Anorexie, boulimie, compulsions alimentaires : l'association peut vous aider à voir les choses Autrement

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Définitions, physiopathologie, épidémiologie et maladies associées
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Le mérycisme : aspects cliniques et thérapeutiques


Pr D. RIGAUD - CHU Dijon - Président d'Autrement

1. Définition du mérycisme

Le mérycisme ou rumination est l’acte de faire remonter dans la bouche, de déglutir à nouveau, de faire remonter, puis de ravaler des « bouchées » d’aliments qui viennent d’être ingérées. Cet acte est « involontaire » et se fait sans effort.

Dans la définition, on relève des points importants :

  • C’est un acte conscient, qui parait volontaire mais qui, en fait, ne l’est pas (pas plus qu’une compulsion alimentaire).
  • Ce n’est pas un reflux, au sens que seuls les aliments remontent (et pas l’acide gastrique quand la personne est à jeun par exemple).
  • Ce n’est ni douloureux, ni difficile. Ce n’est donc pas un vomissement de petit volume. Il n’y a en effet aucune contraction « en masse » du diaphragme et le patient ne fait aucun effort pour régurgiter.
  • Un certain plaisir, voire même un fort plaisir, est attaché à ce trouble.

2. Mécanismes du mérycisme

Le mérycisme a été décrit chez les malades autistes et chez les malades ayant un sévère retard psychomoteur. Puis il a été retrouvé chez des malades psychotiques (troubles sévères de la personnalité) avant qu’on ne s’aperçoive qu’il pouvait être associé à un trouble du comportement alimentaire (TCA).

Peu d’équipes ont travaillé sur le mérycisme. Peu de travaux scientifiques ont été publiés, tant les malades sont peu nombreux. Ainsi PubMed, une base de données scientifiques, ne répertorie que 27 articles en 20 ans sous le terme « merycism » et 784 articles sous le terme « rumination » ! Très peu d’entre eux évoquent la physiopathologie de ce TCA.

C’est un acte spontané que le malade ne « décide » pas, mais qu’il accomplit dans une pensée hédonique. La personne est ainsi souvent « obligée » de le faire, même alors qu’il y a d’autres personnes à table : elle ne peut pas s’en empêcher (c’est même en général pour ceci qu’elle vient consulter) ! Il semble donc qu’il puisse s’agir d’une conduite addictive.

L’acte est conscient : la personne sait qu’elle le fait et « veut le faire ». Elle engage elle-même ce qui est nécessaire pour le faire.

Il faut de toute évidence un estomac et un fonctionnement du centre de régulation gastrique dans le tronc cérébral « compatibles ». De nombreux malades souffrant de TCA en sont incapables.

Il faut un cardia hypotonique : normalement, le cardia (la porte d’entrée de l’estomac) est fermée et ne s’ouvre qu’au passage des aliments entrants (descendants). Il faut aussi un œsophage « permissif » : normalement, l’œsophage, au contact d’aliment, déclenche une activité neuro-motrice propagée vers le bas (un aliment qui remonte de l’estomac est bloqué dans sa remontée par une onde contractile descendante de l’œsophage).

D’un point de vue comportemental, le mérycisme est un compromis entre le désir (besoin) de manger et le désir (besoin) de ne pas manger, en tout cas des aliments « interdits » (grossissants, caloriques). C’est un « bon compromis » pour le cerveau du malade. C’est la raison qui fait que le trouve en cas de TCA (anorexie mentale, boulimie). Le malade peut ainsi « remanger sans manger », c'est-à-dire tirer du plaisir d’un aliment sans en remanger. Ceci implique possiblement un goût particulier pour ce qui est acide (l’aliment est mélangé à l’acide de l’estomac).

D’un point de vue systémique, la rumination peut être somatique (rumination gastro-buccale ou mérycisme), mais aussi de nature psychique. On rumine des idées noires, une contrariété, une colère. L’aliment régurgité fait, symboliquement, plus « partie de soi » que l’aliment extérieur.

3. Épidémiologie

  • Curieusement, on en ignore la fréquence exacte.
  • Nous estimons qu’un malade anorexique ou boulimique sur vingt en souffre (5 % des malades). Moins de 1 % s’en plaignent vraiment.
  • Le mérycisme parait plus fréquent, selon notre expérience (pas de donnée scientifique), en cas d’anorexie-boulimie qu’en cas de boulimie et d’anorexie restrictive.
  • Je n’ai rencontré que deux hommes qui consultaient pour ça ou en souffraient. C’est donc un TCA, comme les autres, majoritairement féminin.

4. Conséquences

Nous connaissons mal les conséquences du trouble.
Le mérycisme favorise ou aggrave le reflux gastro-œsophagien. En revanche, la complication de ce dernier, l’œsophagite peptique, semble rare.
Le mérycisme est aussi responsable, une fois sur six, d’un gonflement net, parfois douloureux, des glandes salivaires (notamment parotidomégalie).

5. Traitement

1- Traitement systémique : La difficulté va être de faire prendre conscience au malade que ce n’est pas bon pour lui et qu’il risque des lésions de l’œsophage (œsophagite peptique) et de la cavité buccale, gonflement des glandes salivaires, mais aussi peur de manger sous le regard de l’autre.
Il faut lutter, chez certaines patientes, contre la « pensée anorexique » :

  •  Peur de manger,
  •  Peur de ce qui est calorique,
  •  Peur de grossir à la moindre bouchée,
  •  Peur de ce qui est gras,
  •  Restriction énergétique volontaire,
  •  Peur enfin de sa propre sensorialité et de son hédonisme (peur de se faire plaisir).

Il arrive que la patiente, sans en être conscience, cherche aussi à se faire « mal », à se punir. Ceci sera aussi travaillé en séances individuelles.
Il faut enfin faire sortir les ruminations psychologiques qui peuvent, souvent à l’insu de la malade, avoir favorisé le mérycisme.

2- Traitement médicamenteux : Nous n’avons pas de traitement médicamenteux qui ait fait la preuve de leur efficacité :

Les médicaments anti-émétiques sont sans efficacité ici (il ne s’agit pas d’un vomissement).

Un médicament qui accélère la vidange gastrique et renforce le muscle gastrique et ses contractions propagées peut être utile. A ce titre, l’érythromycine, un agoniste des récepteur de la motiline, peut aider (niveau de preuve faible). Un médicament qui renforce le sphincter inférieur de l’œsophage est peut-être utile parfois (niveau de preuve faible).

Les antidépresseurs peuvent aider certaines malades à lutte contre leurs ruminations moroses. On a plutôt utilisé les inhibiteurs de la recapture de la sérotonine, type Prozac® (niveau de preuve faible).

3- Traitement chirurgical : Il doit rester l’exception. Chez les malades qui ont des complications chroniques sévères du mérycisme (reflux « vrai », acide et gênant - à chaque repas et en dehors des repas-, œsophagite peptique, retentissement social) ou chez les malades qui n’en peuvent plus et semblent motivés, on peut évoquer l’intérêt de la repositionnement de la grosse tubérosité gastrique et de la confection d’une barrière anti-reflux empêchant les aliments de remonter (plicature de la grosse tubérosité de l’estomac autour de l’œsophage et resserrement de celui-ci au niveau du sphincter inférieur de l’œsophage).

Il est indispensable de bien expliquer au malade (et au chirurgien) l’intérêt de la démarche, ce qu’il peut en attendre et ce qu’il ne peut pas espérer de cette intervention chirurgicale.

Publié en 2013