La science évolue, heureusement. Après avoir, pendant 60 ans, fustigé les parents et les avoir accusé de l'anorexie mentale de leur enfant, on a compris qu'on faisait fausse route.
Nous n'en sommes plus à pointer la responsabilité des parents, comme si c'étaient eux les coupables. Surtout la mère !
Cette implication, fausse on le répète, avait une certaine logique : la mère est en charge de l'alimentation dans les familles. S'il y a un trouble du comportement alimentaire, c'est donc de sa faute. Ou de celle du père qui est absent de cet aspect de la vie de famille. Si une adolescente refuse de manger, la mère doit être en cause, puisque c'est elle qui fait à manger et que les enfants mangent ce que leur donnent les parents. Enfin, les enfants tissent avec leurs parents des liens qui se développent autour des repas.
L'assertion selon laquelle à un trouble alimentaire il doit y avoir un coupable est née aussi du fait que dans notre société, si survient un évènement nocif, c'est qu'il y a un coupable.
Donc, si une jeune fille ne mange pas, c'est la faute de ses parents. Derrière Lassègue, Gull et Charcot (1875), certains médecins concluent que "les parents sont les pires des thérapeutes". L'antipsychiatrie va même enfoncer le clou : c'est "l'aliénation parentale" de David Cooper ou Ronald Laing un siècle plus tard (1972). L'enfant souffrant de troubles psychiques est le reflet, et la victime, d'un dysfonctionnement parental.
Pourtant, de très nombreuses expériences ont montré depuis que les choses étaient bien loin d'être aussi simples : dans 15 % des cas d'anorexie mentale et 20 % des cas de boulimie, on ne trouve aucune cause, aucun fait marquant, ni aucun traumatisme "significatif". Il est donc prudent, voire raisonnable de ne pas accuser systématiquement les parents de l'anorexie mentale de leur fille !
Rappelons enfin qu'un médecin ou un thérapeute doivent "avant tout ne pas nuire".
Il est utile de se souvenir de quelques faits scientifiques avérés :
8- Les parents n'ont pas la "science infuse". Il est donc mieux qu'un thérapeute s'implique pour leur expliquer ce qu'il y a à comprendre. Comment fonctionne un TCA. Comment on peut aider l'ado à s'en sortir, sans faire à sa place, mais sans nier non plus les difficultés. L'idée est d'infléchir les comportements de chacun dans la famille pour faire "autrement", sans le TCA.
9- Les parents ont une mission : faire mettre en pratique les messages du thérapeute.
10- Les parents donnent au thérapeute un "éclairage différent" de celui du malade. Ils l'aident ainsi parfois à voir des choses qu'il n'a pas vues.
11- Recevoir les parents permet d'avoir leur point de vue sur l'alimentation, les repas, le poids, les gens gros, le sport….
12- Le TCA induit des modes de pensées et des dysfonctionnements psychiques (irritabilité, opposition, colère, dépression, TOC, refus de s'alimenter) qui peuvent générer des troubles familiaux. En d'autres termes, il arrive que le caractère "nettement pathologique" d'un père ou d'une mère ne soit que la conséquence, et non la cause, du TCA. Pour nous résumer, je dirais que la famille est moins souvent pathogène que le TCA lui-même. S'il arrive, dans certains cas, que la famille joue un rôle (parmi d'autres) dans la genèse du TCA, c'est la plupart du temps que le TCA, lui, induit des dysfonctionnements parentaux.
Il est vrai, cependant, que si la mère (pas le père) souffre de TCA, sa fille (beaucoup moins son fils) a 3 fois plus de risque de souffrir d'un TCA. De plus, si au moins un des parents et un des grands-parents a souffert de TCA, le risque pour l'enfant est multiplié par quatre, passant de 5 à 20 %.
Ceci fait-il des parents des coupables ? Non. Ce sont leurs gènes (s'ils ont des ATCD de TCA) ou leur comportement (si la mère souffre encore d'une forme d'anorexie ou de compulsion…) qui sont "explicatifs". Une mère qui souffre de TCA ne le fait pas exprès pour nuire. Elle est comme sa fille, elle n'y peut pas grand-chose.
Russell (1987) a fait une étude contrôlée chez 57 adolescentes AM et 23 adolescentes boulimiques : 40 patientes furent traitées par psychothérapie de soutien et 40 par thérapie familiale. Au terme du suivi (de 18 mois), les ados traitées par thérapie familiale étaient plus souvent en rémission (38 % versus 24 %), avaient un IMC plus proche de la normale et un score de TCA moins élevé que celles qui avaient été suivies sans thérapie familiale (P<0,03).
Minuchin S et al (1975) suivirent 53 ados de 9 à 18 ans souffrant d'anorexie mentale pendant deux ans. Ils les traitèrent, entre autre, par psychothérapie familiale : 85 % des ados allèrent beaucoup mieux ou furent guéries, 5 % allèrent mieux sans être guéries et 10 % eurent leur état inchangé. Russell, en 1987, publia une étude chez 57 ados souffrant d'anorexie mentale. Elles reçurent soit une psychanalyse, soit une thérapie familiale : estimé après 2 ans de suivi, le pronostic fut meilleur dans le groupe " thérapie familiale". Robin (1994) traita 120 ados souffrant d'anorexie mentale par psychothérapie de soutien (n=60) ou thérapie familiale (n=61). Il y eut deux fois plus de rémission dans le groupe thérapie familiale (49 % vs 23 % ; P<0,01).
Lock et al (2010) suivit 121 malades ados souffrant d'anorexie mentale (12-17 ans), 60 furent traitées par thérapie familiale (24 séances sur 1 an) et 61 par psychothérapie de soutien. Un an plus tard, le pourcentage de rémission complète fut plus grand dans le groupe thérapie familiale que dans le groupe contrôle (22% contre 11 %). Dans le groupe thérapie familiale, 15 % des ados durent être ré-hospitalisés contre 37 % dans le groupe contrôle (P<0,02).
Une étude française (Godart et al) a été publiée en 2012 : 60 adolescentes de 13 à 19 ans ont été traitées soit par psychothérapie de type analytique (PTA ; n=30), soit par PTA plus thérapie familiale (n=30). A 18 mois, 40 % des patients du groupe PTA+ thérapie familiale étaient en rémission, contre 17 % dans le groupe PTA seule (P<0,01).
Donc, il n'y a aucun doute. La thérapie familiale est utile (nécessaire) en cas d'anorexie mentale. Cependant :
Nous avons vu l'étude de Russell (1).
L'étude de Le Grange (6) va dans le même sens. Ils ont traité 83 ados et jeunes adultes (toutes des femmes) souffrant de boulimie soit par psychothérapie de soutien (n=41), soit par thérapie familiale (n=42). Le pourcentage de rémission complète était plus grand avec la thérapie familiale (39 % vs 18 % à la fin du traitement).
Une autre étude des mêmes équipes (USA) a confirmé l'intérêt de la thérapie familiale dans la boulimie (7) : étaient en rémission complète 48 % patients du groupe thérapie familiale contre 32 % du groupe thérapie cognitivo-comportementale (TCC) à 12 mois.
Une analyse exhaustive de la littérature a été faite par Rienecke en 2017. Il conclut que la preuve de l'efficacité de la thérapie familiale a été apportée avec certitude dans l'anorexie mentale et dans la boulimie, chez les adolescents. Il souligne également que la thérapie multi-familiale (groupes de parents-ados) est, elle aussi, efficace.
Accuser un parent de la maladie de son enfant, même de façon subliminal, n'est ni humaniste, ni efficace. Il est plus profitable d'inclure les parents en tant que co-thérapeute que de les culpabiliser.
Il est fort utile de voir les parents au début, au moins une fois, pour entendre leur discours face aux aliments, face au poids et aux gens gros, mais aussi pour savoir ce qu'ils ont à dire du TCA de leur enfant (qui peut minimiser son TCA).
Se faire un allié des parents est plus pertinent que de s'en faire des ennemis.
Il est prouvé qu'une thérapie incluant les parents, y compris en travaillant d'un point de vue diététique, est efficace dans la lutte que le thérapeute mène contre l'anorexie et la boulimie chez les adolescentes.
Ceci vaut pour la thérapie familiale, mais aussi multi-familiale (groupe de parents-enfants).
Publié en 2019.07