L’alimentation, chez la femme enceinte, doit pourvoir au maintien d’un état nutritionnel optimal de la mère et à un développement harmonieux du fœtus. Il est faux de penser qu’il faille à la mère manger pour deux. La grossesse est en effet l’occasion de phénomènes métaboliques adaptatifs particulièrement efficaces : pour des apports pendant la grossesse entre 1200 à 3200 kcal/j, le poids du nouveau-né ne varie que de 10 %. S’il est faut donc de conseiller à la mère de manger 2 fois plus (pour deux), il est raisonnable en revanche de lui conseiller parfois de manger " mieux ". |
D’un point de vue nutritionnel, la grossesse se décompose en deux phases :
1. Les deux premiers trimestres (jusqu’à la 25ème semaine) : le coût énergétique de la mise en dépôt d’énergie et d’azote dans les tissus du fœtus et dans les annexes est faible. En effet, à 6 mois le fœtus ne pèse guère plus d’un kilo, dont seulement 350 g de matières sèches (voir tableaux ).
2. Le troisième trimestre : à partir de la 25ème semaine, une augmentation exponentielle du poids des annexes et du fœtus est notée. Le fœtus, qui avait pris de 5 à 6 g/j, va prendre en moyenne de 20 à 25 g/j (voir tableaux ).
Lors de la première phase, une diminution de la dépense énergétique de repos d’environ 10 % et une augmentation du rendement protéique d’environ 5 à 10 % sont observée. Ces adaptations sont liées à l’augmentation massive de la sécrétion de progestérone. Ainsi, à des besoins faibles, est associée une économie d’énergie. Ceci revient à dire que pendant les 6 premiers mois, si l’alimentation est normale, variée, équilibrée et non restrictive, il n’y a aucune raison d’augmenter les apports alimentaires (même en protides).
Au cours du troisième trimestre, les besoins énergétiques du fœtus restent faibles (100 à 120 kcal/j durant le neuvième mois !). L’apport énergétique peut être donc augmenté, mais seulement de 150 kcal/j ! L’apport protéique souhaitable n’est guère supérieur à celui recommandé aux femmes non enceintes (1,2 plutôt que 1,0 g/kg de poids/jour) .
Le bilan phosphocalcique de la mère s’adapte pour favoriser une accrétion calcique optimale chez le fœtus (augmentation de la sécrétion de parathormone, de la calcitonine et de la synthèse de vitamine D active). En cas d’apport calcique et de vitamine D insuffisants, l’enfant les tirent de la mère. C’est donc la mère qui fait les frais d’un déficit d’apports en calcium et vitamine D.
Les besoins en fer sont accrus par la grossesse, mais de façon modeste : 1mg/j au premier trimestre , 3 mg/j au deuxième et 6 mg/j au troisième. Une augmentation de l’absorption digestive de fer (meilleur rendement) est notée dès la fin du premier trimestre.
En cas d’alimentation normale, il n’y a pas lieu d’augmenter les apports énergétiques et protéiques pendant la grossesse, et sûrement pas dans les 6 premiers mois.
En cas d’alimentation normale ou normalement riche en fer et en calcium, l’augmentation des besoins est en bonne partie compensée par la réduction des pertes (diminution de l’excrétion urinaire de calcium, suppression des pertes menstruelles de fer) et par l’augmentation de l’absorption intestinale de calcium et de fer, ainsi que par l’augmentation de la ferritinémie. Il n’y a donc pas lieu de supplémenter la femme enceinte à alimentation normale (non restreinte) tout le long des 2 premiers trimestres de sa grossesse. La supplémentation au 3ème trimestre est discutable : son intérêt n’est pas démontré. En revanche, une alimentation restrictive, pauvre en viande, végétarienne ou à fortiori végétalienne implique une supplémentation au 3ème trimestre (mais pas avant).
⇒ Alcool :à partir de 30 g par jour (3 verres de vin), l’alcool exerce le plus souvent des effets délétères sur la grossesse (prématurité, accident de la délivrance ) et la croissance fœtale (avortement, encéphalopathie, petit poids).
Sel minéraux :
⇒ L’apport de NaCl doit être normalisé (8 à 10 g/j), s’il ne l’est pas. Le régime hyposodé est plutôt considéré actuellement comme néfaste. En revanche, il convient chez les femmes ayant des antécédents personnels ou familiaux d’hypertension artérielle gravidique d’augmenter les apports de potassium (fruits et légumes) et de calcium (et d’acide gras de la série n-6 et n-3), tout en favorisant le repos en décubitus latéral gauche.
⇒ L'acide folique : Il existe une relation entre carence en acide folique et anomalie de la crête neurale (spina bifida). Chez les femmes prédisposées, la correction d’un déficit en acide folique, avant la conception et dans les trois premiers mois de la grossesse, diminue de moitié le risque. En revanche, la diminution du risque de spina bifida chez les femmes " tout venant " par une supplémentation systématique en acide folique, surtout dans les 6 derniers mois (!) n’est pas nettement établie.
Une grossesse normale chez une femme ayant un état nutritionnel correct et une alimentation équilibrée ne justifie pas la prescription systématique de suppléments minéraux ou vitaminiques. Il n’y a pas de preuve sérieuse qu’une alimentation normale soit, dans nos pays, déficitaire en quoi que ce soit. Les apports actuels moyens de la population féminine française en alimentation spontanée couvrent raisonnablement l’ensemble des besoins en minéraux, oligo-éléments et vitamines.
La supplémentation, chez la femme enceinte, est donc affaire de cas individuels (voir ci-dessus). Les conseils médicaux doivent donc se recentrer sur les populations à risque. |
Accroissement en poids |
10e semaine |
20e semaine |
30e semaine |
40e semaine |
Foetus (g) |
15 |
320 |
1500 |
3500 |
Placenta et liquide amniotique (g) |
40 |
400 |
1050 |
1250 |
Utérus et seins (g) |
150 |
750 |
1100 |
1300 |
Sang (g) |
100 |
500 |
1100-1300 |
1100-1200 |
Liquides intersticiels (g) |
100 |
200-400 |
400-800 |
1000-1200 |
Réserves adipeuses (g) |
200-300 |
800-1600 |
2000-3500 |
2000-4000 |
TOTAL (g) | 600-700 | 3000-4000 | 7000-9000 | 12000-12500 |
Sur les 12 kg pris pendant la grossesse, seuls 2 à 4 kg sont du tissu adipeux. C’est donc sur ces 2 à 4 kg là, et eux seuls, que l’on peut jouer.
Apports nutritionnels recommandés au cours de la grossesse
Besoins quotidiens | 1er trimestre | 2e trimestre | 3e trimestre | Lactation |
Energétiques (kcal/j)* |
2000
|
2000
|
2200
|
2200
|
Protidiques (g/j)* |
65-70
|
70-75
|
75-85
|
80-90
|
Lipidiques (g/j)* |
70-80
|
idem
|
idem
|
idem
|
Calcium (mg/j) |
800-1000
|
idem
|
> 1000
|
idem
|
Fer (mg/j) |
15
|
15
|
15-20
|
idem
|
Il s’agit d’un diabète diagnostiqué au cours d’une grossesse. Il expose le foetus à un risque accru de mort in utéro, de macrosomie (obésité et splanchnomégalie), d’accident de la délivrance, de troubles respiratoires, de troubles métaboliques néonataux (hypoglycémie) …
Il n’existe pas actuellement de consensus international sur la stratégie de dépistage du diabète gestationnel. Néanmoins, un consensus a été dégagé, en France, par l’ALFEDIAM.
1. Le dépistage doit en théorie toucher toutes les femmes enceintes, car on ne retrouve aucun facteur de risque chez 30 % des femmes ayant un diabète gestationnel. C’est loin d’être ce qui est fait actuellement.
2. Ce diabète est rarement dépistable avant le sixième mois. Donc la période idéale de dépistage est la visite de la 24-28ème semaine d’aménorrhée.
Une exception : une glycémie à jeun > 7,8 mmol/l (1,4 g/l) affirme le diagnostic. Rien d’autre n’est nécessaire.
Une autre exception : en cas de facteurs de risque de diabète gestationnel, le dépistage doit être fait au 3ème mois.
Quels sont ces facteurs de risque : des antécédents de diabète gestationnel, des antécédents familiaux de diabète, une glycosurie antérieure, une obésité (IMC > 30), un enfant mort né ou un macrosomie lors d’une grossesse antérieure.
Age gestationnel (semaines) |
Poids (Keen et Pearse) |
Taille (Lubchenco) |
Périmètre crânien (Lubchenco) |
(moyenne)
|
(50e percentile)
|
(50e percentile)
|
|
(g)
|
(cm)
|
(cm)
|
|
8
|
4
|
2,5 à 3,5
|
-
|
12
|
20
|
7,5 à 10
|
-
|
16
|
118
|
17 à 18
|
-
|
20
|
320
|
24,4
|
-
|
24
|
680
|
32,7
|
-
|
28
|
1 200
|
37,8
|
26,7
|
32
|
1 785
|
43,2
|
30,4
|
36
|
2 720
|
47,4
|
32,9
|
42
|
3 600
|
49,7
|
34,3
|
Semaines | 22 | 27 | 30 | 32,5 | 37 | 40 | Adulte |
Poids (g) |
500
|
1 000
|
1 500
|
2 000
|
3 000
|
3 500
|
65 kg
|
Protéines (g) |
46
|
100
|
159
|
220
|
347
|
413
|
10 à 12 kg
|
Graisses |
10
|
31
|
59
|
94
|
182
|
379
|
10 à 20 kg
|
H2O (g) |
414
|
804
|
1 185
|
1 560
|
2 299
|
2 664
|
38 à 42 kg
|
Ca (mg) |
2,5
|
6
|
10
|
14,4
|
24
|
29
|
1 à 1,2 kg
|
Mg (mg) |
79
|
176
|
280
|
388
|
617
|
735
|
25 800
|
Fe (mg) |
30
|
65
|
102
|
141
|
223
|
264
|
4 070
|
Semaines | 20 à 24 | 24 à 28 | 28 à 32 | 32 à 36 | 36 à 40 |
Prise de poids (g/j) |
13
|
18
|
24
|
31
|
29
|
Gain protéique (g/j) |
1,3
|
2
|
2,8
|
3,8
|
3,8
|
Gain de graisses (g/j) * |
0,4
|
0,8
|
1,5
|
2,5
|
2,9
|
Gain d’H2O (g/j) |
10,3
|
13,7
|
17,9
|
22,7
|
21
|
Gain de Ca++ (mg/j) |
81
|
132
|
198
|
283
|
290
|
Gain de Mg++ (mg/j) |
2,3
|
3,5
|
5,1
|
6,8
|
6,8
|
Gain de Fe (mg/j) |
0,9
|
1,3
|
1,8
|
2,4
|
2,4
|
Semaines | 20 à 24 | 24 à 28 | 28 à 32 | 32 à 36 | 36 à 40 |
Poids foetus (g) * |
467
|
895
|
1 472
|
2 228
|
3 220
|
Prise de poids (g/kg/j) |
27,7
|
19,9
|
16
|
13,7
|
9
|
Gain protéique (g/kg/j) |
2,84
|
2,23
|
1,92
|
1,72
|
1,19
|
Gain de graisses (g/kg/j) |
0,9
|
0,9
|
1,0
|
1,1
|
0,9
|
Gain d’H2O (g/kg/j) |
22
|
15
|
12
|
10
|
6
|
Gain de Ca++ (mg/kg/j) |
174
|
147
|
134
|
127
|
90
|
Gain de Mg++ (mg/kg/j) |
5
|
4
|
3
|
3
|
2
|
Gain de Fe (mg/kg/j) |
1,9
|
1,4
|
1,2
|
1,1
|
0,7
|
IN UTERO POSTNATAL | |||||
Age
|
28 à 32 semaines
|
36 à 40 semaines
|
0 à 6 mois
|
6 à 12 mois
|
3 à 5 ans
|
Gain pondéral
|
16
|
9
|
4 g/kg/j
|
2 g/kg/j
|
0,3 g/kg/j
|
COMPOSITION DU GAIN TOTAL | |||||
g/kg/j
|
g/kg/j
|
g/kg/j
|
g/kg/j
|
g/kg/j
|
|
Protéines
|
1,92
|
1,19
|
0,44
|
0,40
|
0,06
|
Graisses *
|
1,02
|
0,90
|
1,48
|
0,34
|
0,01
|
Eau totale
|
12,1
|
6,5
|
1,8
|
1,1
|
0,2
|
AGE GESTATIONNEL | 28 semaines | 32 semaines | 36 semaines | 40 semaines |
Poids Normales Malnutries |
1 200 g
870 g |
1 785 g
1 296 g |
2 720 g
1 846 g |
3 500 g
2 537 g |
Composition du corps | g | g | g | g |
Protides Normales N x 6,25 (g) Malnutries |
123
66 |
193
106 |
311
162 |
413
238 |
Graisses * (g) NormalesMalnutries |
41
17 |
78
46 |
155
111 |
379
242 |
Ca (g) Normales Malnutries |
7,61
5,15 |
12,50
8,30 |
21,18
12,80 |
29,0
18,8 |
Mg (mg) Normales Malnutries |
217
158 |
341
248 |
551
370 |
735
530 |
Fe (mg) Normales Malnutries |
80
46 |
124
69 |
200
101 |
264
142 |
- D’après Camerer (1902), Fee et Weil (1963), Fehling (1877) Job et Swanson (1934), Widdowson et Spray (1951), Widdowson et Dickerson (1964) pour les fœtus de mères eutrophiques, Apte et Lyengar (1972) pour les fœtus de mères atteintes de malnutrition protéino-calorique.
- A partir du dernier trimestre de la grossesse, la quantité de graisse varie énormément d’un sujet à l’autre (Widdowson, 1985)
Besoins supplémentaires en fer au cours de la grossesse
Foetus | 250 |
Placenta |
50
|
Augmentation de la masse globulaire maternelle |
450
|
Pertes maternelles basales (hors grossesse), soit 0,8 mg/j x 290 jours |
Environ 250
|
TOTAL des besoins en fer jusqu’à la délivrance |
1000
|
Pertes de sang à la délivrance |
100 à 300
|
Contraction de la masse globulaire maternelle après la délivrance |
- 450
|
TOTAL des besoins en fer pour une grossesse |
750 à 850
|
Soit total quotidien, réparti sur 9 mois |
2,7 à 3 mg/jour
|
En mg. Ce sont les besoins et non les apports souhaitables. Le coefficient d’absorption digestive du fer héminique (viandes) étant de 20 à 25 % pendant la grossesse, il faut multiplier ces besoins par 4 à 5 pour avoir les apports souhaitables. Ceci ferait environ 15 mg de fer héminique par jour, soit 300 g de viande rouge par jour. Ceci explique la nécessité de consommer de la viande et de la supplémentation pendant les 3 derniers mois, chez les femmes à risque.
Publié en 2003