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Viande : intérêt dans l'anorexie mentale et la boulimie


Pr Daniel RIGAUD - Président d'Autrement

1. Carences nutritionnelles multiples dans l'anorexie mentale et la boulimie

Les troubles du comportement alimentaire (TCA) sont des affections chroniques qui altèrent de façon sévère parfois les apports nutritionnels. Parmi les troubles alimentaires, deux sont surtout responsables de carences nutritionnelles multiples : l’anorexie mentale (AM) et la boulimie.

Nul n’ignore la sévère restriction énergétique des malades souffrant d’anorexie mentale : des apports souvent inférieurs à 900 kcal/jour, alors que les besoins sont de l’ordre de 2300 kcal/jour (femme de 25 ans pesant 51 kg pour 1,65 m et ayant une activité physique de l’ordre de 5 h par semaine).

Nul n’ignore la sévère restriction lipidique (matières grasses) des malades souffrant d’anorexie mentale : des apports souvent inférieurs à 25 g/jour, alors que les besoins sont de l’ordre de 70–75 g/jour (femme de 25 ans pesant 51 kg pour 1,65 m et ayant une activité physique de l’ordre de 5 h par semaine).

On ignore cependant encore souvent qu’il existe une importante carence d’apport en protéines : très souvent moins de 30 g / jour, alors que les besoins sont de l’ordre de 75–80 g / jour (toujours pour la personne ci-dessus).

On oublie aussi la carence importante en fer qu’il peut y avoir dans l’anorexie mentale.

De même, on ne s’intéresse pas au fait que la carence d’apport en lipides totaux est ipso facto associée à une carence d’apport en acides gras (AG) essentiels.

Et, fait encore plus marquant, les médecins considèrent trop souvent que la boulimie (qui associe un poids corporel normal et des crises compulsives alimentaires ponctuées de vomissements provoqués) n’est préoccupante que du fait de l’hypokaliémie et des risques auxquels elle expose. Or la boulimie est l’exemple caricatural de la « dénutrition à poids normal ».

A côté de l’anorexie mentale et de la boulimie, existent d’autres troubles du comportement alimentaire, moins connus, mais qui exposent également à des carences d’apports multiples : l’orthorexie, la restriction alimentaire sévère sans anorexie vraie, telle que l’on peut la voir chez certaines jeunes femmes de poids normal bas (indice de masse corporelle, IMC entre 18,5 et 21 kg/(m)2) ou chez des hommes et des femmes obèses, ou après chirurgie bariatrique (chirurgie de l’obésité).

Il convient tout d’abord de rappeler que les apports protéiques sont de deux types : les essentiels et les non essentiels. Il existe en effet des acides aminés essentiels (comme par exemple la tyrosine et le tryptophane), au nombre de 7 ou 8, et des acides minés non essentiels (parce que l’organisme peut les fabriquer à partir d’autres acides aminés ou de glucose).

L’anorexie mentale et la boulimie, mais aussi certains autres troubles alimentaires entraînent des carences d’apport en fer, en vitamines du groupe B : B1, B6, B9 (folates) et B12, mais aussi en calcium, en magnésium, en zinc…

En résumé : Anorexie mentale et boulimie conduisent à des déficits majeurs en énergie, en protéines, en acides aminés essentiels, en lipides et en acides gras essentiels. Elles entrainent également des déficits en micronutriments, tels que le fer et le calcium, les vitamines du groupes B (vitamine B1 et B6, vitamine B9 et B12 notamment), le calcium et la vitamine D et le magnésium).

2. Apports nutritionnels chez 268 malades hospitalisés pour anorexie mentale

Le tableau ci-dessous illustre les apports nutritionnels que nous avons observés les 3-4 premiers jours d’hospitalisation chez 268 malades hospitalisés pour anorexie mentale de forme restrictive et boulimique et chez des malades souffrant de boulimie (à poids normal).
On y voit la carence énergétique, la carence sévère en protéines et en certains acides aminés, la carence en fer et la carence en AG essentiels.

Tableau 1 : Apports nutritionnels dans l’anorexie mentale et la boulimie (n = 268)
 
Anorexie restrictive
Anorexie boulimie
Boulimie
(pds normal)
Normaux
Énergie (kcal/jour)
661 + 376
991 + 366
 1181 + 376
2280 + 314
Protéines (g/jour)
29,9 + 20
46,8 + 22
36,8 + 18
77,6 + 21
Lipides (g/j)
17,8 + 14,1
29,1 + 18,3
27,4 + 12,7
71,6 + 13,2
Glucides (g/j)
95,5 + 54,2
135,5 + 56,9
128,6 + 44,2
287,8 + 64,4
Tyrosine (g)
0,24 + 0,06
0,26 + 0,05
0,28 + 0,04
0,60 – 0,80
Tryptophane (g)
0,08 + 0,03
0,07 + 0,04
0,11 + 0,05
0,30 – 0,50
Fer (mg)
1,8 + 1,6
2,4 + 1,2
2,8 + 2,6
10 - 17
Vitamine B9 (g)
0,11 + 0,02
0,12 + 0,04
0,15 + 0,05
0,3 – 0,5
Vitamine D (µg)
1,2 + 1,4
1,5 + 1,8
1,9 + 1,1
10 - 12
AM restrictive : n = 89 ; AM boulimique : n= 94 ; Boulimie : n = 85.
Les apports énergétiques de ces 268 malades étaient de l’ordre de 29 % des apports normaux, les apports protéiques de 38,5 % des apports normaux, les apports de lipides de 24,8 % des apports normaux, les apports de fer de 14 % des apports normaux.
 
Fait essentiel, ces apports très déficitaires n’entraînent pas de déficit visible au niveau des éléments plasmatiques : la glycémie était normale chez presque tous les malades. Il en était de même de l’albumine, la pré-albumine, l’hémoglobine, la transferrine et la ferritine, mais aussi le calcium et le magnésium plasmatiques. De façon paradoxale, malgré le déficit colossal d’apports lipidiques, les triglycérides plasmatiques étaient augmentés chez 14 % des malades et le cholestérol total et LDL, mais aussi le HDL-cholestérol chez 15 à 17 % des malades.

Les apports de certains aliments sont fortement altérés dans l’anorexie mentale et la boulimie (cf tableau ci-dessous).

Tableau 2 : Pourcentage des malades qui ne consomment jamais les aliments en question
% des malades ((n = 268)
AMR
AMB
B
N
Viande rouge
86
89
71
18
Viande blanche
57
61
64
23
Poisson
14
17
15
8
Sucre
96
98
95
32
Aliments sucrés
97
95
92
13
MG ajoutées
99
97
95
15
Aliments gras
94
91
93
8
 

3. Pourquoi faut-il traiter ces déficits ?

Dans la mesure où les concentrations plasmatiques de la plupart des marqueurs nutritionnels sont normaux, tant dans l’anorexie mentale que dans la boulimie, faut-il s’en occuper ?

Un faisceau de preuves suggèrent très fortement qu’il faut combler ces déficits :

  1. Dans l’anorexie mentale comme dans la boulimie, on observe des états dépressifs et anxieux, des troubles de l’humeur et des troubles du sommeil. Or l’on sait de façon certaine, chez l’animal comme chez l’homme (expérience d’Ancel Keys en 1945), que des carences nutritionnelles en protéines, en AG essentiels (oméga 3 notamment, mais pas seulement), des carences en fer et en vitamine B9 peuvent entraîner de tels troubles psycho-comportementaux.
  2. Les troubles psycho-comportementaux ci-dessus sont en partie corrigés (mais pas totalement) par la renutrition et une alimentation normale.
  3. Les troubles trophiques observés dans l’anorexie mentale et dans la boulimie, mais aussi dans les autres troubles restrictifs sévères, au niveau de la peau et des phanères, affirment la dénutrition et sont supprimés par la renutrition.
  4. Les troubles digestifs (ralentissement de la vidange gastrique, constipation surtout) sont fréquents en cas d’anorexie mentale et de boulimie et sont corrigés, à terme, par la renutrition dans 90 % des cas.
  5. Les troubles des règles (aménorrhée dans l’AM, dysménorrhée dans la boulimie et autres TCA) sont corrigés par le retour à un IMC et à une alimentation normaux.
  6. La diminution de la fécondité observée dans bien des troubles du comportement alimentaire (anorexie mentale, boulimie, conduites très restrictives, vomissements provoqués…) est réduite par la réalimentation.
  7. L’ostéopénie et l’ostéoporose, très fréquentes en cas d’anorexie mentale et assez fréquentes dans les autres troubles alimentaires, sont réduites ou disparaissent sous renutrition.
En résumé : Malgré l’absence de carences objectivables par les bilans sanguins, le déficit d’apport est associé à un déficit fonctionnel qui porte sur les fonctions supérieures (système nerveux central), l’humeur et le sommeil, l’os, la fécondité et l’état hormonal, ainsi que la trophicité des tissus de revêtement et les fonctions digestives.

Ainsi en l’état actuel des connaissances, il existe un bon à très bon niveau de preuves en ce qui concerne les déficits nutritionnels et leurs conséquences sur la santé.

4. Comment pallier à ces déficits d’apport ?

Ainsi qu’il a été vu, il existe des déficits sévères en protéines, en acides aminés essentiels (comme la tyrosine qui est le précurseur de la Dopamine et le tryptophane qui est celui de la sérotonine), en AG essentiels, en fer et en vitamine du groupe B. Ces déficits sont responsables (mais souvent en partie seulement) de troubles du sommeil, de troubles de mémoire, de troubles de la concentration et de troubles de l’humeur.

Or les viandes, notamment les viandes rouges, sont des sources notables, dans notre alimentation, de ces éléments nutritionnels.

Protéines : Il faut rappeler que les viandes apportent 20-22 g de protéines pour 100 g, soit 4 fois plus qu’u yaourt (4,5 g pour 100 g, un yaourt pesant en général 125 à 150 g). Il existe des arguments pour penser que l’apport en protéines est un facteur efficace de lutte contre les crises de boulimie. Dans notre expérience, plus les malades réintroduisent des aliments protéiques comme la viande ou le poisson et moins ils font de crises.

Fer : De même, il faut insister sur le fait que les viandes rouges apportent 2 à 3 fois plus de fer que le poisson et que c’est un fer bien plus assimilable : une viande rouge apporte de 2,5 à 3,5 mg de fer pour la plupart, alors que les besoins sont de 10 à 15 mg/j. A titre de comparaison, le poulet (blanc) apporte 1,3 mg de fer et les épinards 2,2 mg. Enfin, les études scientifiques affirment que seuls 15 % du fer animal (viande) est assimilé, contre encore moins pour le fer végétal (épinards) : 6 à 7 % seulement, donc deux fois moins.

Énergie : L’apport énergétique, lipidique et protéique est crucial contre les crises : la nutrition entérale par sonde nasogastrique arrête les crises de boulimie dans 75 à 84 % des cas, par le seul fait de la sonde et des apports nutritionnels.

Vitamines du groupe B : Les viandes sont riches en ces vitamines. Elles représentent la principale source des vitamines du groupe B dans l’alimentation. Or la vitamine B9 participe à la synthèse de Dopamine et de sérotonine. Des anémies se démasquent à l’occasion de la renutrition : elles doivent être compensées par des apports de viande et à défaut, des apports en fer, vitamine B9 (1 comp. par jour pendant 3 mois) et B12 (une ampoule injectable une seule fois).

5. Conclusion

Les viandes sont un excellent aliment à conseiller en cas de trouble du comportement alimentaire. Cette approche thérapeutique s’avère difficile (les malades rejettent souvent la viande, notamment rouge) mais payante.


Publié en 2011