Anorexie, boulimie, compulsions alimentaires : l'association peut vous aider à voir les choses Autrement

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Anorexie mentale : primum non nocere

Dr Alain PERROUD - Psychiatre (Genève)


Depuis plusieurs années, les publications sur l’efficacité des soins dans l’anorexie mentale arrivent toutes à la même conclusion : nous ne savons pas traiter ce trouble des conduites alimentaires.

Ce constat est nuancé par les thérapies de famille et leur intérêt réel. Elles demeurent toutefois d’une efficacité modeste et insuffisamment validées, d’une part et, d’autre part, elles ne s’appliquent qu’aux sujets les plus jeunes (moins de 19 ans) et dont le trouble est suffisamment récent (moins de 3 ans d’évolution).

Pourtant, nul ne songerait à renoncer aux soins. Dans bien des situations, nous avons la conviction qu’ils ont été utiles, voire vitaux. Pourtant, il est bien difficile de le démontrer clairement ni d’établir quelles actions de soins sont utiles ou quels programmes seraient préférables.

Plus récemment, quelques auteurs ont aussi voulu s’intéresser à l’iatrogénie. Ils se sont posé la question de savoir si la relation thérapeutique, les techniques diverses (et non validées) employées, les modalités d’hospitalisation et les attitudes des soignants en général pouvaient, derrière leurs louables intentions, avoir des effets néfastes. Leurs réponses ne sont pas toujours rassurantes.

Face à des soins trop peu efficaces et pouvant générer des nuisances, il est temps d’aller voir de plus près cette question et de considérer la place particulière de l’anorexie mentale dans les soins en général et en psychiatrie en particulier.

La première chose à faire est de considérer ce que nous apprend l’histoire de ce trouble des conduites alimentaires et de ses traitements. Or elle est très riche et mouvementée. Les tout premiers auteurs, tels que Marcé ou Janet par exemple, ont insisté sur la nécessité de séparer ces personnes de leur milieu, voire de les isoler. Ils avaient 2 idées en tête : l’entourage nuit à la guérison, il est « toxique » ; ou encore, il faut protéger les proches des effets latéraux de la maladie sur leur propre équilibre.

Plus tard, sous l’impulsion des thèses psycho-dynamiques, le champ des coupables possibles s’est resserré autour de la mère (surprotectrice), d’abord, puis du père (absent)… sans parvenir à des résultats probants. On a même incriminé la fratrie avant d’abandonner vraiment la quête de responsabilité chez les proches. Par la suite, ce courant de pensées s’est égaré dans les méandres de la psychosomatique. Cette voie, la aussi, s’est avérée stérile.

Au cours des années 20 à 50, ce fut la quête d’une organicité qui occupa les chercheurs : tour à tour on interrogea l’hypophyse, la thyroïde, les ovaires, les surrénales… sans rien trouver de convaincant là encore.

Plus près de nous, les systémiciens ont tenté de rafraichir le concept de la pathologie d’ordre familiale. Leur démarche les a conduit progressivement à renverser le propos totalement : la famille n’est pas le problème mais elle fait partie de la solution.

Quant aux approches plus biologiques, elles nous ont conduit à voir de plus en plus clairement l’aspect génétique de ces pathologies sans toutefois ouvrir plus de voies de réflexion quant aux traitements possibles. L’étude approfondie du cerveau et de sa chimie donne le même sentiment : on décrit de mieux en mieux les mécanismes de l’anorexie mais on ne les explique pas mieux pour autant.

Certains auteurs, plus modestement, ont tenté de cerner des mécanismes simples mais pertinents pouvant inspirer les méthodes de soin. Crisp a souligné l’importance pour bon nombre de sujets de la peur de grandir et de l’évitement de la maturité comme moteur principal du trouble. Les comportementalistes ont perçu clairement l’importance de la faible estime personnelle et du perfectionnisme. Les cognitivistes ont mis à jour les schémas de restriction et leurs incidences. Tous en ont inféré des programmes de soin mais aucun n’a pu véritablement apporté la preuve de la validité de ces méthodes.

Donc, en résumé, l’anorexie mentale reste un trouble méconnu et bien difficile à soigner. Au moins, nous disons-nous, nous apportons une aide réelle même si elle n’est pas démontrée ! Hélas, rien n’est moins sûr, nous dit Steinhausen (Am J Psychiatry, 2002). Il n’y a aucune raison de penser que nous avons progressé si on considère que les traitements des années 50 donnaient des résultats assez comparables à ceux des années 2000.

Pis encore. Le travail de Ben-Tovim (Lancet, 2001) confirme que les sujets traités n’évoluent pas mieux que ceux qui ne le sont pas. Il suggère clairement que les soins sont, au mieux, inopérants.

D’autres vont plus loin et n’hésitent pas à se poser la question de leur éventuelle nocivité. Pour exemple, nous citerons le travail de Gowers (2000) qui tend à faire apparaître que les adolescents de moins de 16 ans hospitalisés pour anorexie mentale ont une évolution moins favorable que ceux qui ne l’ont pas été. Le débat est ouvert et nous devons nous préserver de conclusions trop hâtives mais il est certain que les soignants que nous sommes ne peuvent rester indifférents à toutes ces informations.

Une voie de réflexion très intéressante sur ce sujet a été ouverte par l’équipe du Maudsley Hospital : après avoir tenté de repérer les attitudes parentales posant problème, ils se sont interrogés sur les mêmes attitudes repérables chez les soignants : charité bien ordonnée…

Ils décrivent quelques comportements possibles chez les soignants les mieux intentionnés et leur travers. Ce sont les mêmes qu’on attribuait aux proches et qui nous posaient problème.

En voici un petit florilège :
1- La surprotection. Qu’il s’agisse d’un cadre trop fermé sur le monde extérieur ou d’attitudes trop préventives des risques, il y a là un risque de tomber dans des modalités de soin trop restrictives des libertés et de l’autonomie.
2- Les attitudes critiques et « confrontatives ». Les menaces, sanctions et coercitions que les soignants utilisent parfois pour faire changer une personne sont en fait des sources de tensions pénibles et menacent encore plus le sentiment de valeur personnelle du sujet.
3- La résignation. Les arrangements et autres négociations autour de la prise de poids conduisent parfois à laisser traîner les choses bien trop longtemps.
4- Les modalités de soin aggravantes. Il arrive souvent que les objectifs des soins ne tiennent pas suffisamment compte des cibles spécifiques des TCA. Qu’ils contribuent à l’isolement social et affectif ou qu’ils favorisent le perfectionnisme ou la mauvaise estime de soi, par exemple.
5- Les cognitions « anorexiques » des soignants. Il peut s’agir de discours « trop » sanitaires autour de la nourriture, par exemple. Orthorexie, hygiénisme alimentaire et autres discours qui accentuent la préoccupation autour de la nourriture ont des effets pervers.
6- Les réactions trop émotionnelles. Les soignants peuvent être mis en grande difficulté par la sévérité de certains cas d’anorexie. Ils sont alors en danger de perdre leur sang froid et d’agir en suivant leurs émotions du moment.
7- Les soins « au jour le jour ». Ce trouble a une durée généralement importante et il est parfois difficile de garder un cap clair. La tentation de se contenter de suivre l’actualité des événements et d’y réagir au coup par coup peut se comprendre mais cette attitude réduit sensiblement les chances de succès.

En conclusion, nous devons tous nous interroger sur nos pratiques de soins autant que sur nos capacités à remettre en question régulièrement nos ressentis si nous voulons rester thérapeutiques.

De plus, la formation des intervenants doit être améliorée. Il en va tout autant des psychiatres en charge de services spécialisés que des infirmiers, aides-soignants, diététiciens, nutritionnistes, etc.

Enfin, et surtout, nous avons tous un urgent besoin de progresser dans la prise en charge et le traitement de l’anorexie mentale. La recherche dans ce domaine est bien trop peu active et productive encore.

Publié en 2011