Anorexie, boulimie, compulsions alimentaires : l'association peut vous aider à voir les choses Autrement

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Scores de détérioration de la qualité de la vie (QUAVIAM)


Pr D. RIGAUD et Hélène PENNACCHIO - Association AUTREMENT

1. Qualité de vie dans l'anorexie mentale et la boulimie

Nous avons vu précédemment (voir texte « détérioration de la qualité de vie dans l'anorexie mentale et la boulimie ») la souffrance des malades.

Grâce à un questionnaire de 61 questions, nous avons pu établir des scores de détérioration de la qualité de vie, en séparant la qualité de vie somatique (physique), psychique (moral, humeur, sentiment d’impuissance, manque de confiance…), la qualité de vie socioprofessionnelle, hédonique (capacité à se faire plaisir) et liée au TCA. Ceci donne un score total, pour lequel il y a un minimum de zéro (aucune détérioration de la qualité de vie) et une note maximale de 610 (énorme détérioration). Il y a aussi des sous-scores pour chacun des 6 thèmes ci-dessus.

Les 2 figures ci-dessous comparent, l’une les anorexiques et les boulimiques, et la deuxième, les malades en phase active de leur maladie (encore bien malades), des malades guéries (« recovered) et des femmes sans trouble alimentaire (healthy women).

Les caractéristiques des malades se trouvent dans le tableau 1 et 2 ci-dessous :

Tableau 1: Caractéristiques des patients

  Bulimia AN-BP AN-R P
Age (ans) 28.1 + 8.2 27.9 + 8.1 34.6 + 10.1 § =0.004
Poids actuel (kg) 63.1 + 15.3 41.5 + 5.7 38.8 + 5.8 <0.0001
Taille (m) 1.63 + 0.11 1.64 + 0.12 1.65 + 0.10 NS
Indice de masse corporelle (IMC, kg/m2) 23.7 + 6.2 15.4 + 1.8 14.2 + 1.9 <0.0001
Age au début du trouble (ans) 18.4 + 7.2 18.4 + 7.1 18.9 + 6.6 NS
Début suite à un régime (%) 61 74 83 <0.01
Début suite à une dépression (%) 32 39 21 NS
Début suite à une perte (de proches) (%) 29 11 22 <0.05
Début suite à un trauma sexuel (%)  26  32  7  <0.01
dépression associée (%)  * 54 42 35 <0.05
Anxiété associée (%)  ** 20 25 13 <0.05
Troubles obsessionels compulsifs (%) 48 58 54 NS
Auto-mutilation (s) (%)  45 34  26  <0.001
Hyperactivité physique (%)  58 66  67  NS
Score d'yperactivité physique (max 24)  9.9 + 6.6 8.8 + 6.9  10.4 + 6.3  NS
Amenorrhée (%)  37  79  98  <0.0001
Troubles alimentaires dans la famille  28  36  20  NS

* selon l’indice de Beck (> 20); ** Hamilton ( score > 30), § AMR plus vieilles que AMB


Tableau 2: Caractéristiques psychologiques des patients

 Pour chaque, score de 0 à 10 Bulimia AN-BP AN-R P
Manque de confiance en soi 8.2 + 1.8 8.3 + 1.4 7.5 + 1.7 NS
Perfectionnisme 7.5 + 1.9 7.8 + 1.9 8.1 + 1.2 NS
Besoin de tout contrôler 7.7 + 1.9 8.5 + 1.6 8.2 + 1.1 NS
Perte de l'image de soi 7.0 + 2.1 7.3 + 2.0 6.8 + 01.8 NS
Peur de son désir 6.2 + 2.3 5.7 + 2.1 6.6 + 1.9 NS
Peur de sa féminité 6.1 + 2.3 6.5 + 2.7 7.4 + 2.0 NS
Excès d'émotions 7.8 + 2.1 7.6 + 2.2 4.5 + 1.8 <0.05
Difficultés à exprimer ses émotions 6.4 + 1.8 6.5 + 1.9 4.4 + 2.1 * <0.05
Méfiance à l'égard d'autrui 8.4 + 1.6 7.8 + 1.4 7.5 + 1.8 NS
Attachement excessif aux proches 5.8 + 2.1 5.6 + 2.1 7.2 + 1.5 ** <0.05
Peur de ne pas y arriver 8.9 + 1.5 9.2 + 1.3 8.2 + 1.4 NS
TOTAL 79.9 + 10.1 81.6 + 11.3 77.8 + 11.7 NS

Le score total du QUAVIAM était plus détérioré chez les malades boulimiques et anorexiques-boulimiques que chez les malades anorexiques restrictives (P<0,01) : 419 + 67 (B), 406 + 61 (AMB) et 359 + 72 (AMR). Le score des boulimiques était plus élevé que celui des AMB (P<0,03). Les malades en « phase active » de leur trouble du comportement alimentaire avaient une qualité de vie nettement plus détériorée que les malades presque guéries et que les 56 témoins sains : 88.6 + 49 chez les témoins sains, 157 + 81 chez les malades presque guéries et 399 + 81 chez les malades (P<0.0001).

Nous avions défini 6 sous-scores : comme le montre la figure 1, pour 4 des scores, il n’y avait aucune différence entre les 3 groupes (les scores « physiques », socioprofessionnel », « hédonique » et « affectif »). Pour 2 scores, les scores d’état psychique et de difficulté liées directement au TCA (possibilité de manger avec les autres, angoisse face au regard de l’autre, besoin de se comparer…), les malades anorexiques restrictives avaient un score moins détérioré que les 2 autres groupes (Figure 1). Quand ils étaient comparés aux malades presque guéris (G) et aux témoins sains (T), pour tous les sous-scores, les malades en « phase active » (TCA) montraient une qualité de vie moindre : sur une échelle qui allait de 0 à 10 (Figure 2) :

  1. Le score « physique » : chez les TCA, 6 fois moins bon que les T et 3,2 fois moins bon que les G,
  2. Le score « psychique » :3,8 fois moins bon que les T et 2 fois moins bon que chez les G,
  3. Le score « socioprofessionnel » : 8 fois moins bon que les T et 5 fois moins bon que chez les G,
  4. Le score « hédonique » : 11 fois moins bon que les T et 6 fois moins bon que chez les G,
  5. Le score « affectif » : 2,8 fois moins bon que les T et 2 fois moins bon que chez les G,
  6. Le score « TCA » : 5,8 fois moins bon que les T et 3 fois moins bon que chez les G.

Au total, les malades en « phase active » de leur trouble du comportement alimentaire avaient une qualité de vie nettement plus détériorée que les malades presque guéries et que les 56 témoins sains (P<0,001). C’est ce que montre la figure 2.

Figure 1: Sous-scores du QUAVIAM chez les patients souffrant d’anorexie mentale et de boulimie

Anorexie_Score_Quaviam_1.png

Chacun des 6 sous-scores était la moyenne des réponses à 8 à 12 questions. Pour chaque réponse, l’échelle allait de 0 à 10. ** P<0,03 entre les restrictives (AN-R) qui avaient le score le plus bas et les 2 autres groupes. A titre de comparaison, aucun des sujets sains n’avaient de score supérieur à 2.

EN = bpoulimie ; AN-BF : anorexie-boulimie ; AN-R : anorexie restrictive

Figure 2: Sous-scores du QUAVIAM chez des patients souffrant d’anorexie mentale et de boulimie, comparés à des maladies guéries et à des sujets sains

Anorexie_Score_Quaviam.png

Chacun des 6 sous-scores était la moyenne des réponses à 8 à 12 questions. Pour chaque réponse, l’échelle allait de 0 à 10. Eating disorder : TCA en phase active, Recovered : guéries, Healthy : femmes sans TCA. ** P<0,0001 entre les malades (colonnes noires) et les malades guéries et les sujets sains. Aucun des sujets sains n’avaient de score supérieur à 2.

Dans le détail, les malades AMR différaient peu des malades AMB et B. Sur 61 questions, les différences n’étaient observées que pour 7 d’entre elles :

  1. La fatigue était plus grande chez les boulimiques (AMB et B) que chez les patientes souffrant d'AM restrictive (P=0.06),
  2. Le sentiment d’impuissance aussi (P=0.02),
  3. Un moral plus bas, un découragement plus grand chez les AMB et B que chez les AMB (P=0.005),
  4. Une moindre estime de soi chez les boulimiques (AMB et B) que chez les AMR (P=0.01),
  5. Une incapacité à se relaxer plus grande aussi (P=0.03),
  6. Des pertes de mémoire et un défaut de concentration au travail également (P=0.06),
  7. Un plus fréquent recours aux psychotropes (anxiolytiques et antidépresseurs) et une plus grande dépendance à ces médicaments chez les AMB et les B que chez les restrictives (P=0.04).

Dans le détail aussi, les malades boulimiques à poids normal (B) différaient des malades anorexiques (AMB et AMR) que par 8 réponses :

  1. Les malades boulimiques (B) avaient plus de troubles du sommeil que les AM (P=0,03),
  2. La peur du jugement de l’autre était plus grande chez les B (P=0,43),
  3. Le sentiment d’avoir des relations insatisfaisantes avec ami(e)s et copains était plus grand chez les B (P=0,03),
  4. Le besoin fatiguant de toujours avoir à se comparer aux autres était plus grand chez les B (P=0,03),
  5. La souffrance de faire des crises boulimiques était plus grande chez les B que les AMB (P=0,02),
  6. L’insatisfaction par rapport à son corps (et sa silhouette) était plus grande chez les B que les AMB et les AMR (P=0,01),
    A l’inverse :
  7. Les B étaient moins souvent en aménorrhée et en souffraient moins, quand elles y étaient, que les AM (P=0,03),
  8. Les B avaient moins de difficultés à ajouter du sucre aux repas que les AMB et les AMR (P=0,02).

2. Score de dépression

Le score de dépression de Beck (BDI) était plus élevé chez les B et les AMB (aucune différence entre elles) que chez les AMR (P=0,02) : 19,9 + 6,1 (B), 18,1 + 5,4 (AMB) et 16 + 4,9 (AMR). C’était le cas pour 4 des 13 sous-scores du Beck (0,04

3. Score d’anxiété

L’anxiété était exprimée de façon fréquente. Ainsi 86 % des malades disaient avoir été ou être actuellement anxieux ; 39 % prenaient des anxiolytiques quotidiennement. Sur le score en 14 questions d’anxiété de Hamilton, le score moyen des malades était élevé : le score dépassait 30 (un score>30 est le signe d’une dépression nette, le score maximal étant de 56) chez 62 % des malades.
Il n’y avait aucune différence entre les 3 groupes (B, AMB et AMR) concernant le score total de Hamilton : 34,5 + 8,6 (B), 31,2 + 9,4 (AMB) et 29,9 + 10,1 (AMR). Cependant, des différences étaient notées pour 4 des 14 sous-scores : les B avaient des scores plus élevés à la peur de l’abandon, du noir, de la foule (P=0,03), concernant les troubles du sommeil (P=0,03), les troubles sensoriels, visuels, olfactifs ou cutanés (P=0,05) et les troubles génito-urinaires (P=0,01) que les anorexiques, qu’elles soient restrictives (AMR) ou boulimiques (AMB).

4. Discussion

La détérioration de la qualité de vie est quasi constante chez ces malades qui souffraient d’anorexie mentale ou de boulimie : chez les malades en phase active de leur maladie (avant traitement donc), aucun score n’est inférieur à 200. A l’exception d’une seule malade, dont il est à noter qu’elle était souvent dans le déni, aucun score n’était inférieur à 250. Ceci est à mettre en comparaison avec les scores des témoins, qui n’étaient jamais supérieurs à 200.

Concernant les résultats, ce qui est le plus frappant, c’est que ce ne sont pas les malades anorexiques les plus maigres et donc les plus dénutris qui ont la qualité de vie la plus détériorée. En effet, on voit bien à travers le score global et certains des sous-scores, que ce sont les malades boulimiques (à poids normal donc) qui ont le score le plus détérioré, suivi des malades anorexiques-boulimiques. La qualité de vie de ces dernières, portant moins maigres que les restrictives, est plus altérée que celle des restrictives.

Ce qui est tout aussi frappant est que les malades boulimiques ont une pensée anorexique tout aussi importante que les malades anorexiques restrictives. La peur du gras, du sucre et du sucré, la peur de grossir est au même niveau. Ceci pourrait s’expliquer par le fait que les boulimiques sont « anorexiques dans l’âme ». Elles se voient anorexiques, se rêvent anorexiques, voudraient peser le même poids et avoir la même restriction. Au demeurant, elles ont quasiment la même restriction aux repas. Ce n’est que lors des crises qu’elles « lâchent tout » et sombrent. De même, la fréquence de l’hyperactivité physique était la même chez les malades boulimiques que chez les anorexiques boulimiques et les anorexiques restrictives. La seule différence est que les restrictives passent en moyenne plus de temps par jour à cette hyperactivité (3,4 + 0,8 h/jour).

L’état dépressif et l’anxiété étaient dans l’ensemble, peu différents d’un groupe à l’autre. Tout au plus peut-on noter une tendance à un peu plus d’altération de l’humeur chez les boulimiques.

 

Publié en 2010