Pr Daniel RIGAUD 17.06.2019
La dénutrition peut être la conséquence d'un amaigrissement involontaire, mais aussi voulu. Mais maigrir n’est jamais anodin.
La dénutrition n'est pas l'apanage des pays pauvres. Elle existe aussi en France, où elle est liée à certaines maladies ou interventions chirurgicales ou à des troubles du comportement alimentaire (TCA).
La dénutrition, c'est l'état auquel aboutit l’amaigrissement, quand il a induit des dysfonctionnements, que ceux-ci soient cardiaques, musculaires, cérébraux, digestifs, osseux, pulmonaires ou immunitaires…
La dénutrition peut altérer aussi les fonctions trophiques de l'organisme : croissance chez l'enfant et l'adolescent, grossesse et allaitement, cicatrisation et réparation.
La dénutrition peut favoriser l'apoptose (la mort cellulaire sans descendant) et l'excès d’oxydation, par déficits en antioxydants.
Elle peut enfin entrainer des troubles psychiques (troubles du sommeil, état dépressif, troubles cognitifs.
La dénutrition est donc une complication médicale sérieuse, voire grave, de certaines maladies.
Elle accroit la morbidité ainsi que la mortalité. On doit donc tout faire pour la prévenir et la guérir. La prescription d'une assistance nutritive est souvent utile pour ce faire.
A une époque où beaucoup de gens ne pensent qu'à maigrir à tout prix, il est bon de rappeler qu'un amaigrissement mal conduit et mal suivi peut aboutir à une dénutrition sévère. L'exemple type en est l'anorexie mentale, mais l'amaigrissement qui fait suite à la chirurgie bariatrique peut entraîner une dénutrition pénalisante pour la santé à court et long terme. Il est prouvé qu'une perte de poids de 50 kg obtenu après by-pass pour obésité, chez des malades qui pèsent encore 100 kg, peut s'accompagner d'une dénutrition marquée.
On entend parler, dans les médias, des bienfaits d’un « jeûne total de quinze jours, pour se débarrasser des toxines ». Cette stratégie, selon ses promoteurs, serait bonne pour tout un chacun. En tant que médecin, nous devons nous insurger contre ces pratiques, responsables de dénutrition aiguë.
J’ai vu il y a quelques semaines une femme atteinte d’un cancer qui avait commencé, un mois avant, un jeûne total, après avoir lu que le jeûne tue les cellules cancéreuses. Or les études scientifiques sont très claires : en cas de cancer ou d'hémopathie maligne, la dénutrition est fréquente ; les malades cancéreux meurent souvent de dénutrition ; un meilleur état nutritionnel permet aux malades dénutris de mieux supporter une grosse intervention chirurgicale ou les cures de chimiothérapie.
J’ai appris aussi, il y a peu, le décès par arrêt cardiaque d’une personne obèse (130 kg au moment du décès) qui avait subi une chirurgie bariatrique (sleeve gastrectomy) 14 mois plus tôt et qui ne mangeait plus rien, pour maigrir plus vite et mieux traiter son diabète ! Elle avait perdu 60 kg en un peu plus d'un an ! On suppose qu'elle a fait un trouble sévère du rythme cardiaque (la dénutrition augmente le risque de trouble du rythme grave d'un facteur 3 : le risque-ratio est de 3,3), du fait d'une dénutrition méconnue.
Ces histoires, qui sont loin d'être exceptionnelles, sont pour moi des drames. Car elles auraient pu être évitées !
Pendant plus de trente mille ans, l’homme a lutté pour sa survie et celle de l'espèce en consacrant beaucoup de temps chaque jour à chercher sa nourriture, à cueillir et à chasser. Ce qui le menaçait avant tout (et le menace encore dans certains pays pauvres), c’était la disette, voire la famine, synonymes de carences alimentaires et de dénutrition. C'était en particulier le cas pour les apports protéiques, longtemps déficitaires dans les populations.
Il fallait trouver à manger pour échapper à la dénutrition et, par là même, rester en vie et en bonne santé. Il a fallu beaucoup d’efforts, d’imaginations, d’organisation, d’apprentissages, de savoir-faire et de cultures pour sortir de la famine.
Mais il persiste, même dans nos pays riches, une forme plus larvée de famine. On la trouve associée à certaines maladies chroniques ou à un trouble alimentaire. Du fait d'un déficit chronique associé à une augmentation des besoins en rapport avec la maladie, la personne perd du poids et la dénutrition (malnutrition) apparait.
Et souvent, ni les médecins, ni les malades ne se rendent compte de la gravité de la dénutrition.
Pourtant, on en guérit presqu'à tous les coups, si on est bien pris en charge.
La dénutrition est l’état de santé (la maladie) qui tue encore le plus, dans le monde, en 2015.
La dénutrition tue le plus dans les pays à bas niveaux de vie, où elle sévit à l’état endémique (Afrique, Asie du sud-est, Amérique centrale et du sud, îles isolées, Moyen-Orient).
La dénutrition est une cause fréquente de mortalité (et de morbidité) chez les personnes du 4ème âge (plus de 80 ans).
La dénutrition touche environ 10 % des malades hospitalisés en hospitalisation complète de plus de trois jours.
La fréquence de la dénutrition augmente avec l’âge, surtout après 60 ans.
On peut être dénutri (avec, donc, un risque accru de morbidité et de mortalité), alors que le poids (indice de masse corporelle, IMC) est normal ou même élevé.
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Figure 1 : Fréquence de la dénutrition à l’hôpital en fonction de la maladie et de l'âge
Publié en 2019.06