Pr Daniel RIGAUD - CHU Dijon
D'abord, bien sûr, il faut manger et ça fait grossir !Puis, au passage, il faut manger face au regard de l'autre, ce qui est anxiogène.
L’abondance de nourriture mais aussi parfois, de cadeaux, de joie (plus précisément d’émotions partagées devant tous) devient une source de stress et d’angoisses alors que chacun, y compris vous-mêmes souvent, auraient aimé y trouver un plaisir partagé. Le poids des regards et des éventuelles remarques sont difficiles à supporter pour la malade ; les yeux de tous les convives rivés sur son assiette à moitié vide (mais finalement aussi, à moitié pleine!) génère une souffrance supplémentaire.
Mais manger, c'est aussi faire acte familial. Les fêtes sont souvent l'occasion de réunir tout le monde ; "cet oncle que je ne vois pas si souvent", "ce grand-père qui ne parle pas", "cette tante qui parle fort, plus haut que ma mère". Un tel acte, manger ensemble, donne une identité familiale. Or l'anorexie, la boulimie obligent à manger seule, cachée : la maladie nous dit : "mange cachée ou ne mange pas". Sous-jacente la pensée qu'il faut sans doute rompre avec cette famille ronde.
Par ailleurs, Noël est aussi la fête des enfants dont elle ne fait plus partie. Il lui a fallu quitter le monde imaginaire, abandonner l'idée de venir à l'aube, en pantoufles, doucement et sans bruit, sous l'arbre de Noël prendre, émerveillée, ses cadeaux "magiques", venus par miracle du fond de l'angoisse de la nuit.
Il y a aussi, pour cette malade anorexique ou boulimique, la pensée obsédante de toujours être parfaite, de bien faire, de bien se comporter ... pensée omniprésente. Et cette pensée se décline ici avec anxiété, avec un fort sentiment d'impuissance. "Jamais je ne pourrais manger tout ça !" ; "Que vont-ils penser de moi ?" ; "Tout le monde va bien voir à quel point je suis nulle !"
Il m'apparaît parfois qu'il y a là une colère sourde ... J'entends encore celle de Charlotte "contre ma mère qui m'a déjà parlé trois fois de mes efforts à faire ; contre mon père qui fixe mon assiette d'un air las, comptant dans sa tête me semble t-il toutes ces calories qui n'entrent pas, tout ce "bon manger qui sera jeté". Je vais leur gâcher Noël, ils vont me dire, si ça se trouve, que je ne suis pas désirée... Et moi qui veux tant l'être, toujours et encore.
Pour la malade, la pensée vient, les yeux noyés de larmes dans une aurore sombre, de ne plus bouger ou de partir. De ne plus parler et trouver un endroit retiré du monde, avec du silence et de l'agitation. Un brin de tristesse. Le vide.
Pour les parents, le conjoint, émerge un fort sentiment d'impuissance, à la hauteur de l'échec infligé par cette fille, ce fils qu'on ne reconnaît plus.
Peut-on faire autrement ? Peuvent-ils, ces malades et ces parents, trouver un autre regard sur le poids de la fête. Oui ! C'est possible ! Pour ceci, il faut :
Publié en 2009