L’hyperactivité physique est un symptôme fréquent chez les malades atteint(e)s d’anorexie mentale. On l’a décrite également en cas de boulimie. Curieusement, on connaît plutôt assez mal sa fréquence. En effet, dans la littérature scientifique, on trouve des chiffres allant de 30 à 80 % des malades. Qu’en est-il exactement et à quoi donc se rattache cette hyperactivité physique ?
L’hyperactivité physique est le besoin d’avoir une activité physique excessive, quotidienne, répétitive et sans vrai plaisir. Il s’agit d’une activité physique qui peut être « stérile », « inutile » : faire des pompes, courir sur place, s’accroupir… Il ne s’agit donc pas de l’activité physique intensive que développent les sportifs semi-professionnels ou professionnels. Il s’agit plutôt d’une espèce de drogue, à laquelle on doit se soumettre, sinon on se sent mal.
Il s’agirait donc plutôt d’une conduite addictive contrôlée par la pensée anorexique : ce n’est pas la malade qui souhaite s’activer physiquement pour se faire du bien ou être avec ses copines et copains, mais une malade en souffrance qui s’épuise à marcher, courir et/ou faire du sport seul(e), sans contact social, sans même de véritable plaisir.
On voit bien ici la difficulté de la définition en pratique. Car parler d’hyperactivité physique ne signifie pas, pour certains spécialistes des TCA, que la malade en ait forcément plus qu’une personne ne souffrant pas de TCA. Ce qui compte, c’est avec quelle pensée est faite cette activité physique. Ainsi une personne qui marche 60 min chaque jour d’un bon pas fait de l’activité physique (selon les médecins) si elle pèse 74 kg pour 1,67 m. En revanche, si elle pèse 42 kg, on pourra plus facilement lui « reprocher » cette hyperactivité physique. Quelle différence y a-t-il entre ces deux cas ? Seulement le poids : les médecins et donc la société (à moins que ce soit la société, donc les médecins) admettent qu’il est normal de vouloir développer une activité physique, même seulement pour perdre du poids, pour peu qu’on soit trop gros !
L’autre aspect est que, pour parler d’hyperactivité physique (par opposition à une « bonne activité physique »), il faut qu’il y ait notion de « besoin incontrôlé ». La malade ne peut pas ne pas le faire, sinon elle se sent angoissée ou plutôt déprimée.
Enfin, la définition de l’hyperactivité physique peut inclure le fait que cette activité compulsive, « stérile » doit entacher la vie personnelle (l’activité physique plutôt que se cultiver), sociale (je ne peux la faire que seule), familiale (je vais marcher plutôt que de rester avec mon père) voire professionnelle (si je ne suis pas allé(e) courir, je ne suis bon(ne) à rien).
Dès lors, on peut postuler que travailler sur son hyperactivité physique n’est pas obligatoirement supprimer l’activité physique mais la faire avec une toute autre forme de pensée.
Elle a été diversement appréciée. Ainsi, Klein et coll, récemment, ont étudié 36 malades atteints d’anorexie et ont trouvé une hyperactivité physique mesurée chez 15 malades (42 % des cas). Dans l’étude de Bossu et coll, la fréquence en était faible (1 malade sur 6, soit 16 %). Dans l’étude de Davis et coll de 2006, la fréquence était notable (25 des 50 malades, soit 50 %). Davis et coll, dans une étude plus ancienne (1994) avaient trouvé par interrogatoire que 78 % de leurs adolescentes anorexiques avaient eu ou avaient encore une hyperactivité physique, que 60 % étaient « très sportives » et que 75 % disaient que cette hyperactivité physique était surtout le fait de la période initiale de leur maladie. Au moment d’une autre étude de Davis et coll (1998), une hyperactivité physique était le fait de 22 des 53 malades (41 %). La fréquence d’une hyperactivité physique actuelle ou passée varie selon les études de 25 à 65 %, sans doute en partie selon les critères choisis.
La fréquence de l’hyperactivité physique varie probablement selon le type de TCA : elle serait plus fréquente en cas d’anorexie mentale restrictive (ni vomissement, ni crise de boulimie), un peu plus rare en cas d’anorexie boulimique et la plus rare en cas de boulimie à poids normal.
Très peu d’études ont cherché à savoir quel type d’activité physique pratiquaient les malades souffrant de TCA. Dans notre expérience, la plus courante est la marche, suivie de près par la course à pied. Après viennent différents types de sport, en particulier la gymnastique ou la danse. Si les malades sont confiné(e)s dans leur chambre au cours d’une hospitalisation, ils développent une hyperactivité physique « sur place » : mouvements pour muscler les abdominaux, accroupissements répétés, sautillement, course sur place. De rares malades sont à ce point pris dans l’hyperactivité physique qu’ils ne peuvent pas s’asseoir : ils restent debout pour regarder la télévision, manger ou même… lorsqu’ils assistent à un groupe de parole !
Il est à noter cependant que certaines études scientifiques portant sur un petit nombre de malades anorexiques n’ont pas trouvé un niveau d’activité physique réelle (mesurée) plus élevé chez les anorexiques que chez les contrôles (des femmes sans TCA).
Le niveau d’activité physique est très variable d’une malade à l’autre : quantitativement, il peut varier de un à quatre. En revanche, chez une même malade, il varie assez peu d’un jour à l’autre : l’activité physique est très souvent fixée, immuable, parfois minutée dans un rituel précis.
Les malades qui développent une hyperactivité physique sont plus souvent plus angoissé(e)s et ont plus souvent une image d’eux-mêmes plus mauvaise. Plus que les autres, ils mettent énormément du peu d’estime de soi sur la finesse de leur silhouette et sont plus souvent obsédé(e)s par le caractère disgracieux de leur corps.
Il semble aussi que les malades qui développent une hyperactivité physique ont plus souvent des troubles obsessionnels et compulsifs que celles qui n’en développent pas. Il s’agit très souvent de TOC alimentaires, mais aussi de TOC non alimentaires : ménage, rangement, lavage.
Des travaux récents ont rattaché cette hyperactivité physique à une sécrétion élevée de cortisol (une hormone sécrétée par les glandes surrénales) ou à une concentration plasmatique très basse de leptine, une hormone fabriquée par les adipocytes (dans le tissu adipeux).
Plusieurs hypothèses devraient être testées :
Il semble bien que non. Il faut sans doute ici distinguer l’anorexie mentale restrictive, boulimique et la boulimie. Rappelons que dans 30 à 40 % des cas, une anorexie mentale restrictive peut se transformer, dans les 3 premières années, en anorexie boulimique (c’est à dire avec des vomissements et/ou des crises de boulimie). Rappelons aussi que 40 à 60 % des malades boulimiques (c’est à dire à poids normal ou presque) ont eu pendant quelques mois ou années une anorexie mentale (avec donc un indice de masse corporelle, ou IMC, bas, inférieur à 18,5 kg/(m)2). Rappelons aussi que la pratique pendant des mois ou des années de crises de boulimie pluriquotidiennes, quand c’est le cas, est épuisante. Rappelons enfin qu’une des bases de l’anorexie mentale est le besoin de contrôle, de maîtrise et l’hyperactivité physique l’engendre. Ceci explique sans doute aussi pourquoi la fréquence de l’hyperactivité physique décroît de l’anorexie restrictive à la boulimie à poids normal. Par ailleurs, certains malades abandonnent cette hyperactivité physique sans que l’on sache pourquoi, au fil de leur maladie (lassitude ?).
L’hyperactivité physique est un besoin de bouger, de faire du sport de manière compulsive, addictive, au détriment de sa vie sociale et familiale. Cette hyperactivité physique concerne entre 30 et 60 % des malades, plutôt les malades restrictifs que boulimiques. Elle est à l’évidence liée au niveau d’angoisse (et à l’anxiété comme trait de caractère). C’est ce lien à l’angoisse qui explique sans doute le lien entre hyperactivité physique et troubles obsessionnels et compulsifs (TOC). D’un point de vue biologique, une sécrétion très faible de leptine et une sécrétion élevée de cortisol favorisent l’émergence de cette hyperactivité qui fait partie d’un processus plus global de maintien d’un niveau d’excitation fort chez ces malades.
Il est essentiel de prendre en compte et de travailler sur cette hyperactivité physique, lorsqu’on soigne un malade atteint de TCA, car cette hyperactivité sera un frein à la guérison.
Publié en 2008