Anorexie, boulimie, compulsions alimentaires : l'association peut vous aider à voir les choses Autrement

Anorexie mentale et boulimie
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Vivre avec une personne souffrant d'un TCA


M. Jean-Michel HUET, Psychanalyste - Psychothérapeute, Paris

Alors que la thérapeutique, qu’elle soit médicale ou psychothérapique, des sujets souffrant de troubles du comportement alimentaire a été largement abordée dans la littérature, la question de l’aide à apporter à l’entourage reste un terrain pour ainsi dire vierge, du moins dans la littérature. Dans un premier l’intérêt porté à l’entourage, la famille le plus souvent a eu pour but premier, que ce soit dans l’approche d’inspiration psychanalytique ou ensuite plus particulièrement dans l’approche systémique, de chercher à expliquer par les influences forcément causales sinon délétères du milieu familial les origines du mal.

1. Remettre les idées en place

Sans pour autant négliger ou nier les possibles causes familiales, nous insistons bien ici sur le terme causal pour le différencier de la responsabilité voire de la culpabilité familiale. Force nous est de constater qu’une telle approche a fortement orienté la vision de la famille dans la conception médicale. Les familles ou l’entourage étant implicitement vus comme à l’origine de la pathologie sont donc considérés, sans le dire ou parfois même le penser consciemment, ce qui constitue le pire des cas de figure, dans le camp du symptôme pas dans le camp thérapeutique. De ce fait découlent plusieurs conséquences : tout d’abord la famille est préférée à l’écart du soin y compris dans ce qu’il a de plus quotidien, ensuite elle est rarement utilisée comme alliée dans la démarche de soin ou la vie quotidienne et enfin sa souffrance n’est que rarement, voire jamais prise en compte.

Cependant l’évolution dans notre société des formes de l’anorexie ou de la boulimie doit nous inciter à considérer le tableau d’une manière différente, plus adaptée aux tableaux cliniques actuels. En effet, à ce jour, les troubles alimentaires ne concernent plus uniquement des adolescentes ou de jeunes adultes, comme on aurait tendance à le concevoir par facilité ou méconnaissance de l’évolution de la clinique. Beaucoup de ces jeunes patientes ont vieilli ou muri, se sont dégagées de la cellule familiale d’origine pour s’installer en couple ou pour fonder elles-mêmes une famille avec éventuellement des enfants. De plus, depuis quelque temps on a pu assister à une augmentation notable de l’apparition de troubles anorexiques initiaux chez des femmes largement sorties de l’adolescence, sans antécédents notables de troubles alimentaires repérables.

La question de la causalité des symptômes nous obligerait donc, si l’on tient à l’hypothèse de la causalité familiale simple, à postuler une origine également dans un couple pathologique (choix d’un conjoint pathogène) et peut-être même dans une relation pathologique mère enfant mais où la patiente désignée serait la mère d’enfants pathogènes et non plus l’enfant d’une mère pathologique. L’évolution incontestable des tableaux cliniques depuis les dernières années en rend la causalité vertigineuse si l’on ne craint de s’y pencher.

Tous ces faits posent la nécessité d’une approche spécifique centrée sur la souffrance de l’entourage des patients souffrant de TCA. Cette approche, qui ne nie pas la nécessité vitale de la prise en charge spécifique du patient atteint d’anorexie ou de boulimie, devrait se penser en tant qu’adjonction de moyens supplémentaires à la guérison du patient désigné. Dans un contexte généralement aussi précaire que le mode de vie des malades souffrant de troubles alimentaires, toute aide de l’entourage, au sens le plus large possible, pour lutter contre les symptômes est la bienvenue. Un entourage mis en accusation, mal informé, et lui-même en souffrance ne va pas évidemment pas dans le sens d’une aide efficace.

Comme préliminaire à notre développement, nous tenons à préciser que notre propos ne s’adressant aucunement à la question du suivi spécifique et individuel du sujet malade, il n’en sera pas ou peu question dans l’exposé qui va suivre. Ceci ne signifie en aucun cas que nous jugeons la thérapie individuelle comme mineure, elle est au contraire essentielle mais plutôt, une fois n’est pas coutume, l’exposé va s’attacher aux conditions, à l’environnement, au cadre plus général qui entoure les sujets souffrant de TCA.

L’accompagnement des familles, ou de l’entourage au sens large par un ou des professionnels, voire d’anciennes patientes ne présentant plus de troubles telles qu’ AUTREMENT les associe, doit se concevoir dans un double but : Contenir et soutenir mais aussi informer ou même former.

2. Contenir et soutenir

Le premier doit être considéré comme une adjonction au travail thérapeutique individuel du sujet malade, pour mettre en place, hors les séances individuelles du patient, un environnement quotidien suffisamment contenant et bienveillant pour faciliter, sans pour autant s’y immiscer, le difficile travail sur soi-même du patient. Ce but se présente donc plutôt comme une information claire, concise et personnalisée, c'est-à-dire centrée sur le problème ici et maintenant du sujet malade, de ce que sont les troubles alimentaires. Cette information est à centrer sur deux points essentiels : le vécu de la personne malade et une information de ce qu’est la maladie.
De cette nécessité double découle une nécessité d’un double soutien, d’un professionnel expérimenté et d’une personne ayant vécu de l’intérieur les troubles alimentaires.

Il va sans dire que le professionnel chargé de l’accompagnement de l’entourage ne peut en aucun cas être celui qui suit de manière individuelle le sujet atteint de TCA, même si une expérience pratique du suivi thérapeutique portant sur les troubles alimentaires est de loin recommandée. Cet accompagnement a pour but spécifique de donner aux interactions thérapeutiques individuelles un environnement au mieux soutenant, au pire neutre, mais en tout cas d’éviter un parasitage négatif, par ignorance le plus souvent.

En outre, on peut même conseiller un accès facile à une personne ayant un vécu personnel, de première main de la maladie. En effet, même un professionnel aguerri n’a le plus souvent jamais vécu, éprouvé la maladie alimentaire du coté du patient. Cette expérience de première main est essentielle dans la compréhension du vécu de nos patients. En effet, à mon sens, quelle que soit l’expérience du soignant, jamais il n’a vécu, à part cas exceptionnel le trajet de la personne souffrant de troubles de l’alimentation dans son quotidien. La violence hospitalière et soignante lui a été le plus souvent épargnée dans la mesure où même s’il s’est retrouvé parfois patient, il l’a été en tant que soignant éventuellement souffrant, c'est-à-dire connaissant les codes et les usages du monde hospitalier et/ou soignant au sens large, avec toute la considération attachée par le personnel à un collègue potentiel ou parfois même déjà connu.

Ce vécu se différencie donc radicalement de celui du sujet malade d’une maladie particulièrement suspecte aux yeux des soignants, suspecte de mauvaise volonté, de dissimulation, voire de manipulation ou de perversité. De ce fait seul un sujet ayant été en but à la suspicion, aux soupçons, est capable, s’il a pris suffisamment de recul sur cette triste expérience, de décrire les sentiments éprouvés par le patient atteint de TCA confronté à l’incompréhension de l’entourage au sens large. Ces témoignages irréfutables, d’autant plus qu’ils viennent de personnes s’étant débarrassées de la maladie, sont précieux et pour aider l’entourage à comprendre les enjeux et pour aider le sujet malade lui-même.

Le second but consiste en une prise en charge de la souffrance et particulièrement des angoisses de l’entourage. Ceci peut paraître évident mais il nous semble nécessaire de le rappeler, vivre avec un malade, quelle que soit la maladie est une expérience éprouvante. Cette affirmation est d’autant plus vraie dans le cadre des troubles alimentaires dans la mesure où ceux-ci sont rarement considérés par les profanes, voire par les malades eux-mêmes ou certains soignants comme une « vraie maladie ». En effet, la dimension morale est régulièrement mise en avant, masquant complètement la réalité pathologique du symptôme. Le trouble alimentaire y est interprété comme mauvaise volonté, opposition, agression, manipulation ou vice comme si la patiente avait un contrôle entier sur ses symptômes. Trop souvent l’entourage assène ses solutions simples voire simplistes du type « tu n’as qu’à faire un effort » pour tenter de résoudre le problème. Une simple rencontre avec un professionnel confirmé des troubles alimentaires peut parfois désamorcer par une situation explosive. Nous proposerons donc non une prise en charge régulière pour ce faire mais plutôt des rencontres à la demande quand la tension devient insupportable.

La question des enfants de patientes ou même de patients souffrant de TCA se pose également mais de manière légèrement différente. Alors que traditionnellement, l’entourage de ces patients était jusqu’ici constitué en majeure partie de personnes adultes l’évolution des tableaux cliniques a fait que nous sommes confrontés à des situations plus difficiles. Le vécu des enfants de patients souffrant de TCA mérite que l’on s’y arrête quelque peu. Ces enfants se retrouvent dans une problématique où non seulement le parent souffre d’une maladie de l’adolescence qui n’est pas de son âge, mais en plus sa position parentale se trouve notablement affaiblie du fait de son manque de crédibilité quant aux fondamentaux éducatifs. En effet, comment une mère le plus souvent, ou parfois un père peuvent-ils garder la moindre autorité sur leurs enfants quand eux-mêmes refusent de se plier à la nature et au sens commun de l’alimentation, surtout quand on accepte de se souvenir quels enjeux de pouvoir représentent l’alimentation des enfants dans la dynamique familiale ?

La problématique même des enfants demanderait un traitement particulier de par leur incapacité fondamentale mais provisoire à conceptualiser la notion même de troubles psychologiques. En effet, l’immaturité intellectuelle et affective qui caractérise les enfants et les adolescents, voire certains jeunes adultes, les rend incapable de se représenter, ne serait-ce qu’imparfaitement les causes et les conséquences des troubles de l’alimentation. Ceci d’autant plus quand on considère la difficulté que rencontre les adultes, profanes ou faisant partie du corps médical, à aborder boulimie ou anorexie d’une manière qui ne soit entachée de graves préjugés, malgré une information pléthorique et aisément disponible à l’époque d’Internet.

Une aide efficace pour les enfants « victimes » des troubles alimentaires d’un de leurs parents devrait se situer, comme pour les adultes d’ailleurs mais avec une certaine adaptation à leur niveau de compréhension (intellectuelle et affective), une information, autant que possible par un professionnel de l’enfance ayant connaissance précise des troubles alimentaires (psychologue ou pédopsychiatre) associée à un soutien affectif par une personne solide et fiable.

3. Informer ou même former

Dans un premier temps, force nous est de constater que l’image donnée des TCA dans les médias est généralement fort déformée par rapport à la réalité, de plus l’insistance constante d’une certaine presse dite féminine sur la question de la ligne et des régimes ne va pas dans le sens d’une clarification des problèmes. Car il n’est pas rare de trouver dans un même magazine, à quelques pages d’intervalle voire sur une page adjacente, un article catastrophiste sur l’épidémie des troubles alimentaires qui toucherait une adolescente sur trois voisinant avec les conseils d’un nouveau régime miracle qui promet à l’innocente de lui faire perdre avant le prochain numéro ( et le prochain nouveau régime…) les bourrelets disgracieux et les kilos en trop, selon l’expression consacrée.

A ce régime, sont mis sur un pied d’égalité troubles alimentaires et régimes esthétiques, confortant dans l’esprit du public une confusion entre futilité esthétique et troubles psychologiques. Les magazines « people » se trouvent en outre en position très ambiguë entre dénonciation et admiration de l’anorexie/perte de poids enviable de telle ou telle actrice, chanteuse ou pseudo-célébrité suivie comme un feuilleton. La mort par dénutrition du jeune mannequin brésilien durant l’été 2007, n’aura guère marqué durablement les esprits, échouant par là, même si cela n’était surement pas son propos initial, à sensibiliser l’opinion quant au sérieux du problème des TCA.

Le conseil médical ou paramédical des intervenants non spécialisés dans les troubles de l’alimentation ne semble généralement guère plus fiable ou plus sensé, alors qu’il est généralement considéré avec beaucoup de respect par les familles. Ceci d’autant plus que le manque de formation se fait cruellement sentir rapidement au contact de patients maintenant surinformés, disqualifiant sans appel une bonne partie du corps médical qui n’ose avouer son ignorance de peur de perdre sa crédibilité alors que celle-ci s’étale rapidement au grand jour devant le patient et parfois même sa famille. Nombreuses sont les patientes et parfois même les familles dont la première plainte est de ne pas trouver chez le corps médical une écoute qui puisse leur sembler compétente : « mon médecin, j’en sais plus que lui »…ou « ma diététicienne elle m’explique les calories alors que je connais les tables par cœur et que mon problème ce n’est pas ce que je devrais manger, ça je le sais, mais plutôt comment faire… »

En outre, le développement foudroyant non contrôlé et non contrôlable de la sphère internet ne va pas dans le sens, pour le profane ou l’honnête homme, d’une clarification des problèmes. L’immense bazar de l’information où les informations les plus fantaisistes ou parfois même les plus folles côtoient les études médicales les plus fiables contribue à obscurcir la question pour le non spécialiste. Au moment où nous écrivons ce texte la recherche GOOGLE du mot « anorexie » donne 2 640 000 résultats, celle du mot « boulimie » 1 760 000. Dans les trois premières pages, les seules généralement consultées par l’internaute moyen, on trouve pêle-mêle : sites associatifs, témoignages, forums, vidéos, sites médicaux grand public mais également des liens commerciaux annonçant « recherchons 16 personnes très sérieusement motivées à perdre du poids pour gagner de l’argent ». Si l’on tape « perdre du poids-vomir », on trouve de nombreux conseils techniques du plus dangereux qui recommande les vomissements au plus loufoque qui explique comment perdre du poids en fonction de son prénom…

Dans une telle confusion informative, comment s’étonner que les entourages aient une certaine difficulté à s’y retrouver, d’autant plus que la pression de la maladie n’en permet guère une approche sereine et progressive. Une information fiable n’est guère plus accessible, sauf à s’y pencher avec un certain sérieux aux professionnels non spécialisés sur Internet. Seuls quelques rares sites animés par des spécialistes de la question ou des organismes de recherche présente une information fiable, même si elle n’est pas parfois dénuée d’une certaine partialité théorique, selon les promoteurs de l’information, chacun parlant pour sa chapelle. En revanche, les sites généralistes centrés sur la santé, ne présentent pas régulièrement une telle fiabilité, dans la mesure où il peut sembler que les rubriques « alimentation et troubles de l’alimentation » ne sont pas toujours tenus par des spécialistes de la question.

Nous aurons donc pour recommandation, surtout pour les profanes, de ne pas se fier aveuglément aux dires d’une seule source mais au contraire d’exercer leur intelligence et leur sens critique pour déterminer la conduite à tenir.

4. Conseils pratiques

Pour conclure de manière, nous l’espérons, à éclairer concrètement les familles et entourages, quelques pistes de réflexions nous paraissent à explorer. Ces conseils ne doivent évidemment pas être pris au pied de la lettre mais sont à adapter, voire à expérimenter en fonction de chaque situation qui, il nous faut le répéter constamment, est éminemment singulière et personnelle, la caractéristique fondamentale des troubles du comportement alimentaire étant que derrière une symptomatologie particulièrement stéréotypée se dissimule une problématique personnelle toujours différente qui ne peut être réduite à une ou des causes uniques.

Tout d’abord, il est vital de préciser que le soutien de tout l’entourage familial et amical est essentiel pour guérir, même s’il ne dispense en aucune façon d’une réflexion personnelle le sujet souffrant. En effet, comme certains l’ont déjà constaté, changer est une tâche ardue qui nécessite tout l’énergie du sujet en évolution. Fournir un environnement contenant et soutenant permet d’économiser une énergie qui doit être consacrée au sujet lui-même et non à se battre contre les pressions de l’environnement. Dans le cas des sujets souffrant de TCA, renoncer au véritable mode de vie que constitue la maladie demande un effort considérable qui ne devrait pas être alourdi par des contingences autres que nécessaires, ceci d’autant plus qu’à ces troubles est souvent associée un désir de perfection surhumain qui ne se satisfait que de la réussite absolue. L’entourage aura donc à alléger au maximum les exigences visibles que s’impose le sujet et surtout n’en pas rajouter.

« Entourer pas persécuter » est ensuite la principale devise qui devrait s’appliquer à la situation. Il nous parait absolument nécessaire de faire remarquer que, depuis près de 140 ans que les premières descriptions des troubles alimentaires sont apparues dans la littérature médicale, l’échec de toute démarche fondée sur l’autorité ou une certaine violence est flagrant. En effet, toute forme de contrainte ou de chantage n’a mené, au mieux, qu’à un déplacement ou une suspension toujours provisoire des symptômes qui ne manquent jamais de revenir sous une forme toujours plus dévastatrice. Cette violence verbale ou physique, flagrante ou sournoise, qu’elle soit institutionnelle, familiale ou de l’entourage n’a jamais au grand jamais guéri le moindre trouble alimentaire, au contraire elle l’a toujours renforcé. Il est certes difficile pour tout un chacun de résister aux angoisses et à la rage que procurent ce qui est perçu comme résistance du patient, selon la position de chacun, à notre amour, nos inquiétudes, notre compétence professionnelle mais cette mise en échec de notre toute-puissance ne devrait pas entrainer des mesures de rétorsions qui ne règle aucunement le problème.

Une attention de tous les instants qui se révèle vite persécutive, aussi discrète soit-elle, ne peut se substituer à une attention portée avec tact aux difficultés de tout rapport avec la nourriture. L’enfer en ce domaine est pavé de bonnes intentions. Il convient dans cette circonstance de ne pas oublier la contradiction fondamentale de toute personne atteinte de TCA qui, à la fois, désire se livrer à ses symptômes en paix, qu’il s’agisse de restriction ou de gavage, et en même temps n’attend qu’une aide pour l’empêcher d’y succomber une fois de plus. Dans ces moments aucun conseil stéréotypé ou rigide ne pourra donner à l’entourage une direction sans équivoque à tenir car l’attitude à adopter reste sur le fil du rasoir.

La communication verbale sur les difficultés rencontrées est souhaitable mais il doit être précisé sans équivoque avant toute approche que le sujet souffrant de TCA ne parle pas le même langage que le reste de l’humanité lorsque la question du rapport à la nourriture est posée. En effet, en dépit des apparences, un langage commun est difficile à trouver. Cette différence de langage est due à plusieurs facteurs : l’extrême sensibilité des sujets pour qui toute allusion à ce difficile rapport à la nourriture et à leurs symptômes est douloureuse, le passif de l’incompréhension et des expériences précédentes qui rend le sujet méfiant d’une nouvelle expérience de communication ratée, mais aussi l’extrême difficulté du profane à communiquer avec ces malades sur un sujet qui ne pose aucune difficulté pour lui et qui lui semble du domaine de l’évidence, alors qu’il en va radicalement autrement pour le sujet souffrant.

Le poids des mots doit alléger la charge des maux et non l’alourdir. Il est absolument vital de préciser que la sémantique et le vocabulaire des sujets souffrant de troubles alimentaires se comporte de manière radicalement différente de ceux du reste de la population, particulièrement masculine. Les femmes, dont le rapport au corps et à la nourriture n’est jamais entièrement serein, peuvent essayer d’imaginer ou de projeter leur propre sensibilité multipliée par 100. Car les sujets atteints de TCA ont une approche particulière des mots et des expressions touchant de près, ou parfois de loin, le corps, la nourriture et la sexualité. Ceci d’autant plus que dans toutes les langues certaines expressions sont fortement équivoques. Nous en donnerons pour simple exemple le verbe « grossir » qui est régulièrement confondu par nos sujets avec « devenir gros ou grosse », alors qu’une anorexique pesant 35kg peut se permettre sans risque de grossir pendant bien longtemps avant de devenir grosse. C’est pourquoi avec certaines patientes particulièrement sensibles il nous est arrivé d’employer le néologisme « dé-maigrir ». On pourra sans peine imaginer le nombre d’expression qui peuvent être mal prises ou prises au pied de la lettre sur ce sujet hypersensible dans un contexte de vocabulaire courant, peut-être même affectueux.

Loin de notre propos est de recommander un « psychologique correct » à la manière d’un politiquement correct qui vide sans tromper personne le langage de sa substance pour y substituer une langue faite d’hypocrisie et de faux respect. Mais savoir que certaines expressions toutes faites ou mots maladroits peuvent blesser durablement des sujets fragiles et compromettre leur équilibre précaire n’est pas sans intérêt.

S’identifier, faire jouer l’empathie reste, avec tous les risques d’erreur y afférant, probablement la moins mauvaise solution dans les cas où la parole est malaisée. Une pareille attitude prend le risque de succomber à ses propres angoisses, incompréhensions ou de ses préjugés, mais un peu de réflexion et retour sur soi-même peut permettre d’éviter la plupart des écueils.

Il est des sujets délicats qu’il est difficile d’aborder mais ne vaut mieux-t-il pas risquer l’erreur que de se résigner au silence, d’autant plus que la communication verbale n’est pas la seule possible, un sourire, un regard affectueux en disent plus long que des paroles maladroites.

Publié en 2009