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Faut-il avoir peur des médicaments de l'obésité ?


Professeur O. ZIEGLER, Nutrition - CHU Nancy

Les médicaments de l’obésité sont encore à la recherche de leur légitimité. Ils n’ont toujours pas trouvé leur véritable place dans la pharmacopée moderne. Peut-être les nouvelles molécules portent-elles encore le fardeau de la mauvaise réputation des amphétamines et de leurs dérivés et sont-elles victimes de l’histoire chaotique de cette classe thérapeutique au cours des années 60-90. Pourtant les publications scientifiques sont de plus en plus nombreuses à démontrer que le service médical rendu n’est pas négligeable.

Nous nous efforcerons de montrer en quoi cette vision pessimiste a quelques justifications. Puis dans un deuxième temps nous décrirons les grandes avancées concernant l’art et la manière d’utiliser les molécules actuelles et à venir.

1. Thèse : les médicaments de l’obésité sont inquiétants

1.1. Effets indésirables graves

Il est inutile de rappeler dans le détail l’histoire des fenfluramines, molécules efficaces, mais tenues pour responsable d’un effet secondaire gravissime, car souvent mortel, l’hypertension artérielle pulmonaire primitive. Quiconque a vu un malade sous oxygène, victime de cette affection apparue à la suite d’un traitement de longue durée par fenfluramine ne peut plus analyser le rapport bénéfice-risque avec la même tranquille assurance. Certes ce type de complication était exceptionnel (1-2 cas/106)…
Chacun portera son propre jugement … Les fenfluramines n’ont pourtant pas été retirées de la vente en septembre 1997 pour cette raison, mais pour une histoire de valvulopathies cardiaques qui reste, plusieurs années après, bien mystérieuse.
Les informations furent d’abord publiées dans le « Wall street journal ». L’association Fen-Phen (fenfluramine-phentermine) inutilisée en France était probablement coupable … L’association de deux anorexigènes était déjà considérée comme illogique et n’a jamais été conseillée dans notre pays.

La sibutramine faillit connaître le même sort, après le décès en Italie de 2 patients. Une campagne médiatique contre cette molécule eu un certain retentissement, mais les experts jugèrent que l’imputabilité n’était pas certaine. A l’évidence les contre-indications n’avaient pas été respectées. En effet les effets cardio-vasculaires de type adrénergiques sont bien connus. La sibutramine est contre-indiquée en cas d’hypertension artérielle mal contrôlée, d’antécédent d’accident vasculaire cérébral ou d’insuffisance coronaire avérée et donc chez les sujets à haut risque vasculaire. L’étude SCOUT, qui vient de démarrer, a précisément pour but de démonter l’intérêt de la sibutramine vis à vis de la morbi-mortalité cardio-vasculaire.

1.2. Echec de la pilule miracle : efficacité modérée

Certains insistent sur la modestie des résultats publiés dans de nombreuses études. Le traitement médicamenteux « ne guérit » pas l’obésité, qui est une maladie chronique à la physiopathologie si complexe qu’on en parle volontiers au pluriel pour mettre en exergue cette caractéristique. La perte de poids n’est souvent que de quelques kilogrammes. Elle dépend en fait beaucoup des mesures d’accompagnement (diététique, activité physique, modifications comportementales. Nouvelle hormone du tissu adipeux, la leptine s’est révélée peu efficace dans le traitement de l’obésité humaine. Les nouveaux médicaments ne font jusqu’à présent, pas beaucoup mieux que les anciens, comme l’isoméride.

1.3. Un échec annoncé : la reprise de poids à l’arrêt du médicament

Une certaine reprise de poids est habituellement constatée à l’arrêt du traitement pharmacologique. Ce « retour à la case départ » peut paraître inéluctable. L’usage inconsidéré des médicaments de l’obésité est parfois à l’origine du fameux syndrome du Yo-yo.

1.4. Renforcement des distorsions cognitives : erreur de cible

La présence de distorsions cognitives est souvent à l’origine de l’échec thérapeutique, si fréquent au cours du traitement de l’obésité. La « loi du tout ou rien » en est un bon exemple : soit le malade fait des efforts énormes et coûteux (à tous les sens du terme) pour maigrir, soit il se laisse aller à ses habitudes antérieures. L’usage inadapté du médicament peut procéder de la première tendance. Le thérapeute fait alors une erreur stratégique car il renforce la distorsion, faute de l’avoir identifier. L’échec est alors probable à moyen terme.

1.5. Effets anti-physiologiques ?

Les médicaments centraux qui agissent sur la faim, le rassasiement ou la satiété modifient par définition les signaux physiologiques, qui permettent au sujet de réguler son comportement alimentaire. Leur efficacité devient alors un handicap quand arrive le moment d’interrompre la prescription. Le sujet qui ne s‘est pas engagé dans une démarche de thérapie cognitivo-comportementale peut se retrouver « perdu ». La rechute est probable, car les mêmes causes produisent les mêmes effets.

1.6. Traitement illusoire ou illusion thérapeutique

Le thérapeute se devrait de comprendre les mécanismes biologiques, psychologiques ou sociaux qui ont conduit au développement de l’obésité et à sa pérennisation. L’objectif est en effet de proposer un traitement aussi adapté que possible. Faute d’identifier les vrais problèmes, le médecin fait fausse route. L’échec est annoncé. Le médicament de l’obésité est alors une illusion thérapeutique, s’il constitue la seule approche de la prise en charge…

1.7. Coût élevé : une médecine à deux vitesses

Le coût financier, qui est à la charge du patient, reste malheureusement en France un problème majeur. Bien des patients qui pourraient assurément en bénéficier, car ils sont diabétiques ou hypertendus (la perte de poids est efficace vis à vis du diabète ou de l’hypertension), ne peuvent manifestement pas supporter longtemps cette charge financière. L’obésité se développe dans les milieux les plus précaires de nos sociétés riches et développées. Les autorités refusent de considérer le problème pour des raisons économiques. L’obèse, présumé coupable (il mange trop), peut payer …

2. Antithèse : les médicaments de l’obésité ont des effets bénéfiques

2.1. Efficacité à long terme prouvée

De grandes études, techniquement parfaites (tirage au sort, double aveugle, durée d’au moins 1 an, analyse en intention de traiter…) ont indubitablement prouvé l’efficacité des plusieurs médicaments de l’obésité. La perte pondérale est en moyenne de 9 à 10 kg (4,8 à 10,9 kg) sous dexfenfluramine, sibutramine ou orlistat, pour des sujets dont le poids de départ est de 90 à 100 kg (contre 6 kg environ pour les sujets sous placebo). Le pourcentage de patients dont la perte de poids dépasse 10% du poids initial est le critère de succès thérapeutique le plus pertinent. Toutes les études sont concordantes sur ce point : les médicaments de l’obésité sont deux à trois fois plus efficaces que le placebo, soit environ 30 % de bons résultats (20 à 39%), contre 15 % sous placebo (7 à 18%).

2.2. Un effet capital sur la stabilisation pondérale après perte de poids

Le médicament est habituellement prescrit pour obtenir une certaine perte de poids en quelques semaines. Mais son principal intérêt est, aux yeux de nombreux experts, de faciliter la stabilité pondérale après cette phase initiale. En effet, spontanément, la plupart des patients reprennent du poids plus ou moins rapidement. Il faut bien constater que c’est l’évolution naturelle de la maladie ! De nombreux mécanismes biologiques ou psychologiques tendent à ramener le poids (ou la masse grasse) à sa « valeur de consigne » selon la théorie du pondérostat. « Ne pas regrossir » est un objectif difficile, qui implique la mise en place de stratégies thérapeutiques multiples.

Sous l’effet du médicament, le plateau pondéral se maintient relativement bien à 1 an, 2 ans ou même 4 ans. La perte de poids moyenne rapportée au bout de 4 ans sous orlistat dans l’étude XENDOS (- 6,9 kg) est équivalente à celle calculée par Anderson et al. dans leur revue de l’efficacité à long terme des régimes hypocaloriques sévères (- 6,3 kg au bout de 5 ans). Il faut préciser que les sujets avaient perdu en moyenne environ 17 kg au cours des premiers 6 mois de ces traitements diététiques héroïques (VLCD).

2.3. Effets sur les comorbidités

La perte de poids a un effet bénéfique significatif sur les comorbidités de l’obésité. Des études à court ou moyen terme ont montré qu’une perte pondérale de 10 % entraîne une baisse de 10 mm Hg de la pression artérielle systolique, de 20 mm Hg de la pression artérielle diastolique, de 10 % du cholestérol total plasmatique, de 15 % du cholestérol-LDL, de 30 % des triglycérides et une augmentation de 8 % du cholestérol-HDL.

2.4. Du bon usage des médicaments de l’obésité

Les recommandations françaises pour le traitement de l’obésité, comme celle des autres pays, situent le traitement médicamenteux au sein d’une combinaison de mesures thérapeutiques portant sur la diététique, l’activité physique et l’adaptation du comportement.
Si le médicament est habituellement utilisé pour favoriser l’amaigrissement, l’objectif principal est de maintenir la perte de poids à long terme. Il est donc proposé de prescrire le traitement pendant plusieurs mois chez les patients “répondeurs ”.

2.5. Hors des médicaments de l’obésité, point ou peu de salut

La pharmacothérapie de l’obésité paraît « presque » incontournable dans les formes sévères d’obésité. La seule alternative est la chirurgie dont on connaît les inconvénients. La stabilisation pondérale est en effet extrêmement difficile à obtenir et à maintenir avec les seules mesures hygiénodiététiques. Les leçons du registre américain (National weight control registry) sont claires . Cette étude d’observation de 3000 sujets qui ont perdu en moyenne 30 kg et dont l’IMC a diminué de 10 kg/m2 avec un recul moyen de 5,5 ans, permet de mettre en avant les 3 mesures essentielles : un régime hypocalorique et hypolipidique sévère (environ 1400 kcal/j, avec 24 % de l’énergie sous forme de lipides), la pratique régulière et plutôt intensive d’une activité physique (une heure de marche rapide par jour soit 2500 à 3000 kcal de dépenses par semaine) et l’auto-surveillance du poids . A l’évidence les contraintes sont fortes ! La prise au long court d’un médicament de l’obésité pourrait être une alternative crédible.

2.6. Action spécifique sur la physiopathologie de l’obésité

Le rêve des chercheurs est de trouver les anomalies biologiques à l’origine de l’obésité et de les corriger par un ou plusieurs médicaments spécifiques. L’entreprise est difficile … L’échec de la pharmacothérapie par la leptine chez l’homme n’en est pas un, car l’obésité humaine n’est pas la conséquence d’un déficit en leptine mais plutôt d’une leptino-résistance. Il est vraisemblable que de nouvelles molécules seront disponibles dans les années à venir. Le clinicien pourra alors choisir pour chaque patient le médicament le plus adapté en fonction de son profil d’action sur la prise alimentaire (faim, satiété, rassasiement, impulsivité, dépendance ...) le métabolisme au sens large (absorption intestinale, stockage des nutriments …) et les dépenses énergétiques (oxydation, rendement métabolique …).

3. Conclusion

Le traitement pharmacologique de l’obésité devrait être considéré comme un traitement comme les autres, par les médecins, les malades et les autorités de santé. Sa juste place dans les stratégies thérapeutiques a été clairement définie par les experts ou les sociétés savantes. Il reste à mettre en place des procédures compatibles avec le fonctionnement de l’assurance maladie de notre pays. Les réseaux de soins pourraient donner la possibilité d’utiliser ces médicaments dans le respects des bonnes pratiques cliniques.

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Publié en 2006