Que n’a-t-on pas dit des patients obèses : « Ils mangent trop » ; « Tout obèse cache un mal-être » ; « Les troubles du comportement alimentaire sont à l’origine de bien des obésités » ; « L’obèse met toujours en échec son thérapeute, car il est incapable de suivre le moindre régime » !
Tout médecin qui s’occupe d’obésité a entendu, de la part d’un patient obèse qui sous régime ne maigrit pas, cette phrase étrange : « Et pourtant, je ne mange pas ». La pensée qui nous vient d’abord, à nous médecin, est qu’il ment. Cette pensée, qui nous arrange parfois, est injuste et contre-productive. La vraie question est : « que nous dit le patient ? ».
Pour y répondre, rappelons-nous que : L’obésité est un état chronique qui ne doit rien au hasard, mais représente la réponse métabolique (et génétique), alimentaire (et nutritionnelle), mais aussi comportementale à une pression environnementale.
Car manger est un langage, un acte identitaire qui nous permet de nous situer au sein de notre environnement. Animaux pensants, nous avons également appris, au fil du temps et de nos propres expériences, que manger contribue à la gestion de notre poids, et au delà de ça, de notre image.
Nombreuses sont les études scientifiques, à la fois transversales et longitudinales, qui n’ont pas retrouvé de liens entre obésité ou future obésité d’une part, et maladies psychiatriques ou profils psychologiques d’autre part. C’est vrai chez l’adulte comme chez l’enfant. Il n’en reste pas moins qu’il existe des déterminants émotionnels à certaines prises de poids et des conséquences psychoaffectives, émotionnelles et comportementales à beaucoup d’obésités constituées.
Les affections psychiatriques ne sont pas plus fréquentes chez l’enfant ou l’adulte obèse : pas plus de névroses (névroses d’angoisse, troubles obsessionnels et compulsifs…), de psychoses (paranoïa, hypomanie) ou de dépressions (idiopathiques ou saisonnières) que chez les sujets de poids normal. Rappelons que l’état dépressif chronique favorise plutôt anorexie (vraie) et amaigrissement modéré.
Pour autant, certains patients dépressifs grossissent, peut-être dans un contexte génétique particulier. La part respective de prises alimentaires extra-prandiales, de la réduction de l’activité physique liée à la dépression et de l’effet de certains traitements (neuroleptiques, antidépresseurs tricycliques, sédatifs à forte dose) n’a pas été établie de façon scientifique, mais ne peut être niée.
Il ne semble pas qu’il y ait plus d’antécédents d’anorexie mentale ou de boulimie chez les obèses que chez les sujets de poids normal. Au contraire ! Dans notre série (population d’environ 500 boulimiques ou anorexiques suivis pendant 10 ans), un surpoids vrai n’est apparu que dans 1 % des cas, c’est à dire bien moins que dans le population générale. Dans une population de 1890 obèses, un antécédent d’anorexie mentale ou de boulimie n’a été noté que dans 0,5 % des cas, ici aussi moins que dans la population générale.
En revanche, les compulsions alimentaires peuvent être à l’origine d’un surpoids ou d’une obésité. On entend par « compulsion », l’ingestion en un temps court d’une grande quantité d’aliments, avec une connotation de plaisir et sans vomissement (ce n’est donc pas de la boulimie).
On ne trouve en moyenne ni plus de viol, d’inceste ou de pertes objectales (décès, rupture), ni plus d’échec scolaire à l’origine de l’obésité que dans le reste de la population. L’obésité n’a pas ses origines dans un profil psychiatrique particulier ni dans une nécessaire situation traumatisante antérieure.
On a aussi décrit une plus grande tendance au repli, au manque d’affirmation de sa féminité/masculinité et un moindre investissement corporel chez des futurs obèses compulsifs, par rapport à des sujets de poids normal.
Il n’en reste pas moins que l’accumulation de masse grasse chez un individu se fait dans un contexte social de minceur. Le surpoids est loin d’être lié toujours à des facteurs psychiques déterminants. En revanche, l’obésité est la cause de bien des dérapages psychiques ou comportementaux.
Or ce contexte accroît le mal-être de certains patients obèses, favorise l’émergence des troubles du comportement alimentaire et met l’image de soi de l’obèse en échec. Notre société rejette les « gros ». Fini le temps où le surpoids avait une valeur élitiste (surpoids et puissance sexuelle ou pouvoir chez l’homme ; surpoids et fécondité chez la femme). L’accès à la nourriture n’est plus non plus un enjeu pour les classes dirigeantes !
Un certain rejet du « gros » est apparu : manque de maîtrise, mollesse... En conséquence, bien des obèses se sentent coupables d’être gros et surtout de ne pas être capables de maigrir.
L’obèse ne fait pas exprès d’être gros. Il ne fait pas non plus tout son possible pour ne pas maigrir et aggraver son diabète, sa dyslipoprotéinémie, son hypertension artérielle ou son malaise. Il est plutôt confronté à un ensemble neuro-sensoriel, comportemental et métabolique qui « défend » l’obésité et s’oppose au désir (réel) du malade ! Comment ne pas être découragé lorsque, malgré vos efforts, pour des raisons métaboliques et comportementales, la perte de poids n’est que de l’ordre de 8 kg par an !
On commence à mieux comprendre le rôle parfois délétère sur le comportement alimentaire de certains « traitements » de l’obésité : régimes mal adaptés, trop stricts ou trop longtemps stricts, régimes déséquilibrés, médications anorexigènes, culpabilisation ou rejet de la part du médecin (ce serait de leur faute).
L’obésité peut conduire malades et médecins à une prise en charge mal adaptée à l’individu, génératrice de troubles du comportement alimentaire
En prenant du poids, l’obèse perd son image. En en perdant, il peut la reperdre aussi. Ainsi, un enfant très obèse élevé par des parents très obèses risque de ne plus savoir qui il est en maigrissant. De plus, la perte de poids induit parfois une irritabilité, un certain état dépressif, une variabilité de l’humeur qui déstabilise le patient : le boute-en-train devient terne !
La mise à un régime induit 2 réponses métaboliques :
La mise à un régime induit 3 réponses psychologiques :
Bien des obèses voient leur surpoids majoré par un trouble du comportement alimentaire (TCA) qu’ils cachent au thérapeute : grignotage et compulsions alimentaires par angoisse ou ennui, mais aussi par culpabilité de ne pas y arriver : certaines statistiques font état de 30 à 45 % d’anomalies du comportement alimentaire et de 15 à 30 % de TCA avérés chez des malades consultant un service hospitalier pour maigrir.
Certains traitements et régimes trop déstabilisants prédisposent à ces TCA. Les régimes restrictifs peuvent chez certains patients réactiver angoisse, état dépressif, troubles du sommeil et nervosité (impulsivité).
Certaines études suggèrent qu’un comportement alimentaire rigide, une alimentation désorganisée, une difficulté à « faire face » aux agressions psychiques, une impulsivité excessive sont autant de facteurs qui entravent la perte de poids à court et moyen terme.
L’hyperphagie est chez certains patients une réponse à un mal-être : faire maigrir ces patients réactivent leur instabilité et conduit parfois à des troubles du comportement alimentaire
Le médecin doit garder en mémoire des évidences et règles simples pour une adhésion optimale du malade au projet thérapeutique :
1. Gingras J, Fitzpatrick J, McCargar L. Body image of chronic dieters : lowered appearance evaluation and body satisfaction. J Am Diet Association 2004 ; 104 : 1589-92.
2. Rigaud D. Les déterminants de la prise alimentaire. In « Gastroentérologie », ed. M. Mignon. Editions Ellipse/Aupelf (Paris) 1992, 18-24.
3. Rigaud D. Anorexie, boulimie et compulsions : les TCA. Ed Marabout 2003, 362 pages.
4. Rozin P. Towards a psychology of food choice. Institut Danone 1998 (Paris) ; 265 p.
5. Wadden TA, Foster GD, Sarwer DB et al. Dieting and the development of eating disorders in obese women: results of a randomized controlled trial. Am J Clin Nutr 2004; 80: 560-568.
6. Wadden TA, Stunkard AJ. Psychosocial consequences of obesity and dieting. In « Obesity : 2nd edition », ed. Wadden TA, Stunkard AJ. Raven Press 1993 ; 163-178.
Publié en 2007