfactives et gustatives, ainsi que l’altération de la perception des saveurs, qui s’amplifient au-delà de 70-75 ans, peuvent fragiliser l’état nutritionnel ;
- La diminution de l’appétence des personnes âgées pour un certain nombre d’aliments est, elle aussi, démontrée : le sujet âgé perd l’intérêt pour un certain nombre d’aliments qu’il aimait. Une diminution de l’appétence pour les viandes et poissons se rencontre souvent, allant parfois jusqu’au dégoût. La personne réduit alors de ce fait ses apports de protéines (les viandes et poissons sont les aliments les plus riches en protéines : 20-24 g pour 100 g d’aliments). Cette carence d’apport en protéines expose la personne âgée à subir de plein fouet une agression aiguë ou chronique, situations où augmente le catabolisme des protéines.
- L’altération de la régulation du métabolisme énergétique : chez le sujet jeune, la diminution des apports entraine une diminution de la dépense énergétique de repos, ce qui permet d’économiser la masse maigre (et musculaire). De plus, la réduction des apports nutritifs à un repas conduit le sujet de 30-50 ans à augmenter ses apports au ou aux repas suivants. Il compense « calorie pour calorie ». Ce n’est plus tout à fait aussi efficace chez la personne âgée.
- La réduction de la masse maigre (et parmi elle des masses musculaires) est bien connue chez le sujet âgé. Ses causes sont la réduction de l’activité physique et la diminution de l’anabolisme protéique. Mais en retour cette diminution de masse maigre réduit la sécrétion des facteurs de croissance et diminue l’apport protéique. Chez le sujet âgé, la diminution de la masse musculaire est compensée par une augmentation de la masse grasse (tissu adipeux) : le poids corporel ne bouge donc pas, mais cet état fragilise la personne âgée en cas d’agression métabolique. Cet état accroît le catabolisme protéique et, faute d’augmentation des apports de protéines, fait descendre la masse maigre en dessous d’une valeur critique.
- Des difficultés d’autonomie : parfois, suite à un accident de santé (chute, accident vasculaire cérébral…), la personne âgée perd une partie de son autonomie. Il lui est alors plus difficile d’aller faire ses course, de les porter, de faire la cuisine… Tout naturellement, pensant en plus qu’elle a moins de besoins qu’un sujet jeune, la personne âgée réduit la quantité de ce qu’elle achète, se fait moins la cuisine et perd ainsi la capacité d’avoir des apports énergétiques, protéiques et en vitamines compatibles (suffisants) avec ses besoins nutritionnels réels.
- Des difficultés financières parfois handicapent le budget alloué aux courses alimentaires. Le sujet âgé arbitre rarement son budget en faveur de l’alimentation. L’allongement de la retraite liée à l’allongement de la vie, la diminution du pouvoir d’achat de certaines personnes est actuellement un fait bien réel. Demander une aide alimentaire devient alors une nécessité, souvent rejetée par honte par une personne qui a travaillé toute sa vie et ne veut pas « demander l’aumône ».
- Des difficultés gingivo-dentaires peuvent créer ou aggraver un état nutritionnel précaire ou insuffisant : douleurs à la mastication au minimum ou difficultés à la mastication (déficit dentaire, prothèse mal adaptée…) contrarient les efforts de la personne âgée pour manger.
- Des troubles de la déglutition, mineurs ou majeurs (après un accident vasculaire cérébral par exemple), peuvent également contribuer à favoriser un état de dénutrition.
- Un état dépressif apparait parfois, suite au décès d’un ami, d’un conjoint ou de l’isolement.
- L’isolement social est un facteur qu’il ne faut pas oublier. Faute de lien social, une personne âgée peut perdre l’intérêt aux choses de la vie et à l’alimentation. Elle ne voit plus autant l’intérêt de manger, puisqu’il faut le faire seul. Il y a en effet en chacun de nous une incitation à manger dans le regard et la présence de l’autre. La perdre, c’est s’exposer à réduire son alimentation, la durée de ses repas et leur fréquence (on « saute un repas »).
- Enfin, certaines personnes âgées développent une peur de manger, associée à la peur de la maladie (ils se préoccupent trop de leur hypercholestérolémie, de leur diabète et adopte une conduite alimentaire restrictive, par peur de grossir, de manger trop gras, de voir s’aggraver (ou apparaître) une pathologie métabolique.
2. Facteurs non alimentaires
Des facteurs autres qu’alimentaires peuvent induire, favoriser ou aggraver la dénutrition du sujet âgé. Retenons en particulier :
- Un accident traumatique, en particulier une fracture de hanche : le stress physiologique provoqué par les conséquences de la chute induit une augmentation de la dépense énergétique et du catabolisme protéique liés au stress : la dépense de repos augmente et la dégradation des protéines, avec fuite azotée urinaire s’accroît elle aussi. Dans cette situation, chez le sujet âgé, l’adaptation physiologique qui consiste à augmenter ses apports énergétiques ne se produit pas ou mal. Le sujet perd de la masse maigre, notamment de la masse musculaire. Cette perte au demeurant va le fragiliser vis-à-vis d’une chute ultérieure : ayant moins de muscles au niveau des cuisses et des jambes, le sujet âgé va moins bien pouvoir s’opposer à une chute, s’il trébuche ou rate une marche ;
- Un accident vasculaire cérébral, ischémique ou hémorragique : le handicap favorise en fait une augmentation de la dépense énergétique et du catabolisme protéique. Elle est de faible amplitude, mais elle s’associe parfois à des troubles de la cognition qui font que le malade « oublie » de manger ou perd son intérêt pour le faire ou perd une partie de sa capacité pour le faire (handicap marqué ou sévère) ;
- Un cancer : ici aussi, c’est l’hypercatabolisme énergétique et protéique qui est responsable de la dénutrition. L’hypercatabolisme est corrélé à l’inflammation ;
- Une défaillance d’organe « terminale » : rénale, pulmonaire, cardiaque. Ici encore, la défaillance d’organe sévère induit un stress qui provoque l’hypercatabolisme énergétique et protéique par l’action des hormones du stress (cytokines en particuliers).
3. En pratique
L’objectif, face à une dénutrition chez la personne âgée, est de tenter de retrouver un état nutritionnel normal. Il ne faut pas se satisfaire d’un « poids pas si catastrophique », d’une récupération partielle. Il faut aider la personne âgée par différents moyens :
- Augmenter ses apports énergétiques et protéiques : 30 à 35 kcal/kg poids « idéal »/jour et 1,2 g protéines / kg poids « idéal »/jour sont un minimum, qu’il faut augmenter s’il y a un syndrome inflammatoire. Pour ce faire, il faut :
- Trouver avec la personne âgée les aliments qui lui conviennent et qui ont du goût pour elle. Les laitages, souvent bien frais, les crèmes, les compotes, le lait (non écrémé) et les fromages ; certaines viandes ou poissons qui ont du goût.
- Trouver des exhausteurs de goût et saveurs et des assaisonnements qui donnent envie de manger plus : poivre et épices, aromates, fruits plus mûrs, sauces un peu plus riches, nouvelles présentations… La variété est un élément important.
- Trouver le nombre de repas qui convienne le mieux : parfois 5 ou 6 collations sont mieux que 3 repas.
Favoriser les aliments qui passent le mieux, les purées un peu consistantes (mais ne pas abandonner les aliments solides, plus efficaces à couvrir les besoins).
- Ne pas oublier les supplémentations : à côté du travail sur les repas, le médecin généraliste doit prescrire des compléments nutritionnels : énergétiques et protéiques (Clinutren, Fortimel, Fresubin Drink, Nutrigil, Renutryl, Resource, Enrich, Diaben Drink…), mais aussi en micronutriments : fer, calcium et vitamine D, vitamines autres…
Au besoin, une nutrition entérale par sonde gastrique sera prescrite.
4. Conclusion
La dénutrition est fréquente chez le sujet âgé. Les troubles alimentaires, en particulier l'anorexie, en sont statistiquement la cause la plus importante et la plus fréquente. Un état inflammatoire peut l’aggraver. La dénutrition est souvent en « escalier descendant », chaque nouvel épisode aggravant l’état antérieur, faute de récupération. Le médecin ne doit pas banaliser la perte de poids, mais au contraire être exigeant pour corriger l’état de dénutrition.
Il doit pour ceci utiliser de petits moyens alimentaires et recourir à des supplémentations énergétiques et protéiques, mais aussi en micronutriments.
Publié en 2010