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Une longue traversée

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C’était il y a dix ans. Je m’en souviens encore si fort. C’est hier. J’ai quinze ans, je me sens moins belle que ma sœur aînée, plus ronde aussi. En riant, ma mère me surnomme « mon petit gros ». Quinze ans et si avide de vivre. Et là, tout bascule. Depuis des mois en effet, j’éprouve en secret un amour fou pour mon oncle, le mari de la sœur de ma mère. Je confie mon amour à mes parents. Horreur. Scandale. On crie à l’inceste. Et mon amour ! Ils l’ont sali !! Une agitation énorme, qui me dépasse, secoue la famille. Les téléphones sonnent. Ma tante est mise au courant, elle m’insulte. Trahie, je suis trahie par les miens. Une femme naissante est mise à mort ; l’enfant se tait. Mon corps se fane, pris dans une bulle de honte. J’avais confié un secret, ils l’avaient répété. Je n’avais plus confiance en personne. Les autres me font peur.

En six mois, Je perd 10 kilos. Plus rien ne me faisait envie. Je veux disparaître. Maigrir. Maigrir, mais oui, c’est la solution. Je buvais du thé sans sucre toute la journée, et plus je maigrissais, plus je me sentais forte. C’était sournois, je n’avais pas encore conscience d’être dépendante de ce plaisir de maigrir. Inquiets par ma maigreur, mes parents me force à venir à table, à m’alimenter. Ils s’inquiètent. Car ce comportement alimentaire leur rappelle quelque chose. Comme une punition divine ! Il faut dire que l’attitude de « l’adolescente » rappelle de sombres souvenirs : il y a bien longtemps déjà, ma marraine, l’une des sœurs de ma mère, est morte, dénutrie, tuée par l’anorexie mentale. Elle mesurait 1,75 m et pesait 27 kilos.

Je crains mon père. Alors à table, je mange : j’avale, mais avec une seule idée : je vais vomir. Pendant six mois, j’ai été totalement anorexique. Tout ce qui entrait dans mon corps était du poison. Mon corps était la seule arme que j’avais trouvée contre mes parents, ma façon de dire merde à ceux qui avaient trahi mon secret. C’était une arme atroce, ils ne pouvaient pas lutter. Ma grand-mère chérie meurt, je ne verse pas une larme. Je devenais un robot. Je maîtrisais mon corps avec une force mentale absolue.

Un an plus tard, les médecins me déclarent anorexique mentale : 29 kg pour 1,58 m. Les parents sont désemparés, Je déménage à Orléans pour vivre un amour morne avec un garçon que je n’aime pas et multiplie les tentatives de suicide. Je me fichais de tout. Mon corps n’était pas alimenté, c’était l’essentiel. A travers lui, j’exprimais ma souffrance. Sans nourriture, je ne partageais rien. Mon ventre dessinait un creux vers l’intérieur. Ce ventre, centre des émotions, devait toujours être vide pour que je me sente bien. Je n’avais plus de règles, des hormones endormies et donc plus de désir.

Chaque jour, en secret, Je pense à mon oncle. J’ai 22 ans et plus d’avenir. Je quitte Orléans et mon copain. Je maigris encore un peu plus chaque semaine et descends aux enfers. Un hôpital psychiatrique. Un asile avec de vrais fous. Une prison qui me casse définitivement. J’étais enfermée à double tour dans une chambre de 10 m2 . Une lucarne à la porte, comme dans les prisons. Mes parents n’avaient pas eu d’autre choix que de m’interner d’office. Je n’avais pas le droit de sortir, ni de lire, ni de téléphoner … Je devais aller au bout de moi-même. Dans cette chambre, je me laisse mourir. Chaque nuit, je rêve de mon oncle. Ma seule sortie, c’est la pesée, une fois par semaine. Dérisoire : je ne pèse rien ! Un matin, je sombre dans le coma et suis transférée dans le service de réanimation. Je pèse 22 kg, plus de cheveux, une tête qui ne tient plus toute seule, des os et des muscles qui ne me portent plus. Le contrat est là, imposé : « elle » ne sortira de l’hôpital que lorsqu’elle pèsera 45 kg. Je me suis gavée. Ça me répugnait, mais je mangeais, juste pour mettre fin au cauchemar et retrouver ma liberté. En trois mois, J’honore le contrat. Je suis sortie, mais j’étais toujours malade puisque je n’avais pas été soignée. Je rechute donc. En moins de six mois, je perds 20 kg, tout mon potassium (je vomis de plus belle), multiplie les crises de tétanie. J’ai peur. J’ai froid !

J’étais lasse des hôpitaux, des psy, des médecins… Il était évident que j’allais mourir, comme ma marraine. Huit ans de galère, de séjour à l’hôpital, de renutrition et de nouvelles plongées dans l’horreur. Je ne sais plus qui consulter, quel charlatan peut m’aider. Je suis prête à tout : compléments nutritionnels, acupuncture, homéopathie... Mais rien ne marche.

Et puis un beau matin, le hasard me tend une perche. Je le vois au loin dans la rue. Lui, mon oncle. Mon amour caché. Je ne saurais au fond jamais pourquoi, mais alors JE SAIS ce qu’il faut que je fasse. Il me faudra un an pour passer à l’acte. Un an que ma décision est prise. Toutes ces années de réflexion peut-être, de travail sur moi-même me pousse à agir. J’attends peut-être de pouvoir être sûre que j’aurais « quelqu’un à lui montrer ». Une femme retrouvée ! C’est un de ces matins du monde où la lumière est belle, éclaire le présent et jette un espoir d’avenir. Je n’hésite plus, je lui téléphone. Nous avons rendez-vous. J’y vais le cœur battant. Je l’aborde et je vois dans ses yeux que je peux y trouver ce que je cherche depuis si longtemps. Je lui raconte toute l’histoire. Je lui dis que je l’ai tant attendu, à en mourir. Je retrouve l’émotion, en fait je parle de reconnaissance. Il comprend. Je parle huit heures sans interruption. Une telle intensité dans ses regards. Il dit qu’il n’a pas osé, il dit « pardon ». Simplement. J’ai le sentiment qu’il trouve dans cette rencontre une libération. Le poids (!!) de notre « faute » devient dérisoire. C’était juste un amour impossible. Cinq mois plus tard, j’étais dans ses bras. Il faisait vibrer mon corps. Ce jour là, je devenais une femme !

Dès lors, la guérison se construit, pas à pas. Je prends les derniers kilos, je prends du poids dans ma tête, je pèse enfin quelque chose. Je peux aimer à nouveau mes proches, mes parents. J’aime enfin mon corps, j’ai confiance en lui, il s’autorégule, je l’écoute, je ne le force plus.

Que vous dire d’autre ? Plus rien de la maladie. Mais au fil des semaines, je prends conscience qu’il n’est pas l’homme avec lequel je veux construire ma vie. Il était un passage. Un désir. La pensée d’un idéal masculin dont je ne rêve plus. Nous nous sommes quittés depuis. Il a été la clé de ma guérison. Aujourd’hui, il est mon meilleur ami.

Dans quelque temps, pas trop longtemps, je voudrais un enfant. Pour emplir mon ventre de l’homme que j’aime, d’un Amour vrai de femme.

Alors, je me dis, avec un peu de regret : mon Dieu, tout ça pour ça !

Danielle R.

 

Publié en 2002