Anorexie, boulimie, compulsions alimentaires : l'association peut vous aider à voir les choses Autrement

Anorexie Boulimie Compulsions
Définitions, physiopathologie, épidémiologie et maladies associées Cas clinique et complications
Anorexie mentale et troubles digestifs Cas clinique : anorexie mentale Dénutrition de l'adulte jeune : une complication de l'anorexie mentale Anxiété et troubles du comportement alimentaire Malnutrition protéique et anorexie mentale Ostéoporose Risques somatiques de l'anorexie mentale TCA et troubles du cycle menstruel
Traitement Autre TCA Les études scientifiques
Obésité Nutrition Alimentation

Cas clinique : anorexie mentale


Pr Daniel RIGAUD - CHU Le Bocage, Dijon


Mademoiselle X, 20 ans, consulte pour obtenir un régime hypocalorique, car elle a grossi de 3 kilos ces 3 derniers mois et a peur de ne pas s’arrêter. Elle n’a pas d’antécédent particulier. Elle pèse 47 kilos pour 1,70 m. Elle n’a pas ses règles depuis près de 2 ans.

1. Interrogatoire

1) Antécédents familiaux : ni surpoids, ni obésité

2) Antécédents personnels : aucun. Toutefois, elle est hantée par la peur de grossir, alors qu’elle est maigre. Son poids minimal a été de 44 kg vers l’âge de 19 ans.

A 15 ans, elle pesait 52 kg pour 1,68 m. On la trouvait un peu enveloppée. A 17 ans, à la suite d’un régime, elle était descendue à 47 kg, puis elle avait regrossi progressivement jusqu'à 55 kg pour 1,70 m à 18 ans. Elle avait alors entrepris un régime très restrictif, sans contrôle médical.

Ses règles se sont interrompues alors qu’elle avait déjà commencé à maigrir. Au début de l’aménorrhée, elle pesait, croit-elle, environ 52-53 kg. Ses premières règles remontent à l’âge de 13 ans ; elles ont souvent été irrégulières.

3) Interrogatoire alimentaire : Elle ne mange que des salades et des yaourts à 0%. Parfois une pomme ou un petit pot de bébé. Elle adore manger ; elle est gourmande. Elle saute en général le petit-déjeuner et le dîner et ne s’assied jamais à table. Elle n’arrive cependant pas à perdre du poids. Elle se sent déprimée, triste et assure qu’elle irait mieux si elle perdait encore 3/4 kg.

carotte_1.gifRégime incohérent de l’ordre de 1200 kcal : 20% de protéines, 20% de lipides, 60% de glucides. Elle reconnaît, en réponse à la question, boire plusieurs litres d’eau par jour.

Non, elle ne se sent pas maigre. D’ailleurs, elle se sent bien en forme et continue la gymnastique sans problème.

Non, il est hors de question qu’elle pèse plus de 46-47 kg.

2. Examen clinique

Poids = 48 kg pour 1,70 m, soit un IMC de 16,6 kg/(m)2

Perte de poids évidente, avec amyotrophie et minceur du pli cutané. On note des oedèmes des membres inférieurs, un faciès un peu soufflé, mais émacié, une discrète parotidose, un météorisme abdominal (fermentations coliques).

La peau est sèche, les ongles cassants. Il y a des oedèmes des membres inférieurs.

Examen cardiovasculaire et pulmonaire : normal ; fréquence cardiaque = 52 batt./min ; pression artérielle = 95 / 65 mm Hg

Examen gynécologique : elle est aménorrhéique. Elle a pris la pilule estro-progestative, mais l’a arrêtée parce qu’elle avait peur des risques.

3. Examens biologiques

piqure_1.gifLe médecin demande un bilan biologique complet

a) NFS

  • GR = 3,9 Millions/microlitre, Hb = 12,6 g/100ml discrète anémie,
  • GB = 8 600/microlitre, lymphocytes : 1.350/microlitre

b) Ionogramme sanguin

  • Natrémie = 131 mmol / L
  • Kaliémie = 3,1 mmol / L
  • Bicarbonates = 29 micromol / L
  • Créatininémie = 98 micromol/L
  • Protidémie = 80 g/l, albuminémie = 48 g/l

c) ALAT = 56 UI/l, ASAT = 45 UI/l (N < 40)

d) TSH = 2 mUI/L ; T3 libre (FT3) : 2,9 pmol/L (N > 3,2) ; FT4 : 7,2 pmol/L (N > 7).

e) Cortisolémie : discrètement élevée.

4. Synthèse et diagnostic

Dénutrition : amaigrissement ; amyotrophie et perte de masse grasse (plis cutanés) ; troubles de la peau et des phanères.

Anorexie : peur de grossir, désir de maigrir malgré un poids bas ; amaigrissement de plus de 15 % par rapport au poids initial ; distorsion de l’image corporelle ; dépression et angoisse.

QUESTION 1 : Qu’évoque pour vous l’examen clinique et le résultat du ionogramme sanguin, des protides totaux, de l’albuminémie et de la créatininémie ?
(plusieurs réponses possibles)

Réponse 1 : une dénutrition
Réponse 2 : une diarrhée chronique
Réponse 3 : une maladie coeliaque
Réponse 4 : des vomissements
Réponse 5 : une maladie de système
Réponse 6 : une potomanie

Réponses justes : cliquez ici

Le tableau biologique affirme dans ce contexte d’anorexie mentale l’existence de crises de boulimie avec vomissements : faciès soufflé, parotidose (obstruction des canaux excréteurs par sécrétion riche en protéines du fait des vomissements ; hypokaliémie et alcalose métabolique (vomissements), insuffisance rénale, hyponatrémie (hyperhydratation intracellulaire par potomanie), hémoconcentration par déshydratation extra-cellulaire, liée aux vomissements.

Il y a à l’évidence des signes de dénutrition clinique et biologique

Par ailleurs (hors QCM) :

Élévation des transaminases : stéatose hépatique liée à la dénutrition (crises boulimiques ?).
TSH normale basse et FT3 basse = syndrome de basse T3 : quasi constant (90 % des cas) ; en rapport avec la restriction des apports per os et la dénutrition.
L’hypercorticisme, modéré, est fréquent : 50 % des cas.
Rechercher aussi d’autres stratégies de « contrôle » du poids : laxatifs, hyperactivité physique, plus rarement diurétiques.

5. Prise en charge

QUESTION 2 : Devant une anorexie mentale, quels examens complémentaires demanderiez-vous ?
(plusieurs réponses possibles)

Réponse 1 : T3 L, T4 L, TSH pour éliminer une hyperthyroïdie
Réponse 2 : cortisolémie pour éliminer une insuffisance surrénale
Réponse 3 : aucun pour faire le diagnostic
Réponse 4 : ceux pour évaluer la dénutrition et de rechercher des facteurs de risque
Réponse 5 : VS et CRP pour rechercher un syndrome inflammatoire

Réponses justes : cliquez ici

  • Pour affirmer le diagnostic : aucun, car le diagnostic est purement clinique. A cet égard, les examens hormonaux ne se justifient pas : ni cortisolémie, ni TSH, ni FSH ou LH, ni estradiol ou progestérone
  • Pour évaluer la dénutrition : albumine, pré-albumine, transferrine, hémoglobine sériques
  • Pour dépister des vomissements et/ou des crises de boulimie : iono sanguin (natrémie, kaliémie, réserve alcaline, chlorémie, créatininémie, ALAT et amylase (salivaire)
  • Pour juger du retentissement des vomissements : ECG
  • Pour exclure une infection chronique liée à la dénutrition et majorant le risque vital, demander un ECG. Une forte hypokaliémie (<2,5 mmol/L) affirme les vomissements. Une hypokaliémie majeure (<2 mmol/L) impose l’hospitalisation.
  • Travailler avec la malade sur un objectif pondéral minimal. L’objectif est d’atteindre le poids qui permet le retour des règles : IMC = 18,5 kg/m2 (contrat de poids en accord avec Mlle X).
  • Travailler sur le comportement alimentaire (thérapie comportementale) : faire 3 à 4 repas/jour, s’asseoir à table, varier les aliments, favoriser une ambiance conviviale et le partage (repas accompagnés), stopper les vomissements, les laxatifs, l’ingestion d’eau « pour laver les intestins ». Comprendre enfin ce qui lie comportement alimentaire et humeur ou angoisse.
  • Mettre en place une psychothérapie de soutien (les 10 points-clé = manque de confiance en soi, perfectionnisme, souci de maîtrise de tout et culpabilité de ne pas y parvenir, solitude, état dépressif latent possible qui peut se réactiver lors de la prise de poids, difficultés à se faire plaisir, relation avec son corps, image de la femme et peur de la sexualité).
  • Conseils Nutritionnels : obtenir des apports énergétiques suffisants pour cette jeune fille et conformes au maintien du poids objectif (fonction du sexe, de l’âge, de la taille, de l’objectif pondéral fixé et de l’activité physique). En pratique : préciser les apports nécessaires (en énergie, protéines, lipides, glucides) à obtenir à terme, en fonction des besoins de maintenance.

couvert_1.gifRepas : insister sur la convivialité, la préparation (couleurs...)

  • Approche médicamenteuse : anxiolytiques et antidépresseurs au cas par cas (efficacité sur l’humeur, absence d’efficacité sur les troubles du comportement alimentaire et le poids)

Les 4 objectifs clés (incontournables) du traitement de l’anorexie mentale :

1. Obtenir un poids minimal normal : IMC de 18,5 kg/(m)2
2. Obtenir des apports énergétiques conformes au maintien de ce poids, et donc tenant compte des dépenses énergétiques, liées au sexe, à l’âge, à la taille, au poids objectif et à l’activité physique (en général accrue en cas d’anorexie)
3. Obtenir un comportement alimentaire normal : pouvoir manger sans honte ni culpabilité, sous le regard des autres, sans évictions multiples et sans monotonie
4. Ouvrir des portes, pour mettre en exergue les traits de caractère qui ont rendu possible l’anorexie et comprendre les liens que la maladie a tissé autour de la malade.

6. Suivi

Il doit être de longue durée. La prise en charge est longue et difficile. Il faut savoir prendre son temps et accepter l’échec : la rechute est fréquente et n’est pas un drame.

Environ la moitié des malades guérissent sans séquelle aucune, ni somatique ni psychique.

La prise en charge psychothérapeutique ne suffit pas, la seule prise en charge nutritionnelle (régime) non plus. L’approche doit être double.

Voir fréquemment la malade au début et maintenir un objectif pondéral clair et cohérent.

La réassurer et ne pas la juger. La convaincre qu’elle est malade et qu’elle peut guérir, si elle s’en donne les moyens.
 

Publié en 2005