Anorexie, boulimie, compulsions alimentaires : l'association peut vous aider à voir les choses Autrement

Anorexie mentale et boulimie
Définition, symptômes et maladies associées
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Obésité et compulsions alimentaires Diététique & Nutrition

Boulimie et dépression


Pr Daniel RIGAUD, Nutrition

 

La boulimie peut être définie comme la répétition, au moins deux fois par semaine, de crises compulsives alimentaires entrecoupées de vomissements provoqués pour éliminer la crise.

Ce dont il convient de se souvenir, c'est que la personne qui souffre de boulimie a les mêmes pensées, la même peur de grossir, le même besoin de se restreindre qu'une malade atteinte d'anorexie mentale.

C'est donc une personne qui voudrait "être anorexique mentale, mais qui, elle, n'y arrive pas. Elle a échoué" (sic).

Alors qu'elle cherchait à tout prix à maigrir, qu'elle se culpabilisait à l'idée de manger et de grossir, elle a fait ses premières crises de compulsion alimentaire. Énormes ! Horribles !

Elle n'a pas pu le supporter et, dès lors, elle s'est mise à vomir chaque crise.

Au début, une ou deux fois par semaine, puis tous les jours. Au début, elle a tenté de vomir un peu, puis, au fil du temps, les vomissements se son accentués… pour TOUT VOMIR !

Elle qui voulait le contrôle, elle l'a  perdu : « C'est l'horreur ! Quelle honte ! ».

1. Les causes de cette dépression

  • Conflit intérieur : Une des causes de la dépression, si fréquente en cas de boulimie, c'est le conflit qui existe entre le besoin de la patiente de restreindre son alimentation à presque rien et la succession de crises infernales, énormes, de plus en plus violentes, insupportables, qui sont très exactement ce que ces personnes détestent le plus au monde.
     
  • Dénutrition : La 2ème cause, et il faut y insister, est la dénutrition. Les malades qui souffrent de boulimie sautent le plus souvent deux repas, voire tous les repas de la journée, parce qu'elles vont de crises en crises et parce qu'elles veulent absolument maigrir malgré tout. En tout cas, NE PAS GROSSIR ! Cette forte restriction, aussi forte, on l'a vu, qu'en cas d'anorexie mentale, conduit à termes à des carences en nutriments, aussi bien les micronutriments (vitamines et minéraux) que les macronutriments (protéines, lipides et glucides).

La carence en acides aminés essentiels, comme le tryptophane et la tyrosine, favorise la dégradation de l'humeur. En effet, le premier est le précurseur de la sérotonine et le 2ème celui de la dopamine, deux neuromédiateurs cérébraux qui renforcent la motivation, l'envie et l'excitation et dont le manque induit une tendance dépressive.

La carence en acides gras de type oméga 3 (ω3) va favoriser, elle aussi, la tendance dépressive.

Il en est de même de la carence en magnésium, en zinc, en vitamines du groupe B (B6, B9 et B12) et en vitamine D, A et E. On pense enfin que la carence en fer peut entraîner fatigue, manque de motivation et conduire à la dépression.

  • Traumatisme : Une autre cause possible à la dépression des personnes souffrant de boulimie est un traumatisme passé. Près d'une malade souffrant de boulimie sur cinq ou six a subi un traumatisme physique, psychologique ou sexuel dans les années précédentes.

2. Que disent les statistiques médicales ?

Une étude menée chez 223 patients souffrant de boulimie (Abbate-Daga G. Depress Res Treat 2011; 2011: 194732 ; published online 2011 Oct 2)  a montré qu'il y avait 25 % de cas de dépression majeure (c'st à dire traitée), soit deux fois plus que dans la population générale. C'est une fréquence semblable à celle observée en cas d'anorexie mentale de forme boulimique (et 2 fois plus qu'en cas d'anorexie mentale restrictive).

Une étude menée par Valenzuela F et al (Eur Eat Disord Rev 2018 May; 26(3): 253–258) chez 110 patientes boulimiques a observé une fréquence d'état dépressif de 41 % : 19 % des malades (46 % des dépressifs) prenaient un médicament antidépresseur et 22 % n'étaient pas traités.

Dans une étude que nous avions faite, nous avions trouvé 62 % d'épisodes dépressifs passés ou présents chez 118 malades hospitalisés pour boulimie sévère. Chez 36/118 patientes (31 %), la dépression était contemporaine de la boulimie.

C'est dire si la dépression est fréquente en cas de boulimie, touchant près de deux malades sur trois (toute périodes confondues) et une malade sur trois, associée à la période boulimique.

Enfin, les études montrent que la moitié au moins de patientes souffrant de boulimie (ou d'anorexie) a des antécédents familiaux de dépression.

3. L'état dépressif dépend-il du moment, dans la boulimie ?

Environ 25 % des patients disent que la boulimie a commencé suite à une dépression.

Bien des études établissent que la dépression est un facteur d'aggravation de la boulimie : plus la dépression est forte, plus les crises sont intenses et nombreuses et moins de malade arrive à se soigner.

Ce qui est sûr (tout le monde est d'accord là-dessus), c'est que l'arrêt des crises de boulimie, quel que soit le moyen employé pour ce faire, s'accompagne d'une franche amélioration de l'état dépressif.

De même, la guérison s'associe le plus souvent à une franche amélioration de la dépression, voir même, assez souvent, à sa guérison. Les patientes guéries de leur boulimie ont deux fois moins de dépression et un score 2,5 fois moins élevé que celles qui ne sont pas guéries.

4. Comment soigne-t-on cette dépression ?

Il y a plusieurs approches différentes, qui peuvent être complémentaires, pour traiter la dépression :

  • La psychothérapie est fort utile, souvent indispensable si la dépression dure ou a préexisté à la boulimie. Différentes techniques peuvent être utilisées : thérapie cognitive et comportementale, thérapie de pleine conscience, thérapie interpersonnelle (de relation à autrui), PNL ou EMDR…
  • La correction de la dénutrition est indispensable en cas de boulimie, du fait des carences (cf ci-dessus). Au minimum, la patiente doit prendre des complémets nutritionnels : acides aminés et acides gras essentiels, polyvitamines et fer.
  • La luminothérapie a sa place, car on sait que la lumière et son intensité jouent sur l'humeur (il s'agit ici de luminosité et pas d'UV). Il est mieux de le faire sous contrôle médical (avec l'appui de son médecin),
  • Les médicamenteux antidépresseurs. Il est mieux de prendre (prescrit et suivi par le médecin traitant) un antidépresseur de type "sérotoninergique" (inhibiteurs de la recapture de la sérotonine ou IRS). Pourquoi ? Parce que l'on sait qu'à dose efficace (2/jour), ils sont efficaces et contre les crises de boulimie et contre les symptômes dépressifs, ce de façon indépendante. L'effet ne se fait sentir qu'au bout d'une à deux semaines et l'effet maximal n'est obtenu qu'après un délai assez long (15-28 jours).

5. Conclusion

Dans l'histoire passée ou présente, toutes périodes confondues, la dépression est fréquente en cas de boulimie :

  • Les deux tires des patientes (95 % des malades sont de sexe féminin) ont ou ont eu un ou des épisodes de dépression,
  • Un quart à un tiers des patientes est dépressive au début de la prise en charge,
  • Un quart des patientes signalent que la boulimie a fait suite, chronologiquement, à un état dépressif.

L'état dépressif régresse "mécaniquement" avec l'arrêt des crises de boulimie, mais une psychothérapie associée (type TCC par exemple) y contribue fortement.

Avant de prescrire un médicament antidépresseur, il est utile de mettre en place une psychothérapie adaptée et à la dépression et à la boulimie (la TCC et la thérapie interpersonnelle en font partie).

La guérison de la dépression, même sévère, est obtenue une fois sur deux lors de la guérison de la boulimie.

De la même façon qu'on guérit de la boulimie, on guérit de la dépression (mais ça prend un peu de temps) !

On peut schématiser les choses comme suit :

6. Bibliographie

Rigaud D, Gimenez A et Perroud A. Faire face aux troubles du comportement alimentaire : anorexie, boulimie, compulsion. Éditions Retz (Paris) 2016 : 248 pages

Rigaud D. 100 idées pour se sortir d'un trouble alimentaire. Éditions TomPouss (Paris) 2015 : 198 pages.

Levinson CA et al. The core symptoms of bulimia nervosa, anxiety, and depression: A network analysis. J Abnorm Psychol 2017 ;126(3) : 340-354  

Vaz-Leal FJ et al. Bulimia nervosa with history of anorexia nervosa: could the clinical subtype of anorexia have implications for clinical status and treatment response? Int J Eating Disord 2011 ; 44(3) : 212-9.

 

Publié en 2019.12