Dr Ludovic GICQUEL, Psychiatre
Institut Mutualiste Montsouris – CMME (Paris)
La pharmacothérapie de la boulimie a fait l’objet de nombreux travaux de recherche. Les molécules les plus fréquemment employées sont les antidépresseurs de type IRS, les thymorégulateurs et la naltrexone quand bien même la gamme des molécules utilisées s’est avérée beaucoup plus vaste.
Pour autant, malgré certains résultats indiscutables à court terme, aucun résultat à 5 ans n’est meilleur que ceux observés lors de l’évolution spontanée des troubles après une association à une thérapie cognitivo-comportementale.
En tout état de cause, au-delà des données qui vont être détaillées ici sur la place des traitements médicamenteux dans la prise en charge de certains troubles alimentaires, il est fondamental de préciser qu’ils ne sauraient être prescrits seuls : il convient de penser cet outil thérapeutique dans le cadre d’une prise en charge à la fois multimodale et intégrée. En d’autres termes, c’est la combinaison de l’ensemble des différents soins mis en place, dont les médicaments, qui en synergie, vont concourir à l’amélioration voire à l’extinction des symptômes alimentaires.
Parmi les différents traitements employés dans la boulimie, ce sont les antidépresseurs qui ont fait l’objet du plus grand nombre d’études. Eu égard au fait que plus de 50 % des boulimiques indiquent avoir souffert au cours de leur vie d’un épisode dépressif majeur (EDM), il était logique d’évaluer l’efficacité de cette catégorie de médicaments sur la symptomatologie boulimique.
Sur ce point, il est intéressant de noter, selon Goldstein (1999) et Walsh (2000), que l’efficacité des antidépresseurs sur la boulimie est indépendante d’un EDM. D’une manière générale, il semblerait qu’il n’y ait pas de différence en termes d’efficacité sur les crises entre les différentes classes d’antidépresseurs (Bacaltchuk et Hay, 2005).
L’efficacité des traitements sur la symptomatologie boulimique tiendrait à deux effets complémentaires :
L’efficacité des antidépresseurs, versus placebo, a été amplement démontrée et est à présent clairement établie. Les taux de sevrage boulimique à court terme (8 semaines en moyenne) se situe à 30 % et la réduction des symptômes boulimiques est de l’ordre de 70 % (Agras, 1992, Bacaltchuk, 2005, Leitenberg, 1994). Pour autant, les taux de rechutes semblent tout aussi importants hormis pour les prises prolongées.
L’un comme l’autre ont montré leur efficacité versus placebo et ce tant sur le trouble alimentaire qu’au niveau de l’humeur (Agras, 1987, Alger, 1991, Barlow, 1998, Carruba, 2001). Pour autant, à efficacité égale ou supérieure, les IRS les ont supplantés du fait d’effets secondaires moindres.
La fluoxétine (Prozac®) a été autorisée par la FDA (Food and Drug Administration) aux USA pour le traitement de la boulimie à une posologie pouvant atteindre 60 mg par jour. Cette autorisation découle d’une vaste étude menée sur 387 sujets par le Fluoxetine Bulimia Nervosa Collaborative Study Group (FBNCSG) en versus placebo. D’autres IRS ont été étudiés et les résultats obtenus sont du même ordre (cf. tableau infra).
Auteurs | N | Dose maxi (mg/j) | Durée (sem.) | Traitements |
Sevrage
Boulimie (%)
|
Réduction
Boulimie
(%)
|
Pope (1983) | 22 | 200 | 6 |
Imipramine
Placebo
|
70 2 |
|
Agras (1987) | 22 | 300 | 16 |
Imipramine
Placebo
|
30 10 |
73 43 |
Mitchell (1990) | 85 | 300 | 10 |
Imipramine
Placebo
|
10 16 |
49 2,5 |
Alger (1991) | 55 | 200 300 |
8 |
Imipramine
Naltrexone
Placebo
|
22 30 30 |
|
Mitchell (1984) | 38 | 150 | 8 |
Amitriptyline
Placebo
|
72 52 |
|
Hughes (1986) | 22 | 200 | 6 |
Desipramine
Placebo
|
91 19 |
|
Barlow (1988) | 47 | 150 | 6 |
Desipramine
Placebo
|
4 | 62 2,5 |
Blouin (1988) | 36 | 150 60 |
6 |
Desipramine
Fenfluramine
Placebo
|
||
Walsh (1991) | 78 | 300 | 6 |
Desipramine
Placebo
|
13 8 |
47 7 |
Sabine (1983) | 50 | 60 | 8 |
Miansérine
Placebo
|
0 0 |
0 0 |
Horne (1988) | 81 | 450 | 8 |
Bupropion
Placebo
|
30 0 |
66 23 |
Pope (1989) | 46 | 400 | 6 |
Trazodone
Placebo
|
10 0 |
31 21 |
Walsh (1985) | 38 | 90 | 8 |
Phenelzine
Placebo
|
43 0 |
66 6 |
Walsh (1988) | 62 | 90 | 8 |
Phenelzine
Placebo
|
35 4 |
64 5,5 |
Kennedy (1988) | 29 | 60 | 6 |
Isocarboxazid
Placebo
|
33 | |
Kennedy (1993) | 36 | 200 | 8 |
Brofaromine
Placebo
|
19 13 |
62 50 |
Carruba (2001) | 77 | 600 | 6 |
Moclobemide
Placebo
|
22 44 |
|
FBNCSG (1992) | 387 | 60 20 |
8 |
Fluoxétine
Fluoxétine
Placebo
|
23 11 11 |
67 45 33 |
Goldstein (1995) | 398 | 60 | 16 |
Fluoxétine
Placebo
|
50 18 |
|
Romano (2002) | 150 | 60 | 52 |
Fluoxétine
Placebo
|
18 12 |
En 1988, le bupropion, avec ses actions noradrénergique et sérotoninergique, a été évalué comme traitement potentiel de la boulimie et a démontré une efficacité supérieure à celle du placebo au niveau des crises de boulimie et de vomissements (Horne, 1988). Pour autant, devant la survenue de crises comitiales chez 4 des 55 sujets, ce traitement est devenu contre-indiqué pour le traitement des troubles des conduites alimentaires.
Un des effets collatéraux du topiramate (un anticonvulsivant) est d’induire une perte de poids. A ce titre, notamment, il est devenu un médicament d’intérêt pour la boulimie. Trois études au moins ont relevées l’efficacité de cette molécule (Barbee, 2003, Hedges, 2003, Hoopes, 2003). Pour les deux dernières, il s’agissait d’études randomisées en double aveugle versus placebo.
La posologie de topiramate sur 10 semaines était en moyenne de 100 mg/j avec au maximum une dose pouvant atteindre 400 mg/j : 44.8 % des sujets sous topiramate relevaient une réduction des crises de boulimie, versus 10.7 % de ceux sous placebo. En outre, la perte de poids sous topiramate était de 1.8 kg versus 0.2 kg sous placebo. Ces études ont été confirmées par celle de Nickel (2005) qui relevait à 250 mg/j de topiramate une amélioration de plus de 50 % des crises de boulimie quotidienne chez 36.7 % des 30 sujets inclus, versus 3.3 % pour le placebo. Enfin, l’essai a mis en avant la bonne tolérance du traitement par les patients.
Les résultats consécutifs à l’emploi de la naltrexone dans la boulimie sont contrastés. Pour Mitchell (1989), l’utilisation à faible dose de cette molécule chez des femmes boulimiques normopondérales n’induirait pas de diminution, ni des crises de boulimie, ni des vomissements. A l’inverse, Marrazzi (1995) a pu constater des réductions significatives de ces crises chez 18 des 19 patientes de l’étude, menée en double aveugle versus placebo.
Enfin, citons certaines molécules, peu ou pas utilisées en France dans cette acception, car hors AMM notamment, et ayant fait l’objet d’études à l’étranger comme l’Ondansetron (Zydus®, Zophren®) (antagoniste périphérique des récepteurs 5-HT3) ou bien la Flutamide (antiandrogénique) (Eulexine®).
Publié en 2010