Pr Daniel RIGAUD - CHU Le Bocage, Dijon
La médecine fondée sur les preuves nous oblige à nous pencher sur nos pratiques professionnelles. En ce qui concerne l’obésité, nous avons quelques médicaments qui ont fait la preuve de leur efficacité.
Mais, parmi les obèses, environ un malade sur trois à six (15 à 30 % des cas) souffre de compulsions alimentaires fréquentes. Parmi eux, un malade sur deux, soit 10 à 15 % souffre de compulsions alimentaires sévères (en anglais « binge eating »).
Il s’agit d’un trouble du comportement alimentaire (TCA). On appelle TCA toute situation où se conjuguent un trouble (opacité, mal être) + un comportement « inapproprié » + un problème alimentaire (ingestif). Il ne s’agit donc pas d’un simple grignotage, même si celui-ci a induit une obésité à terme.
On entend par compulsions alimentaires sévères l’ingestion en quantité assez importante d’aliments en règle choisis, désirables, avec un sentiment de perte de contrôle, ingérés sans relation avec la faim, sans que le rassasiement joue. Ceci se fait en un temps relativement court (quelques dizaines de minutes et non pas quelques heures). Ces compulsions alimentaires sont en général faites des aliments que l’on s’interdit hors crise.
La fréquence de compulsions alimentaires sévères dans la population générale pourrait être de l’ordre de 5 à 8 %. On entend par « sévères » des compulsions au moins équivalentes à 2 paquets de gâteaux et ce au moins 2 fois par semaine.
Dans l’obésité (voir « obésité et compulsions »), la fréquence des compulsions alimentaires sévères est plus grande que dans la population générale : environ deux à quatre fois plus fréquente. Certains groupes ou services hospitaliers spécialisés dans le traitement de l’obésité ont trouvé une fréquence pouvant aller jusqu’à 40 % de leurs malades.
A priori, les compulsions alimentaires semblent plus souvent compliquer l’obésité que l’expliquer : il y a plus de malades souffrant d’obésité puis de compulsions alimentaires (15 %) que de malades compulsifs puis obèses (30 %). Il semble bien que ce soit la mises au régime hypocalorique qui l’explique : dans les études longitudinales, le risque de souffrir, dans les 3 à 5 ans qui suivent, de compulsions alimentaires sévères est quatre fois plus grand chez les malades qui se soumettent à un régime sévère, draconien que chez ceux qui sont plus « souples » ou qui ne font pas de régime.
Les compulsions alimentaires (CA) sévères touchent avant tout les femmes (au moins dans 70 % des cas).
On distingue :
Les CA peuvent être faites d’aliments sucrés, salés ou mixtes.
Il convient de rappeler qu’il s’agit d’une maladie à forte composante psychologique. Donc, l’effet placebo n’est pas nul. Selon Fairburn et al, sur 541 malades des 9 études en double insu contre placebo, un effet significatif sur les crises (réduction de plus de 50 % du nombre de crises) était observé chez 32,6 % des patients.
Huit des neuf études randomisées en double insu concernent des inhibiteurs de la recapture de la sérotonine (IRS) : fluoxétine, fluvoxamine, sertraline, citalopram ; la 9ème étude a concerné l’imipramine.
Ces études ne sont pas toutes de méthodologie parfaite : l’une ne durait que 7 jours (et n’a pas montré pas d’effet) ; une autre mélangeait boulimie et CA (effet très significatif sur les crises, P<0,01). Les 7 autres étaient de bonne méthodologie, mais n’incluaient au total que 322 malades (160 traités par IRS). Elles ont analysé le nombre de CA (9 études), la perte de poids (5 études) et l’état dépressif (9 études). Toutes ces études montrent un effet très significatif des IRS et de l’imipramine sur la fréquence des crises de compulsions alimentaires sévères (P<0,001).
Le tableau 1 montre l’effet de ces médicaments sur les crises. On y voit que si l’effet sur la fréquence des crises est statistiquement significatif, il n’est observé que chez un malade sur deux, voire au plus deux malades sur trois.
Tableau 1 : Pourcentage de malades sans crises sous IRS
Auteur (année)
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anti-dépresseur
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placebo
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Grilo (2005)
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22,2 %
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25,9 %
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Hudson (1998)
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37,5 %
|
27,5 %
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Mc Elroy (2000)
|
38,8 %
|
12,5 %
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Arnold (2002)
|
43,3 %
|
16,6 %
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Mc Elroy (2003)
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47,3 %
|
20,9 %
|
Laederach-Hoffman (1999)
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53,3 %
|
12,5 %
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Pearlstein (2003)
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66,6 %
|
45,4 %
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Total
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40,5 %
|
22,2 %
|
Seules deux études randomisées en double insu contre placebo ont été publiées. Elles sont toutes deux positives (Tableau 2) : le topiramate est plus efficace que le placebo sur le nombre de crises de CA (P<0,01).
Pour Claudino et al (2007), l’analyse multivariée révélait un effet thérapeutique meilleur du topiramate, en terme de reduction des crises de CA sévères. Mac Elroy a publié des résultats très similaires.
Tableau 2 : effet du topiramate sur les CA sévères
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Réduction
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Arrêt crises
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Topiramate (212 mg/j)
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94 %
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61 %
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Placebo
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46 %
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41 %
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Selon Claudino et al et Mac Elroy et al.
Seules deux études randomisées en double insu contre placebo ont été publiées. Elles sont toutes deux positives (Tableau 3) : l’Orlistat est plus efficace que le placebo sur le nombre de crises de CA (P<0,05). Le taux de rémission complète (arrêt des crises), en intention de traiter, était pour Grilo et al (2005) de deux tiers vs un tiers des malades, lorsque l’Orlistat était associé à la thérapie cognitivo-comportementale (TCC).
Dans l’étude de Golay et al (2005), après 24 semaines, la diminution du score de crises était meilleur dans le dans le groupe Orlistat que dans le groupe contrôle (P=0,01).
Tableau 3 : effet de l'orlistat sur les CA sévères
orlistat
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Avant *
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3ème mois
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Avant **
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24ème sem.
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120mg x 3
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100
|
64
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56
|
39
|
Placebo
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100
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36
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53
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42
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Pourcentages de sevrage complet. * Grilo et al ; ** Golay et al
Il faut ici rappeler que les malades souffrant de CA sévères sont souvent dépressifs. Il est évident que les IRS sont efficaces sur l’humeur des malades souffrant de CA, comme chez d’autres dépressifs.
Le tableau 4 montre les résultats sur l’état dépressif : comme on pouvait s’y attendre, on note un effet positif sur l’humeur avec ces IRS.
Tableau 4 : effet des IRS sur l’humeur en cas de CA sévères
Auteur (année)
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anti-dépresseur
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placebo
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Mc Elroy (2000)
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6,4
|
7,5
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Arnold (2002)
|
2,6
|
5,5
|
Mc Elroy (2003)
|
1,4
|
1,9
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Laederach-Hoffman (1999)
|
9,8
|
16,1
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Pearlstein (2003)
|
9,3
|
7,4
|
Total
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5,9
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7,68
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Score de Hamilton de dépression : score avant traitement > 12 (état dépressif avéré : Hamilton > 15).
Ils ont tous montré un effet significatif sur la perte de poids. Pour autant, la différence entre groupe « traité » et groupe placebo n’est pas très importante.
L’étude de Claudino et al (2007) montrait que le topiramate était supérieur au placebo sur la perte de poids : -6,8 kg en 5 mois, vs –0,9 kg dans le groupe placebo (P <0,001).
En intention de traiter et en analyse multivariée, l’étude de Claudino et al montre un pourcentage de perte de poids plus important dans le groupe traité que dans le groupe contrôle (-6,8 kg vs –0,9 kg en 5 mois; P<0,001).
Dans l’étude de Grilo et al, la perte de poids était meilleure avec Orlistat que sans (-5 % chez 36 % des malades contre 8 % dans le groupe placebo) après traitement comme 3 mois plus tard.
Dans l’étude de Golay et al, la perte de poids était plus grande, en intention de traiter, dans le groupe Orlistat que dans le groupe contrôle (-7,4 % vs. –2,3 %; P = 0,0001).
L’impression de tous les experts est que la présence de CA sévères complique nettement le traitement médical de l’obésité et du surpoids. De plus, les experts s’accordent à penser que la présence de CA sévères entrave la perte de poids, tout le reste étant égal par ailleurs.
L’analyse de la littérature nous a permis d’identifier 36 études portant au total sur 792 patients traités, pour lesquels il était indiqué dans la publication qu’il y avait ou qu’il n’y avait pas de compulsions alimentaires marquées ou sévères au début de l’étude (inclusion). La moyenne a pu être calculée à partir de ces 36 études : la perte de poids est de 1,3 kg contre 10,5 kg à 6 mois et/ou un an.
Différents médicaments ont prouvé leur efficacité dans la prise en charge des malades souffrant de compulsions alimentaires.
Pour autant, diverses remarques doivent être faites :
Publié en 2008