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Causes sociétales des troubles alimentaires


Pr Daniel RIGAUD, Nutrition

On constate que ce n'est que dans la deuxième partie du 20ème siècle que la fréquence de l'anorexie et surtout des autres troubles du comportement alimentaire (TCA) explose dans tous les pays qui ont des statistiques médicales hospitalières.

Et ce dans tous les pays du monde : Chine, Thaïlande, Mexique, Brésil, Tanzanie, Afrique du sud, Hawaï…

1. Comment se fait-il qu'on observe cette augmentation de fréquence des TCA ?

Il y a à ceci sans doute plusieurs raisons d'ordre sociétal :

1- Messages médiatiques schizophrènes : Nos sociétés véhiculent actuellement des messages aussi troublants qu'opposés vis-à-vis de l'alimentation. On nous inquiète quasi quotidiennement avec l'épidémie d'obésité, on nous fait craindre chaque semaine une conspiration de l'industrie agro-alimentaire (« Que cachent en fait nos yaourts, nos pizzas ? », on nous angoisse avec le risque potentiel de maladies plus ou moins graves liées à l'alimentation : nous avons subi l'épidémie de vache folle (où est donc passée cette épidémie !), la grippe aviaire (on a tué des millions de poulets pour un risque incertain), l'inquiétude sur les pesticides agraires ou alimentaires, les maladies cardio-vasculaires et cancers liés à l'alimentation (la viande, la charcuterie, le lait… avec des preuves scientifiques souvent fantaisistes). Dans le même temps, on nous noie sous l'abondance des publicités qui nous incitent à manger et sous les milliers d'aliments offerts à notre convoitise dans les supermarchés (la taille des rayons a de quoi angoisser, non ?). Que croire ? Que dire ? Qui écouter ? Internet en rajoute et c'est bien normal : les rumeurs se multiplient, les sites douteux aussi.

En un mot, ne croyez-vous pas qu'on veut nous faire peur avec l'alimentation ? Peut-être que l'on cherche à nous angoisser, parce que la peur fait vendre !

Nous, les gens en bonne santé physique et mentale, nous avons les armes pour résister. Mais il est des personnes plus fragiles dont la tête tourne, qui attrapent le vertige : « On nous ment, on nous assassine, on veut nous empoisonner, qui croire ? ».

Ces personnes, plus sensibles que d'autres, moins bien dans leur peau ou plus angoissées que la moyenne sont plus enclines qu'avant à suspecter les aliments qu'on nous propose.

D'autant que notre société (l'homme partout dans le monde) a mis en place une forme de pensée paradoxale :

a) D'un côté, il y a le désir d'en manger : « dieu que c'est bon, dieu que j'en ai envie », nous dit notre cerveau, en écho à ce que nous assènent les publicités ;

b) De l'autre côté, l'interdiction de "manger trop", comme si tout le monde "mangeait trop" On entend chaque jour les médias marteler « attention, c'est mauvais pour la santé » !

2- Aliments à la portée de tous tout le temps : L'alimentation s'est "démocratisée" : tout le monde peut manger à sa faim. Les aliments sont partout : sur nos écrans de télé, dans d'immenses grandes surfaces alimentaires, à tous les coins de rue, proposés à bon marché (fast-foods) et avec 15 % de remise si on en consomme plus ("trois paquets pour le prix de deux"). Au point que certains pourraient penser que la seule liberté est celle de refuser de manger.

3- Écologie : un discours écologique, qui n'est d'ailleurs pas sot, nous incite à manger moins, à ne plus consommer de viande, de poisson, de produits laitiers ni d'œufs. Pour la planète, pour les animaux, « ces pauvres bêtes qu'on assassine », « tout ce CO2 qui empoisonne notre planète ». Ce discours insistant nous demande  (nous pousse) à faire attention à notre santé, à consommer des compléments alimentaires "sains et issus des plantes", à nous mettre à la course à pied. Le précepte a changé l'assertion "Manger sain pour vivre sain" a pris la place de "manger pour vivre". On ne mange plus pour survivre, comme jusque dans la première moitié du 20ème siècle, comme encore dans de nombreux endroits dans le monde ! Non, on mange pour… vivre vieux, on mange pou… maigrir !

4- Sécurité, sécurité : Un besoin sécuritaire à tout prix nous a envahis, où tout doit être sous contrôle. On regarde avec soupçon les étiquettes, inquiets de "tous ces additifs qu'ils nous mettent". D'où vient ce poulet sous barquette ? Que sais-je de la fabrication de ces lasagnes ? On va de scandales alimentaires aux maladies de l'alimentation. La plupart des gens en rit ou s'en moque un peu. Quelques personnes qui n'ont pas confiance en elles, qui se trouvent moches, se mettent à croire comme fer à ces assertions.

Curieusement, l'alimentation n'a jamais été aussi sécure dans toute l'histoire de l'humanité et pourtant… nous n'en avons jamais eu aussi peur. La pensée que manger fait grossir est une pensée très récente, qui n'a pas 30 ans. Les premières études épidémiologiques entre consommation d'aliments riches en cholestérol et risque d'infarctus du myocarde ont paru dans les années 50 (épidémiologie = mise en relation statistique entre un fait de consommation, d'habitude ou de comportement humain et une maladie plus tard).

5- Tout en contrôle : Nous vivons enfin dans un monde où nous croyons que nous pouvons, par la seule force de la volonté et de nos comportements, éviter de grossir, passer à côté des maladies cardio-vasculaires et du cancer. On pourrait vivre jusqu'à 100 ans en contrôlant son alimentation, sa silhouette et son poids. Le risque doit être banni. Les hommes sont devenus au fond un peu prétentieux et un peu irréalistes : nous imaginons que nous pouvons décider de notre poids, de notre silhouette, de notre jeunesse et de nos "calories", en dépit de toutes contraintes physiologiques. Nous voudrions perdre dix kilos, alors que nous ne les avons jamais perdus durablement. Nous aimerions bien peser le poids de Delphine, à savoir 60 kg, alors qu'une bonne partie de notre poids corporel est "inné". Sans s'en rendre compte, les scientifiques nous ont fait croire que l'homme pouvait décider de son poids et de son alimentation.

Mais c'est faux. Très peu de personnes peuvent suivre un régime draconien (pour maigrir), sans sombrer dans des crises alimentaires incontrôlables (ou arrêter le régime). Le fait que la boulimie suive bien souvent l'anorexie mentale et que la compulsion soit une conséquence fréquente du régime en est une preuve irréfutable.

6- Riches et moins dépendants des autres : Nous sommes aussi un peu plus riches, un peu plus indépendants et égocentriques que nos ancêtres. De ce fait, nous avons moins besoin des autres : nous pouvons manger seuls, avoir notre propre téléphone, notre propre télévision, notre propre alimentation, décider de notre vie, de notre avenir et du nombre de nos enfants…Peut-être est-ce une erreur, un phantasme ? Surtout, il est évident que ceci conduit à des stratégies et des pensées individualistes parfois un peu décalées par rapport à la réalité. Notre monde a inventé le « Chacun paie ce qu'il a mangé » et le « J'ai bien le droit de manger à l'heure que je veux et comme je le veux », alors qu'en fait, depuis des milliers d'années, ce sont le groupe sociaux et les autres d'une part et nos besoins énergétiques et protéiques d'autre part qui ont fondé notre alimentation et cadré nos repas et nos activités.

En conclusion

L'homme a créé un monde moderne où tout est à portée et où la consommation est effrénée. Beaucoup s'en accommodent. Beaucoup s'adaptent.

Certains, les plus angoissés, se disent que « tout nous échappe ». Ces personnes cherchent alors à prendre le contrôle. Et, au fond, c'est bien l'alimentation dont le contrôle parait le plus facile.

Ce sont souvent des femmes qui se lancent dans l'aventure des régimes pour maigrir. Plutôt des femmes qui manquent de confiance en elles, d'estime d'elles-mêmes, qui peinent à s'affirmer, qui souffrent d'un mal être.

Elles font un régime, parfois trop éloigné de leurs besoins nutritionnels et hédoniques. Certaines d'entre elles vont dès lors sombrer dans l'anorexie mentale, chez d'autres, c'est la boulimie qui va commencer, d'autres enfin seront les victimes de compulsions alimentaires peu contrôlables.

Ce serait bien si quelqu'un arrivait à changer ce "diktat de la mode et de la silhouette".

Publlié en 2016