Anorexie, boulimie, compulsions alimentaires : l'association peut vous aider à voir les choses Autrement

Anorexie mentale et boulimie
Définition, symptômes et maladies associées Causes et mécanismes Descriptions et complications Etudes scientifiques Traitement Autour des TCA
Activité Physique Adaptée Anorexie mentale et boulimie : la peur des calories ! Anorexie, boulimie et l'angoisse des fêtes de Noël Contre les sites Pro-Ana Etre adulte Frustration et troubles alimentaires Grossesse et troubles du comportement alimentaire Le jean et la balance Pour les sites pro-anorexie ou comment tirer profit de ses ennemis ! Questions-réponses autour de l'anorexie et de la boulimie Vivre avec une personne souffrant d'un TCA Trouble du comportement alimentaire et résilience Trouble du comportement alimentaire et résilience (2)
Obésité et compulsions alimentaires Diététique & Nutrition

Grossesse et troubles du comportement alimentaire


Pr D. RIGAUD - Président d'Autrement

1. La grossesse en cas d'anorexie mentale et de boulimie

Entre grossesse et troubles du comportement alimentaire (TCA), il existe un lien dans les deux sens :

  • Dans certains cas, la grossesse mène au trouble du comportement alimentaire
  • Dans d’autres cas, le trouble du comportement alimentaire interfère avec les capacités de procréation (fécondité)
  • Dans bien des cas, l’enfant, après la grossesse est vécu comme une vraie difficulté, traumatisante pour la mère.

A- De la grossesse au trouble du comportement alimentaire

L’anorexie mentale et la boulimie sont deux troubles du comportement alimentaire qui débutent 8 fois sur dix dans la 2ème partie de l’adolescence, entre 16 et 20 ans. A ces âges, il est rare d’observer une grossesse. Pour autant, les troubles alimentaires peuvent débuter et surtout perdurer chez de jeunes femmes, c'est-à-dire ayant un âge compris entre 20 et 35 ans, c'est-à-dire à l’âge des premières grossesses.

Il existe des jeunes femmes qui ont guéri d’un TCA et qui le voit resurgir à l’âge adulte. En fait, les cas de rechute après une vraie guérison sont rares. Mais il est beaucoup plus de cas où la malade se croit guérie, alors qu’elle ne l’est pas tout à fait : son indice de masse corporelle (IMC) est trop juste (IMC entre 17,5 et 18,5 kg/m2, soit entre 48 et 50 kg pour 1,65 m ou 51 et 54 kg pour 1,70 m), ou bien elle contrôle encore beaucoup son poids et son alimentation, se restreint en matières grasses et en protéines.

Chez la femme adulte, on décrit, de plus en plus souvent au demeurant, des cas de TCA qui débutent. Dans ces cas dits « de la femme adulte », c’est une grossesse qui semble responsable, parce-qu’elle précède immédiatement le TCA, dans un cas sur quatre (25 % des cas).

Comment l’explique-t-on ?

1- On grossit sans manger plus : La grossesse, comme son nom l’indique, est une prise de poids : on grossit et c’est même l’une des deux raisons, avec la disparition des règles, qui font qu’une femme se rend compte qu’elle est enceinte.
Anorexie_grossesse.jpg Lors du début de la grossesse, on grossit « sans raison » : en effet, c’est par la mise en route d’un programme énergétique économique que la femme prend du poids. Comme si la nature avait prévu qu’avec les mêmes apports, on pouvait nourrir deux personnes, la mère et l’enfant dans son ventre. Cette adaptation métabolique vient probablement des temps anciens où la femme enceinte n’avait pas à manger suffisamment. Des temps qui durent encore dans certains pays pauvres : chez les femmes Masaïs par exemple, la nourriture couvre à peine les besoins et, pourtant, une grossesse est possible. Je suis donc en train de vous dire qu’une femme enceinte, au début de sa grossesse prend du poids sans manger plus. Il en sera ainsi tout au long de la grossesse : une femme prend 8 à 12 kg sans manger plus qu’avant. Elle les reperdra ensuite.

2- La minceur est valorisée : Imaginez maintenant une société où la minceur est valorisée et où la prise de poids est jugée comme négative, imaginez une femme qui a peur de grossir, par peur d’être jugée comme étant cette personne qui se laisse grossir. Imaginez enfin qu’elle ait déployé des stratégies pour ne pas grossir justement, qu’elle ait été « à deux doigts de l’anorexie », avec un poids à la limite inférieure de la normale. Imaginez que cette jeune femme se soit beaucoup occupée de défendre ce poids : « ce serait horrible si je grossissais » me disait récemment une jeune fille qui pèse tout juste 52 kg pour 1,68 m. Comme si sa vie en dépendait.

3- Mettre au monde est tout sauf simple : Imaginez enfin qu’une femme enceinte arrive à terme de sa grossesse. Elle accouche et contrairement à ce que l’on entend partout, ce n’est pas que du bonheur :

  • Son mari, qui était peut-être aux petits soins avec elle pendant la grossesse, redevient comme avant, un peu indifférent peut-être ou, ce qui n’est pas mieux, très attentif au bébé (alors, si c’est une fille !),
  • La mère elle-même est prise sous le poids de la responsabilité : il faut s’occuper de cet enfant et c’est angoissant : "saurais-je le faire ?", "ma mère, ma belle-mère ne va-t-elle pas me prendre la tête ?",
  • Un enfant qui nait vous pousse (un peu quand même) vers la vieillesse, surtout si c’est une fille. Ce n’est pas toujours si simple à vivre, pour peu qu’on n’ait pas eu une enfance si réussie que ça ! Accepter de mettre au monde un enfant, c’est accepter de mettre un terme à son envie d’en être un encore.
  • Un mari peut ne pas vouloir au fond de cet enfant et, ça, ce n’était pas prévu.
  • Et puis, ce poids qui reste. On a beau savoir, c’est angoissant ! En moyenne, une femme prend 8 à 12 kg pendant la grossesse. Elle n’en perd que 5 à 8 dans les 15 jours qui suivent. Il lui faudra 3 à 4 mois souvent, parfois 5 à 6 mois pour perdre le reste. L’organisme reste en effet quelques mois dans le métabolisme énergétique « économique » de sa grossesse.

4- La grossesse a aboutit parfois à un régime médical : La femme a « trop pris de poids » ou bien un diabète est apparu au cours du 2ème trimestre, conduisant un médecin à décréter un régime hypocalorique. Dans d’autres cas, des vomissements incoercibles ont « appris » à la jeune femme qu’on pouvait se faire vomir ou vomir tout seul (un tiers des femmes qui démarrent un TCA après ou au cours d’une grossesse l’a fait en rapport avec ces vomissements).

5- Hypothèses troublantes : Favarto et al (2011) ont étudié le rôle possible d’infections virales pendant la grossesse chez 27.700 femmes enceintes italiennes. Les auteurs ont diagnostiqué, entre 1970 et 1984, 402 cas d’anorexie (1,4 %) et ont cherché des marqueurs qu’il y ait eu une infection virale durent la grossesse : rubéole, influenza, varicelle et rougeole. Ils ont observé que le fait que la mère ait contracté la rubéole ou la varicelle augmentait le risque que la fille ait une anorexie mentale de 50 % (risque relatif respectif de 1,6 pour la varicelle et de 1,5 pour la rubéole. Pour les 2 autres virus, il n’y avait pas de lien.

B- De l'anorexie mentale à la grossesse

L’anorexie mentale est caractérisée par une perte de poids, une dénutrition et des carences nutritionnelles qui diminuent de façon considérable les chances d’être enceinte. On admet que la fécondité diminue d’environ 90 % dans l’anorexie mentale. L’explication en est connue : le tissu adipeux synthétise une hormone, la leptine, qui induit au niveau de l’hypothalamus la sécrétion de LH-RH (l’hormone qui stimule la FSH et la LH, les hormones inductrices de la sécrétion d’œstrogène et de progestérone par les ovaires). De plus, c’est dans le tissu adipeux, notamment le tissu adipeux hormone-dépendant (fesses, cuisses, ventre, seins) que deviennent matures les hormones sexuelles). Il y a donc peu de chance d’être enceinte, lorsqu’on est touchée de plein fouet par l’anorexie. Cependant, les grossesses sont possibles. Ainsi, dans une étude sur 62.000 femmes enceintes (Bulik, 2010), dont 63 avaient une anorexie mentale, la moitié des malades souffrant d'anorexie ne s’attendaient pas à être enceinte (contre 19 %). Parmi les 63 femmes enceintes de cette étude, 24 % prirent le parti d’un avortement, contre 14 % des femmes sans trouble alimentaire. Selon notre expérience, les cas de grossesse sont le plus souvent en rapport avec les situations suivantes :

  1. L’indice de masse corporelle (IMC) n’était plus si bas, entre 17,5 et 18,5 kg/m2,
  2. Les apports alimentaires (et en matières grasses notamment) étaient acceptables,
  3. L’hyperactivité physique avait bien diminuée.

Mais nous avons déjà eu l’occasion d’observer une grossesse sans stimulation chez une jeune femme de 28 ans pesant 42 kg pour 1,60 m (IMC : 16 kg/m2). Une grossesse a même été publiée chez une jeune femme anorexique de 19 ans ayant un IMC de 14 kg/m2. Un fait surprenant découle de cette certitude qu’ont les malades et leurs médecins que l’anorexie n’est pas compatible avec une grossesse. Tout étant égal par ailleurs, les femmes anorexiques tombent enceintes sans le savoir plus souvent que les femmes qui n’ont pas de TCA : ainsi, 50 % des femmes anorexiques qui ont pu avoir une grossesse ne l’avaient pas prévu, contre seulement 19 % des femmes sans TCA (Bulik, 2010).

Enfin, des malades anorexiques veulent parfois tellement être enceinte qu’elles réussissent à convaincre de leur projet un endocrinologue ou un gynécologue qui leur fait une stimulation, voire une fécondation in-vitro. Malheureusement, trop souvent, le résultat est loin d’être satisfaisant : échec et surtout mort in utéro.

On pourrait imaginer qu’une grossesse aboutisse, chez la mère, à une diminution des symptômes du trouble du comportement alimentaire. En effet, la peur de faire du mal à son bébé et l’envie de vivre cette grossesse pleinement, exprimées souvent par les malades, pourraient suffire à réprimer les symptômes. Si l’on constate souvent (deux tiers des cas environ) une diminution des troubles, les malades n’en ont pas pour autant aucun trouble. Dans une étude britannique effectuée par Micali et al (J Psychosom Res 2007) chez 12.254 femmes enceintes suivies, les femmes qui était encore atteintes de TCA (anorexie mentale et boulimie) étaient plus souvent sous régime hypocalorique « intense », avaient plus souvent des vomissements ou les provoquaient, utilisaient plus souvent des laxatifs et avaient toujours une hyperactivité physique, par comparaison avec les femmes sans TCA. De plus, les femmes enceintes qui avaient eu un TCA et qui étaient en « rémission » ont vu réapparaître leurs symptômes : peur de grossir trop, angoisse face à l’obésité, régimes, sentiment d’être trop grosse ou de grossir trop.

La grossesse, en cas d’anorexie, est une grossesse à risque. On a pu assez bien évaluer le risque de la grossesse en cas d’anorexie et de boulimie. Les femmes qui souffrent d’anorexie marquée ont, si elles sont enceintes, des complications de la grossesse et de l’accouchement (atteinte de l’enfant) et des complications liées à la grossesse (atteinte de la mère) au moins 3 fois plus souvent que les femmes qui n’ont pas de TCA.

L’anorexie entraine une augmentation des morts in utéro (risque multiplié par trois), des accouchements prématurés, de l’hypotrophie fœtale, du retard in utéro, du petit poids de naissance et des défaillances au moment de la naissance (complications broncho-respiratoires). Ceci n’est pas sans importance alors que, dans une étude australienne de Abraham et al (2001) effectuée chez 67 gynéco-obstétriciens, moins de la moitié interrogeait les femmes enceintes sur des troubles éventuels de l’alimentation et ne connaissaient pas vraiment l’anorexie et la boulimie. Dans une étude multicentrique faite aux USA (Bansil et al, 2008) entre 1994 et 2004, les obstétriciens ont comptabilisé 1668 accouchements ou délivrances en 11 ans chez des femmes souffrant d’anorexie mentale ou de boulimie, soit une fréquence de 0,39 grossesses chez des anorexiques ou boulimiques pour 10.000 cas. Sachant que l’anorexie toucheau minimum 1,0 % des femmes en âge de procréer et la boulimie 3,0 %, on se serait attendu à 4 % de grossesse et environ, au minimum 3,8 % de délivrance recensées. Donc, ceci donne une diminution de la probabilité d’être enceinte, lorsqu’on est porteur d’anorexie  mentale ou de boulimie de plus de 95 % (0,39 pour 10.000 au lieu de 3,9 pour cent). Après ajustement statistique, les femmes souffrant d’anorexie mentale et de boulimie avaient un risque accru d’hypotrophie fœtale multiplié par 9,1, un risque d’accouchement prématuré multiplié par 2,8, d’anémie multiplié par1,7, un risque d’infections urinaires ou génitales multiplié par 1,7 et la nécessité d’unei nduction du travail (qui ne se faisait pas seul donc) multiplié par 1,4. Toutes ces complications étaient significativement plus fréquentes en cas d’anorexie mentale et de boulimie que dans la population de femmes n’ayant pas de TCA.

Par ailleurs, l’anorexie mentale expose clairement la mère à une augmentation des complications pendant la grossesse et dans la période du postpartum (après l’accouchement) : malaises et perte de connaissance, hypotension lors du lever (hypotension « orthostatique »), asthénie (fatigue), faiblesse musculaire, douleurs obstétricales, anémie ferriprive ou macrocytaire (par carence en vitamine B9 et B12), infections urinaires. Des équipes ont observé enfin que les états dépressifs seraient plus fréquents dans la période post-partum chez les femmes souffrant d'anorexie mentale que chez les femmes sans TCA (Resch et al, 2002).

Pour autant, dans une étude française chez des femmes anorexiques guéries ou presque guéries, il n’y avait pas plus de difficultés liées à la grossesse (Meguerditchian et al, Marseille, 2009).

2. Anorexie, boulimie et problèmes alimentaires

Les femmes souffrant de troubles du comportement alimentaire (anorexie mentale, boulimie) ont plus de risque  de développer des comportements restrictifs, pour elles et leur enfant qui vient de naître, dans les trois premières années. Les enfants avaient plus de problèmes alimentaires que les autres (Reba-Harrelson et al, 2010).

La boulimie est caractérisée par un poids normal, des crises alimentaires ponctuées de vomissements provoqués et des carences nutritionnelles liées à la restriction alimentaire fréquente aux repas (quand il y a des repas). Ces carences et les vomissements qui aggravent la malnutrition diminuent de façon notable les chances d’être enceinte. On admet que la fécondité diminue d’environ 40 % dans la boulimie. C’est donc beaucoup mieux que l’anorexie mentale. Dans la boulimie, ce qui limite les grossesses, c’est plutôt la difficulté à vivre en couple.

Les relations entre boulimie et grossesse ont été beaucoup moins étudiées que pour l’anorexie mentale. Il semble bien exister une diminution des capacités à être enceinte (fécondité). On estime que la probabilité d’être enceinte en cas de boulimie existante est diminuée de 40 à 50 % selon la fréquence des crises.

La grossesse s’accompagne très souvent d’une diminution très nette des crises de boulimie, ce qui fait espérer une guérison. C’est loin d’être toujours le cas : une malade sur deux ne peut pas arrêter ses crises ni ses vomissements, même si elle les diminue. La restriction, les sauts de repas, les évictions alimentaires sont souvent renforcés pendant la grossesse. La prise de poids était bien souvent mal ou très mal vécue.

Les incidents et accidents de la grossesse, tels qu’on peut les voir en cas d’anorexie mentale, sont moins fréquents en cas de boulimie. Ils sont pourtant plus fréquents qu’en l’absence de TCA : anémie, hypokaliémie, retard de croissance in utéro, accouchement prématuré…
La dépression n’est pas rare dans le postpartum, chez des malades qui sont souvent dépressives avant la grossesse.
Surtout, en cas de boulimie, les suites de la grossesse ne sont pas simples : difficulté à s’intéresser pleinement au bébé, état dépressif et anxieux et enfin réapparition ou redoublement des crises de boulimie.

Publié en 2011