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Trouble du comportement alimentaire et résilience (2)


Mme Angélique GIMENEZ - Psychothérapeute

1. La résilience et les troubles du comportement alimentaire

La résilience est un terme utilisé dans le domaine des matériaux, exprimant la capacité d’un matériau à reprendre sa forme initiale après qu’il ait subi une déformation…On perçoit vite comment la résilience peut être transposée dans le domaine de l’humain et plus spécifiquement de sa psychologie.

En y réfléchissant, plusieurs auteurs, et notamment le neuropsychiatre Boris Cyrulnik, ont abordé la résilience sur le plan psychologique : comment un être humain est-il capable de retrouver son état « initial » après un épisode de vie traumatisant ? Comment peut-il retrouver sa sérénité, sa joie de vivre ?… Mais nous pouvons aussi élargir la notion à notre physiologie toute entière, comment allons-nous récupérer physiquement ? Retrouver notre énergie, notre état de santé quand le traumatisme a entamé notre enveloppe corporelle.

La maladie, les blessures de l’estime de soi, les épisodes tragiques d’une vie constituent ces potentielles « déformations » dont l’humain se remet plus ou moins rapidement. Il n’existe pas de traumatisme en soi mais des expériences de vie traumato-gènes : un épisode après lequel la vie ne sera plus jamais la même…il y a eu un avant et un après ! L’enfant qui perd son « doudou » favori, l’adolescent maltraité et rejeté par ses « copains », la femme violée, l’homme licencié abusivement, un tsunami…sont de probables expériences traumatiques.

Etre résilient, c’est être capable de faire en sorte que si l’après est forcément différent de l’avant, nous, en tant que personne, serons sortis indemnes psychologiquement de cet épisode, et même enrichis d’une expérience dépassée avec succès. Cette expérience nous a permis, après avoir été ébranlés dans nos croyances, dans notre structure, de recadrer justement ces fameuses croyances que nous avons sur nous, sur les autres, sur la vie… Nous pouvons alors nous recentrer sur l’essentiel, sur nos vraies valeurs et notre besoin de les préserver.
Qu’est ce qui est vraiment important pour nous après la perte violente d’un être aimé, quand nous vivons un abus sexuel, quand la terre vient de trembler et que nous avons tout perdu ?

Qu’est ce qui est vraiment important pour l’enfant qui perd son « doudou » ? Assurément, qu’un adulte bienveillant accueille sa tristesse en la considérant avec autant de sérieux que si lui perdait un être cher et qu’il le console…et puis, ils iront ensembles acheter le cousin de « doudou » car « doudou » est irremplaçable et restera dans un petit coin du cœur de l’enfant. L’important ressemble à être entendu dans sa tristesse, une tristesse normale et naturelle quand on perd cet objet qui consolait les peines, évitait de se sentir seul et sentait le parfum de maman…

Une maladie grave peut-elle être considérée comme traumatique ?…Elle peut l’être, elle peut aussi être la conséquence d’un traumatisme (somatisation après un épisode de vie très difficile à traverser) et le traitement en lui-même de la maladie peut être traumatisant (radiothérapie, chimiothérapie, ablation d’un organe, un médecin qui vous affirme que les statistiques vous « condamnent » à 10 % de chances de guérison…).

2. Sommes-nous tous égaux en termes de résilience ?

Il est difficile de dire « non » puisqu’il n’y a pas de « gènes » de la résilience mais il y a des facteurs de résilience. Le premier est sans doute notre confiance en la vie lorsque l’épisode traumatique survient. Si nous avons foi en nos ressources, que nos parents nous ont appris « qu’après la pluie vient le beau temps ! », que nous les avons vus affronter leurs propres difficultés de la vie en gardant le moral et en continuant à y croire, alors nous avons certainement un avantage, non pas inné, mais acquis de par notre environnement.

C’est le moment de vous remémorer comment votre entourage a géré les difficultés de la vie et ce qu’il vous a transmis ?
Si votre famille pense que la vie est « dure et difficile » et que vous êtes né sous une mauvaise étoile, votre aptitude à la résilience sera sans doute moins apparente. En même temps, si vous êtes toujours en vie et que vous avancez malgré des croyances telles que celles-ci, une part de vous est réellement résiliente et a gardé son énergie vitale native.

En traumatologie, les éléments de résilience sont avant tout le soutien psychosocial, le maintien dans la vie sociale qui préserve la notion d’appartenance et donne un sens à notre vie ou, du moins, nous permet de nous sentir encore utile et la possibilité de pouvoir dire ce qui s’est passé.

Verbaliser, ce n’est pas seulement « poser des mots », c’est permettre à notre cerveau de transférer les informations de la zone de vigilance (l’amygdale) vers une zone d’intégration (l’hippocampe) ; il faut ordonner l’épisode dans le temps pour en permettre la compréhension par notre auditeur, en ressortir le pire, le plus important et traduire le ressenti.

Etre entendu, pouvoir dire l’événement, c’est lui donner une forme de cohérence, donner corps à l’incroyable mais pas à l’indicible ! C’est pouvoir penser l’impensable et voir que les témoins de notre récit nous croient et valident combien cet épisode était difficile à vivre.

Murer une personne dans le silence, c’est la condamner à l’incompréhension, l’isoler encore un peu plus profondément dans sa souffrance. Les non-dits familiaux peuvent ainsi « hanter » des générations et transmettre un mal-être dont les vivants peineront à se débarrasser faute de témoins de leur temps pour valider leur discours. Comment développer sa résilience face aux choses non-dites et dont personne ne pourra plus valider leur existence ?

2. Le trouble du comportement alimentaire est parfois la conséquence d'un épisode traumatique

Le trouble du comportement alimentaire est parfois la conséquence d’un épisode traumatique, sur un terrain déjà fragile (faible confiance en soi et en la vie), de non-dits transmis aussi. Les signes consécutifs à un épisode de vie traumatique non « digéré » sont de trois ordres: dissociation/ hyperexcitation, souvenirs intrusifs et évitement.

Un épisode traumatique laisse un stress dit post-traumatique et un état de tension chez la personne. Sans décharge possible, ce stress va s’installer et faire le lit de pathologies. Le trouble du comportement alimentaire est souvent la meilleure réponse que le malade a trouvée, à un moment donné, pour tenter de désamorcer cet état de stress…

Dans la boulimie et les compulsions, on retrouve souvent la recherche, plus ou moins consciente, de soulagement, de détente, d’apaisement ; dans l’anorexie, l’hyperactivité permet notamment de canaliser l’état de stress, l’angoisse, la culpabilité... Les patients sont également en recherche d’attention, de réconfort, de présence, d’amour…ce fameux soutien psychosocial, psychoaffectif/psycho actif. La recherche de ce soulagement, cet apaisement, etc … est tout à fait adaptée; c’est le comportement choisi qui ne le sera pas au long cours ! En effet, la maladie les isole encore plus généralement ; ils se sentent incompris et ils s’éloignent encore davantage de la réparation des épisodes de vie douloureux et des tuteurs de résilience.

La maladie est une mauvaise réponse mais elle permet de contenir le mal être psychique et de garder une forme de cohérence dans des rituels et des pensées « magiques ». Boris Cyrulnik affirme qu’un passage masochique (de maltraitance envers soi-même) est déjà un début de résilience pour nous permettre de nous dire à nous-mêmes : « si j’endure cela, c’est que je suis capable de faire face ». Le risque est malheureusement, dans la tentative de résilience à travers un trouble du comportement alimentaire, que la pathologie prenne une telle ampleur qu’elle complique la résilience.

L’absence de compréhension devant la maladie, l’isolement social, les hésitations du milieu médical devant cette pathologie constituent en eux-mêmes des éléments parfois traumato-gènes. Certaines personnes sont parfois enfermées, traitées de capricieuses, accusées d’être responsables de la rupture du couple, de l’effondrement de la famille ; être ainsi traitées les « traumatisent » encore un peu plus. Certaines sont accusées de rendre leur mère malheureuse, de faire mourir leur père mal-portant… torture morale ajoutée au traumatisme physiologique que constitue la maladie (la dénutrition extrême, les vomissements qui déchaussent les dents, font saigner le tube digestif, le surpoids qui rend la vie insupportable…).

La résilience passe donc par un vrai soutien du malade et une thérapie pour mieux comprendre à quelle question, à quel traumatisme, à quels non-dits a répondu la maladie, même si elle fut une mauvaise réponse…une fausse solution qui a encore dégradé la physiologie et éloigné temporairement le patient de sa résilience. Pouvoir regarder le trouble du comportement alimentaire comme une tentative de mieux guérir d’une souffrance psychologique, c’est mieux percevoir que celui-ci n’est pas réductible à une pulsion mortifère mais parfois à une réelle tentative de réparation et de vie.

Pouvoir être toujours en vie en pesant 26 kg à 30 ou 40 ans, avec pour certaines personnes plus de 20 ans d’anorexie, et venir encore une fois vers un thérapeute alors qu’on est las d’y croire…comment appelez-vous cela, si ce n’est une extrême pulsion de vie ? Certains l’appelleront peut-être instinct de survie ? Un élan de résilience qui attend que l’autre, en face, nous dise : crois-y encore, tu as ta place parmi le monde et ose me dire ce qui doit être dit. Alors, rappelons-nous cet important facteur de résilience nommé « soutien psychosocial » . Ce sont tous ces autres humains qui croisent les yeux des patients atteints d'un trouble du comportement alimentaire, sous réserve qu’ils soient bienveillants et voient la personne au-delà de sa part malade.

3. Extrait de « Autobiographie d’un épouvantail » de Boris Cyrulnik

« La souffrance est sans doute la même chez tout être humain traumatisé, mais l’expression de son tourment, le remaniement émotionnel de ce qui l’a fracassé, dépend des tuteurs de résilience que la culture dispose autour du blessé. L’invitation a la parole ou la contrainte au silence, le soutien affectif ou le mépris, l’aide sociale ou l’abandon chargent une même blessure d’une signification différente selon la manière dont les cultures structurent leur récit, faisant ainsi passer un même événement du statut de la honte à la fierté, de l’ombre à la lumière ».


Publié en 2011