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Thérapie familiale systémique et TCA


M. Pascal Gouirand, psychopraticien humaniste, Nice (06)

1. Introduction

La famille a toujours joué un grand rôle dans l’étude des causes des maladies et du traitement des pathologies TCA, dans l’anorexie mentale notamment. La thérapie systémique a mis en évidence que le changement de l’état du patient entraînait très souvent en chaîne celui des autres membres d’une famille, et réciproquement.

L’objet même de la thérapie changeait : elle ne visait plus des individus isolés, ni même des individus en relation, mais la relation elle-même.

Pour l’école systémique, la maladie n’est pas considérée comme l’expression d’un conflit intrapsychique mais comme la conséquence d’un dysfonctionnement et d’une souffrance du système familial.

L’anorexie, la schizophrénie, et d’autres pathologies chroniques, ont été dès le départ  des maladies qui ont suscité l’intérêt des pionniers du courant systémique et a largement contribué au développement même de la thérapie de famille.

La thérapie systémique se différencie de la plupart des autres thérapies, en ce sens qu'elle prend l'individu dans son environnement et son contexte – dans un ensemble de systèmes – et a, de ce fait, une vision plus élargie qui aide le thérapeute dans le traitement de son patient.

2. Les principes de la thérapie systémique

La thérapie systémique fait partie d'une théorie générale de la « systémique » qui considère l'importance de l'interaction des systèmes entre eux.

La thérapie systémique dérive ainsi directement des travaux de l’école de Palo Alto: la personne est prise dans ses relations avec son environnement.

En thérapie, la systémique prendra donc en compte tous les systèmes qui entrent en interaction avec le patient dans le champ de la problématique à soigner.

Par exemple, on pourra y trouver :

  • les aspects personnels : psychologiques, émotionnels, comportementaux, relationnels... ;
  • les aspects familiaux : éducation, religion, rapports entre les membres, secret familial... ;
  • les aspects sociaux/professionnels : structure de travail, insertion dans la société, niveau de vie, fréquentation de clubs ou groupes ;
  • les aspects géographiques/historiques : habitat, origines de la famille et vécu...

3. En lien avec les TCA 

Prenons par exemple le moment de « la table ». C'est un des premiers moments où un individu commence à s'organiser au sein de la hiérarchie familiale et y trouve sa place. Les règles relationnelles émergent  et certains comportements ou croyances peuvent cristalliser une attitude et un comportement dans un jeu de rivalité entre les parents et l’enfant  autour de la nourriture.

Bateson a théorisé toute l'importance du comportement familial. Bateson est un anthropologue, psychologue et épistémologue américain. Influencé par la cybernétique et la théorie des groupes, il s'est beaucoup intéressé à la communication (humaine et animale), mais aussi aux fondements de la connaissance des phénomènes humains. Il est à l'origine de l'école de Palo Alto, centrée sur la communication et la thérapie interpersonnelle. Il défend l'idée que l'apprentissage d'un comportement peut être facilité ou au contraire freiné en fonction des conséquences (positives ou négatives) qu'il entraîne sur le sujet. Ainsi le renforcement positif (gratification matérielle, affective ou sociale) aura tendance à fixer un comportement (ici alimentaire). A l'inverse, le renforcement négatif (comme les punitions, la douleur ou la désapprobation sociale) aura pour effet d'amener le sujet à éviter le comportement qui l'a provoqué. Selon ses théories, on parle aussi d’extinction, quand un comportement décroît en fréquence et en intensité, s'il n’est pas renforcé. Pour illustrer l'importance du contexte, Bateson a posé à ses étudiants le problème suivant : « une mère récompense son fils d'une glace à chaque fois qu'il mange des épinards » et pose la question « Quelle information supplémentaire nous est nécessaire pour que nous soyons en mesure de prévoir si l'enfant est amené :

  • à aimer ou détester les épinards,
  • à aimer ou détester les glaces,
  • à aimer ou détester sa mère ? »

La réponse à ces questions dépend certainement du contexte formé par la relation mère fils et de la façon dont l'enfant ponctue la situation d’apprentissage.

4. Pourquoi la thérapie familiale ?

Dans les approches thérapeutiques classiques, le patient qui est traité par un thérapeute, consulte seul, en dehors de sa famille et de son milieu habituel. Or cette démarche présente des faiblesses et des dangers.

Tout d'abord, prendre un individu isolé et le traiter seul sous-entend qu'on le perçoit et l'admet comme « malade » ou « personne à problème ». On pourrait parler alors de stigmatisation.

La suite logique d'une telle attitude est qu'on va tenter de déterminer la "pathologie" du patient. Or cette simple action est déjà en elle-même un acte non thérapeutique tant il est vrai que «la façon d’étiqueter » peut cristalliser un problème et le rendre chronique. C’est presque un dilemme humain que de savoir comment diagnostiquer (pour mieux soigner) sans étiqueter (et figer dans un statut pathologique).

Ensuite il est essentiel de considérer combien la nature humaine est complexe et variée. Une technique thérapeutique ne peut être considérée comme adaptée uniformément à tout le monde. Jay Haley, un pionnier américain de la thérapie familiale (membre fondateur de l'École de Palo Alto) disait : « Une méthode standard de thérapie, quelle que soit son efficacité avec certains problèmes, ne peut faire face avec succès à la grande variété des problèmes habituellement présentés. Souplesse et spontanéité sont nécessaires ».

Une technique qui fige le thérapeute dans un rôle rigide face à son patient présente déjà, de ce fait, des risques d’échecs. En particulier avec les patients souffrants de TCA : ces patients contrôlent énormément et ils ont besoin d'observer une « bonne maitrise chez le thérapeute » pour pouvoir la modéliser. Une bonne maitrise, ce n’est ni du contrôle, ni du relâchement, c’est la somme bien assemblée des deux. Ils pourront alors modéliser cela. Ils « capteront » dans le rapport analogique une certaine flexibilité chez le thérapeute, autant sur ses « outils »  que dans son attitude. Ils retrouveront une souplesse d’adaptation qu’eux même avaient perdue !

5. La démarche thérapeutique

Les thérapies familiales systémiques sont très pragmatiques et ancrées dans le présent. Elles étudient les actions et réactions de chacun des membres d’une famille. Elles cherchent à mettre à jour les échanges « malades » et à rétablir ceux qui favorisent une communication claire et saine.

L’objectif global est d’aider les participants à se sentir suffisamment à l’aise et compétents avec les familles de jeunes souffrant de TCA pour qu’ils s’ouvrent à la rencontre avec ces familles, prennent en compte tous les membres de la famille (y compris la fratrie), les mobilise comme facteur de changement, les guident et activent leurs compétences.  Elles se fixent un objectif précis qui fera naître de nouveaux équilibres relationnels. Le problème trouve souvent ses sources dans des événements passés, mais seul le présent détient la solution.

La Thérapie Systémique, axée sur la crise, va permettre de travailler avec les familles sur « l’ici et maintenant ». Elle vise à reconnaître, évaluer et modifier les anciens schémas de fonctionnement pour faire émerger de nouvelles possibilités. Les séances se déroulent sur une période assez courte, avec un minimum de cinq séances, espacées de trois à quatre semaines.

Lors des consultations, la famille et le thérapeute travaillent ensemble à la prise de conscience, par chacun des membres de la famille, de sa propre histoire et de son parcours personnel, afin de favoriser l’autonomisation de chacun et de lui redonner sa place. De ce fait, l’angoisse génératrice du TCA diminue ce qui va permettre l’émergence de nouveaux processus de réalisation pour chaque membre de la famille. Les relations deviennent alors de plus en plus satisfaisantes et le système peut retrouver un nouvel équilibre. La famille et le patient ne sont plus un problème, ils deviennent les arguments de la solution. Len travaillant sur la relation et l’ensemble familial, le « tout » avance et le patient guérit. C’est du tous pour un et du « un pour tous » !

Le patient désigné

Un individu développe sa valeur personnelle au sein de sa famille d’origine. Apprendre à avoir conscience de soi et de l’autre, ainsi que du contexte dans lequel on a été éduqué, est un processus de développement d’un type de communication adapté.

Si l’estime de soi n’est pas assez forte, apparaît un sentiment d’exclusion qui accroît l’anxiété, le manque d’assurance, la dépendance, et peut favoriser des modes de communication inappropriés comme les comportements violents ou les conduites addictives.

De plus, des événements comme la naissance d’un enfant, la perte d’un membre de la famille, l’adolescence ou le départ d’un jeune peuvent provoquer une situation de crise dans une famille. Face à ce nouveau contexte, un membre de la famille va développer un comportement symptomatique et deviendra ainsi le patient « désigné » ou porteur du symptôme familial. Le symptôme du patient désigné devient alors un élément important des règles au sein de la famille du fait qu'il permet de garder l’homéostasie « familiale ». Il faut entendre ici, comme définie par Claude Bernard, l'homéostasie en tant que capacité que peut avoir un "système" (ici la famille et le patient) à conserver son équilibre de fonctionnement en dépit des contraintes qui lui sont extérieures).

6. Conclusions

La thérapie de famille d’orientation systémique s’avère efficace dans le traitement des troubles alimentaires, sans dispenser d’une thérapie personnelle pour la personne souffrant du TCA et les membres de l’entourage qui se sentiraient trop affectés.

L’approche thérapeutique des patientes anorexiques et autres TCA nécessite une collaboration étroite des différents acteurs de soins. Un suivi pluridisciplinaire avec plusieurs soignants, et une équipe « familiale » également thérapeutique parce qu’elle est là au quotidien, encore plus que les soignants.

 

7. Bibliographie

1. Espie J, Eisler I. Focus on anorexia nervosa: modern psychological treatment and guidelines for the adolescent patient. Adolesc Health Med Ther 2015 ; 6 : 9-16. Revue gratuite sur le web
2. Gardner J, Wilkinson P . Is family therapy the most effective treatment for anorexia nervosa? Psychiatr Danub 2011 ; 23 Suppl 1 : S175-7. Revue gratuite sur le web
3. Hodes M, Eisler I, Dare C. Family therapy for anorexia nervosa in adolescence: a review. J R Soc Med 1991 ; 84(6) : 359-62. Revue gratuite sur le web
4. Ciao AC, Accurso EC, Fitzsimmons-Craft EE, Lock J, Le Grange D. Family functioning in two treatments for adolescent anorexia nervosa. Int J Eat Disord 2015 ; 48(1) : 81-90. Étude clinique proospective gratuite sur le web

 

Publié en 2016