Anorexie, boulimie, compulsions alimentaires : l'association peut vous aider à voir les choses Autrement

Anorexie Boulimie Compulsions
Définitions, physiopathologie, épidémiologie et maladies associées
Anorexie mentale et boulimie : les bases Anorexie mentale : en pratique Boulimie : diagnostic Boulimie en trois mots Boulimie et dénutrition Boulimie et dépression : un lien dans les deux sens Caractéristiques psychopathologiques des malades atteints de TCA Classification des troubles alimentaires Compulsions alimentaires Hyperactivité physique : une défense contre les émotions Épidémiologie des TCA Le mérycisme : aspects cliniques et thérapeutiques Les troubles alimentaires atypiques Objectif pondéral dans l'anorexie mentale et la boulimie Rôle des facteurs nutritionnels dans le pronostic de l'anorexie mentale Troubles obsessionnels compulsifs de l'enfant et de l'adolescent
Cas clinique et complications Traitement Autre TCA Les études scientifiques
Obésité Nutrition Alimentation

Anorexie mentale et boulimie : les bases


Depuis quelques années, de gros progrès ont été faits dans la compréhension et le traitement de l'anorexie mentale et de la boulimie.

1. Définitions

1.1. L'anorexie mentale

L’anorexie mentale, c’est avant tout la peur de grossir (ou de regrossir). Ce n'est en rien pareil à une anorexie dépressive ou cancéreuse : dans l'anorexie mentale, la malade lutte contre sa faim.

1.2. La boulimie

La boulimie est la répétition (>2/semaine), de crises compulsives alimentaires ponctuées de vomissements provoqués. Pendant la crise, un fort sentiment de perdre le contrôle pour la patiente à se faire vomir. La patiente est animée d'une pensée identique à celle de l'anorexie mentale et donc dans des comportements compensatoires : vomissements on l'a vu, mais aussi jeûne de plusieurs jours, sauts de repas… Le plus souvent, la malade est de poids normal (IMC entre 18 et 25 kg/(m)2).

La boulimie n’a rien à voir avec une compulsion alimentaire. La personne qui souffre de boulimie se considère comme ayant "une anorexie mentale ratée" (sic). Dans la boulimie, la pensée anorexique (ne pas grossir) est très forte, alors qu’elle est absente dans la compulsion alimentaire.

2. Diagnostic

Anorexie mentale (AM) et boulimie touchent des malades de sexe féminin et d'âge jeune :

  • 90-95 % des patients qui souffrent d'anorexie mentale et 95 % de ceux qui souffrent de boulimie sont de sexe féminin
  • dans 90 % des cas, ce sont des jeunes filles ou des femmes de 15 à 25 ans.
  • Ces troubles touchent tous les milieux sans distinction.

2.1. Anorexie mentale (clinique)

Le diagnostic est facile et purement clinique. C’est la peur et le refus de peser un poids même normal bas (IMC<18,5 kg/(m)2) et un amaigrissement de plus de 15 % du poids qui définit l’anorexie mentale. La présence de crises de boulimie ou de vomissements n’est pas obligatoire au diagnostic.

Il y a deux formes d’anorexie mentale :

1. la forme restrictive : pas de vomissement, pas de crise compulsive alimentaire
2. la forme boulimique : la malade s’aide de vomissements et/ou sombre dans des crises de boulimie.

2.2. Boulimie (clinique)

C’est le type de crises, leur fréquence dans la semaine, les vomissements associés et le refus de grossir qui font le diagnostic. Les examens biologiques ne sont ni sensibles ni spécifiques.

2.3. Anorexie mentale (biologie)

Aucun examen biologique n’est requis pour le diagnostic d’anorexie mentale. La biologie de la dénutrition est ici en défaut : l’albuminémie, la pré-albuminémie, l’hémoglobinémie, le taux de lymphocytes, la calcémie sont normaux dans l’AM. C'est le cas aussi dans la boulimie.

Ainsi, dans une étude portant sur 108 malades souffrant d’anorexie mentale (Rigaud D et al, 1996), les examens biologiques ci-dessus étaient normaux dans 90 % des cas. Seules 15 % d'entre elles avaient une anémie modérée (entre 10 et 11 g%).

L’aménorrhée est quasi constante dans l’anorexie mentale. Elle n’est cependant pas nécessaire au diagnostic. Elle est dépendante du poids.

On distingue 2 types d’aménorrhée :

1. l’aménorrhée primitive, qui apparaît avant la perte de poids et
2. la secondaire, qui n’est notée qu’après une certaine perte de poids.

2.4. Boulimie (biologie)

Le diagnostic est également clinique. Rares sont les malades chez qui une hypokaliémie, une augmentation de la réserve alcaline, une insuffisance rénale fonctionnelle, une hémoconcentration permettent de faire le diagnostic de vomissements. Le plus souvent (50-60 % des cas), il n’y a pas d’hypokaliémie significative (kaliémie > 3,5 mmol/L), malgré des vomissements pluriquotidiens. Dans la boulimie vraie (à poids normal donc), l’aménorrhée est rare (15 % des cas, contre 95 % des cas dans l’anorexie mentale.

3. Physiopathologie de l'anorexie mentale et la boulimie

Dans les deux cas, il y a excès d’investissement sur le poids et le régime hypocalorique. Dans les deux cas, le manque de confiance, l’excès de perfectionnisme, le besoin de maîtrise sont fréquents (80-90 % des cas). On trouve par ailleurs très souvent une anxiété (60 % des cas), une tendance dépressive antérieure (30-50 % des cas), une maniaquerie (ou des TOC).

L’hyperactivité physique est fréquente, aussi bien dans l’anorexie mentale (50-60 % des cas) que dans la boulimie (30-40 % des cas).

Génétique : Anorexie mentale et boulimie s’inscrivent dans un contexte génétique. Le risque de développer une anorexie mentale ou de la boulimie est multiplié par 3 s’il y a des cas de trouble alimentaire dans la famille. On trouve aussi dans la famille des patients :

  • Une tendance dépressive familiale (au moins deux membres touchés) ;
  • Une anxiété, quelle qu’en soit la forme (anxiété généralisée, phobie, TOC) ;

Environnement : Parmi les autres facteurs de risques familiaux non génétiques, il y a :

  • L’importance attachée par le père à une silhouette féminine mince et à la forme physique. Le risque relatif est multiplié par trois
  • L’importance attachée par la malade et sa famille à l’activité physique et sportive. On trouve deux à trois fois plus souvent des ATCD de sport "de haut niveau" chez les adolescentes souffrant d’anorexie mentale et de boulimie.
  • La difficulté dans la famille à gérer ou exprimer les conflits.
  • On ne retient plus en revanche le rôle d’une mère fusionnelle ou d’un père absent.

Un trouble du comportement alimentaire (TCA) survient le plus souvent en dehors de tout contexte médical qui pourrait favoriser l'émergence d'une anorexie à travers un régime pescrit : diabète, maladie cœliaque, maladie de Crohn, maladie rénale...

En revanche, le risque de développer des compulsions alimentaires sévères est augmenté par la présence d’une obésité. De même, le risque de surpoids et d’obésité est augmenté (doublé) en cas de compulsions alimentaires sévères (> 2/semaine). Mais la compulsion alimentaire n'est pas la cause la plus fréquente d’obésité : seules 15 % des obésités sont en rapport avec des compulsions alimentaires.

4. Complications dans l'anorexie mentale

4.1. Ostéoporose

L’anorexie mentale expose à un risque grave d’ostéoporose. L’ostéoporose est fréquente et parfois sévère. Elle apparaît après 5 ans d’évolution, touchant alors plus de 20 % des malades. Elle frappe près de 40 % des malades après 10 ans d’évolution. Après 10 ans d’évolution, 10 % des malades ont des tassements vertébraux (rachis lombaire), des fractures spontanées du bassin ou de la hanche.

4.2. Dénutrition

La dénutrition est une complication majeure de l’anorexie mentale. Elle touche 80 % des malades à un moment ou à un autre de leur maladie. Elle va entraîner :

1. Une perte de masse musculaire
2. Un défaut de fonctionnement musculaire, notamment des muscles digestifs (constipation, ralentissement de la vidange gastrique, dyspepsie)
3. Une asthénie, une frilosité, une anxiété, un état dépressif, des troubles du sommeil
Le risque de développer une obésité est bien plus faible en cas d’anorexie mentale ou de boulimie : seuls respectivement 1 et 3 % des malades développeront une obésité, contre 10 % de la population générale. Même les malades qui font des crises de boulimie, qu’ils soient à poids bas (IMC<18,5 kg/(m)2) ou à un poids normal, développeront quatre fois moins une obésité que des personnes n’ayant pas ces troubles du comportement alimentaire. En revanche, dans la phobie alimentaire de l’enfance et l’anorexie de la petite enfance, le risque d’obésité est un peu accru.

5. Traitement

Le traitement est actuellement bien codifié. Il repose sur une triple approche :

1. nutritionnelle,
2. comporementale,
3. psychanalytique

5.1. - La psychanalyse

Elle n’a pas fait la preuve scientifique de son efficacité dans l’anorexie et la boulimie.

5.2. - La thérapie cognitivo-comportementale (TCC)

  • Est un moyen efficace de traitement de l’anorexie mentale et de la boulimie : elle a fait la preuve de son efficacité au sein d’études randomisées (tirage au sort). Dans ces études, le groupe « contrôle » était constitué de malades sur la liste d’attente ou, dans quelques études, de malades sous thérapie psychanalytique.
  • La TCC consiste à identifier avec le malade les pensées, les émotions et les sentiments qui l’agitent lorsqu’il rejette l’acte de s’alimenter, lorsqu’il ressent le besoin d’une hyperactivité physique ou d’une crise de boulimie.
  • La TCC ne cherche pas le « pourquoi » dans l’enfance, mais le « comment » dans le présent.

5.3. - L'approche nutritionnelle

A également fait la preuve de son efficacité dans des études prospectives randomisées (voir : approche nutritionnelle) avec un groupe contrôle recevant le traitement classique, mais pas l’ approche nutritionnelle. Le travail diététique et nutritionnel (intérêt d’un poids normal et d’un tissu adipeux minimum) doit être inclus dans l’approche cognitive et comportementale (TCC) à laquelle il se lit facilement.

Dans l’anorexie mentale, l’assistance nutritive, sous la forme d’une nutrition entérale (NE) discontinue d'appoint par sonde nasogastrique (NG), a prouvé son efficacité à l’occasion d’études contrôlées : dans une étude prospective contrôlée chez 61 malades hospitalisés, la NE a permis une prise de poids un peu meilleure (plus de gain de masse maigre), plus rapide (durée d’hospitalisation diminuée d’un mois) chez 27 des 31 malades (87 %) du groupe NE, sans altérer le travail comportemental sur l’alimentation, en comparaison du groupe contrôle qui recevait conseils diététiques, TCC et groupe de paroles. En cas de crises de boulimie, la NG et la NE ont permis l’arrêt des crises plus souvent (83 % des 53 malades) que ce qui était observé dans le groupe contrôle (38 % des 52 malades), et ce chez des malades ambulatoires. Dans cette étude randomisée avec un groupe contrôle recevant TCC, groupe de paroles et conseils diététiques, le résultat sur l’arrêt des crises grâce à la NE était associé à un meilleur état nutritionnel. Surtout, le résultat persistait 12 mois plus tard, puisque 63 % des malades restaient sans crise à un an. Ces deux études peuvent être lues sur ce site : « nutrition entérale » et « sonde gastrique dans la boulimie ».

A côté de ces approches, qu’en est-il de l’approche médicamenteuse ? Elle est décevante :

5.4. Médicaments et anorexie mentale

Aucun traitement médicamenteux ne permet une prise de poids meilleure que le placebo (contre la TCC) : ni les médicaments orexigènes, ni les anxiolytiques, ni les neuroleptiques de première ou de dernière génération, ni les anti-dépresseurs, sérotoninergiques ou autres. Ces médicaments ne doivent donc être prescrits qu’au « coup par coup », pour aider à lutter contre une anxiété trop forte, un état dépressif net (bien rare en cas d’anorexie mentale, fréquent en cas de boulimie).

En cas d’anorexie mentale, les hormones oestro-progestatives, qui doivent être prescrites pour prévenir l’ostéoporose, n’ont aucun effet sur la prise alimentaire, la prise de poids et le comportement. Les corticoïdes sont sans effet.

5.5. Médicaments et boulimie

Les anti-dépresseurs sérotoninergiques (inhibiteurs de la recapture de la sérotonine, ou IRS) ont prouvé leur efficacité sur les crises (études en double insu contre placebo). Dans un peu plus d’un cas sur deux, au bout de 20 à 30 jours, ils permettent la diminution (30 %) ou l’arrêt (20 %) des crises, que le malade soit ou non dépressif.
La dose efficace est élevée : deux, voire trois unités (gélules ou cp) par jour (ex. : Prozac : 2 gélules/jour) en une prise matinale. Le traitement doit être associé à une TCC et poursuivi au moins 7 à 9 mois. Il ne doit être arrêté, s’il est efficace, que très progressivement (en 6 semaines par exemple).

6. La guérison

Elle peut être obtenue en cas d’anorexie mentale et de boulimie, contrairement à ce qui se passe dans d’autres troubles nutritionnels, comme l’obésité par exemple :

Anorexie mentale : 60-70 % des malades guérissent sans séquelle alimentaire, ni comportementale, ni nutritionnelle (IMC > 18,5 kg/m2), ni hormonale (règles, fécondité). Le retour à un IMC normal permet le retour des cycles menstruels et la récupération, partielle voire totale, de l’ostéoporose.
Boulimie : 65-75 % des malades guérissent également, c’est à dire sans séquelle sur le comportement alimentaire : alimentation normale, plus de crise, plus de vomissements.
Ceci a été montré par plusieurs équipes et obtenu grâce à un traitement moderne, quoique maintenant classique : prises en charge nutritionnelle, comportementale et psychanalytique couplées.


Pour en savoir plus : abonnez-vous à notre e-learning TCA - Obésité

Publié en 2020