Anorexie, boulimie, compulsions alimentaires : l'association peut vous aider à voir les choses Autrement

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Sonde nasogastrique et boulimie : étude scientifique


Les crises de boulimie conduisent les malades, au fil des années, à un isolement affectif important et à une souffrance de plus en plus grande. Il y a chez nombre d’entre eux (au moins 50 % des cas), une pensée anorexique très forte : peur de grossir et de trop manger, « appétit excessif » pour les aliments…et un puissant besoin de maigrir. C’est ce besoin, en favorisant restriction alimentaire et vomissements, qui aggrave les crises.

La répétition parfois pluriquotidienne des crises aboutit à un intense sentiment de perte de contrôle, d’impuissance et de honte. D’autant plus que par leur répétition, ces crises vont détruire la vie affective, familiale et sociale de bien des malades. Ceci explique que les crises, par elles-mêmes, génèrent état dépressif et forte anxiété.

A ce stade, beaucoup de malades souhaitent, et même veulent guérir. Mais la conduite boulimique est trop forte. En effet, la boulimie peut être assimilée à une conduite addictive. Malgré leur désir, malgré le suivi médical en consultation, bien des malades sont incapables de tenir sans crise plus de 2 ou 3 jours.

Nous avons actuellement peu de traitements à proposer contre les crises de boulimie. De plus, ces traitements ne sont pas très efficaces :

1- Chez les malades atteints de boulimie à poids normal et chez ceux ayant une forme boulimique de l’anorexie mentale (poids bas), la thérapie cognitive et comportementale a une efficacité prouvée : elle diminue le nombre de crises et améliore l’humeur (état dépressif). Cependant, sa mise en œuvre est compliquée : équipe compétente, séances et malades motivés. De plus, les malades doivent attendre 4 à 6 semaines avant de voir un effet.

2- Les médicaments antidépresseurs de la famille des inhibiteurs de la recapture de la sérotonine ont également fait la preuve de leur intérêt sur la boulimie : ils diminuent ou stoppent les crises une fois sur deux et diminuent l’état dépressif. Mais leurs effets positifs ne sont mesurables qu’après au moins 3 semaines. Enfin, certains malades refusent de les prendre.

C’est dire qu’il était nécessaire de trouver un traitement efficace à court terme (les 3 premières semaines). C’est la raison pour laquelle nous avons entrepris cette étude prospective randomisée (c’est-à-dire avec tirage au sort) chez des malades faisant des crises de boulimie sévères.

1. Malades étudiés et méthode suivie

Avec leur accord et après celui d’un comité d’éthique médicale, ce sont 63 malades souffrant d’une forme sévère de boulimie (plusieurs crises par jour) qui ont été étudiés. Ils ont été tirés au sort pour recevoir soit la sonde nasogastrique + une nutrition entérale + un accompagnement diététique et psychothérapeutique + groupe de parole (groupe « Sonde »), soit tout sauf la sonde (groupe contrôle).

Les malades étaient traités en ambulatoire (chez eux) et allaient travailler avec la sonde. Après une phase d’évaluation de 2 semaines, chaque malade entrait dans la phase dite de traitement actif qui durait 2 mois. Les malades du groupe « sonde » n’étaient nourris que par nutrition entérale les 10 premiers jours (rien per os), puis l’alimentation était reprise progressivement, repas après repas. Après 2 mois, la sonde était retirée et la nutrition entérale arrêtée. Les malades des 2 groupes étaient alors suivis 6 mois.

L’analyse des effets portait sur différentes variables : 1- les crises (fréquence et durée), 2- les vomissements hors crises, 3- l’anxiété, l’état dépressif et la qualité de la vie, 4- des examens cliniques et biologiques. Toutes ces variables étaient mesurées juste avant, après une semaine, 2 semaines, un mois, 2 mois (fin de la phase active) puis 3 et 6 mois après.

L’analyse statistique était effectuée en « intention de traiter » par test de Student ou test non paramétrique et analyse de variance. Les comparaisons étaient effectuées entre avant et après traitement.

2. Résultats

Un malade n’a pas pu garder la sonde jusqu’au bout des 2 mois. Il n’y a eu aucun incident lié à la sonde nasogastrique. L’acceptation a été jugée bonne par les malades.

Après une semaine de traitement, la fréquence des crises et des vomissements hors crises avait diminué dans le groupe « sonde » (P<0,01) et pas dans l’autre groupe (Figure 1) : 24 malades sur 31 n’avaient plus de crises du tout (77 %) dans le groupe « sonde » contre 4 sur 32 (13 %) dans le groupe contrôle. A la fin des 2 mois de traitement, la fréquence des crises avait plus diminué dans le groupe « sonde » que dans l’autre groupe (P<0,01). La fréquence des crises diminuait de 90 % dans le groupe NEAD contre 50 % dans le groupe contrôle (P<0,001). Trois mois et six mois après retrait de la sonde, 16 et 17 des 31 malades du groupe « sonde » (51 et 55 %) n’avaient toujours pas de crises, contre 11 et 10 des 32 malades du groupe contrôle (34 et 31 %) (P<0,01 entre les 2 groupes).

De même, l’anxiété et l’état dépressif étaient moindre dans le groupe « sonde » que dans l’autre groupe (P<0,05 ; Figures 2 et 3). La qualité de vie était jugée meilleure dans le groupe « sonde » que dans l’autre groupe.

Les signes de dénutrition étaient jugés moindre par le médecin dans le groupe « sonde » que dans l’autre groupe à la fin des 2 mois : à savoir le poids, la masse maigre, les signes cutanés, les troubles de concentration (P<0,05). De même, certains signes biologiques étaient plus améliorés dans le groupe « sonde » (P<0,05) : la créatininémie, la kaliémie, la natrémie, la préalbumine, la ferritine, les ALAT et la créatinine urinaire (qui mesure la masse musculaire).

3. Discussion et perspectives

Cette étude montre l’efficacité de la sonde nasogastrique et de la nutrition entérale à domicile (NEAD) dans le traitement de la boulimie. Cette technique est efficace tant sur la fréquence des crises que sur le nombre de malades arrêtant toute crise que sur la qualité de la vie, le niveau d’anxiété et de dépression. Cet effet est rapide, obtenu en moins de quelques jours (1 à 3 jours le plus souvent).

Ceci en fait le traitement à court terme le plus efficace contre ce trouble du comportement alimentaire, car la thérapie cognitive et comportementale et les médicaments antidépresseurs ne sont efficaces qu’une fois sur deux et seulement après 3 à 4 semaines.

Si ce traitement ne prétend pas guérir la maladie ni même se substituer à la psychothérapie, il s’avère très utile pour les malades qui souvent souhaitent un traitement rapidement efficace. Bien sûr, l’étude n’a porté que sur des malades atteints de forme grave de boulimie. Il n’est pas non plus question de nier l’intérêt de la psychothérapie ni des antidépresseurs. Au demeurant, dans la présente étude, les malades étaient vivement encouragés à poursuivre leur psychothérapie pendant et au-delà de la NEAD. Ils participaient également à des groupes de parole.

L’effet de la sonde et de la NEAD sur l’anxiété, l’état dépressif et la qualité de vie s’explique sûrement par le fait que les crises et les vomissements, par leur répétition, aggravent considérablement la fréquence et l’intensité des troubles de l’humeur.

Si cette étude prouve tout l’intérêt de la sonde nasogastrique et de la NEAD dans le traitement de la boulimie, elle n’en explique pas pour autant les effets. Trois hypothèses sont possibles. 1- Il est probable que le sevrage de toute alimentation durant 10 jours contribue au sevrage des crises, en rompant le cercle vicieux « obsession de maigrir -jeûne-pulsion alimentaire -crise- vomissement- frustration- nouvelle crise ». 2- Il est plausible que la nutrition entérale, qui apporte à l’organisme tous les nutriments dont il a besoin et dont il est privé depuis des mois, permet de casser le besoin de manger lié aux carences nutritionnelles. 3- Il n’est pas exclu (c’est un argument avancé par certains malades) que la présence de la sonde dans l’arrière gorge aide les malades à lutter contre le besoin de crise (effet placebo et stimulation cérébrale par des signaux permanents d’origine ORL, « comme lors d’une crise ».

D’autres études sont nécessaires pour savoir si ce type de traitement peut être efficace à plus long terme, en permettant à une psychothérapie plus en profondeur de s’installer chez des malades plus convaincus qu’il est possible de s’en sortir.

Figure 1 : Nombre de crises avant, à la fin de la période de traitement actif (2 mois) puis 3 et 6 mois plus tard

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Figure 2 : État d’anxiété avant, à la fin de la période de traitement actif (2 mois) puis 3 et 6 mois plus tard (test d’anxiété de Hamilton).

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  Figure 3 : État dépressif avant, à la fin de la période de traitement actif (2 mois) puis 3 et 6 mois plus tard (score de dépression de Beck).

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Publié en 2007