La mortalité attribuée au tabac (10 à 12 % de la mortalité totale en France) est équivalente à celle due à l'alcool, aux drogues, aux accidents et aux suicides réunis.
Pourtant, beaucoup de fumeurs refusent d'arrêter de fumer ou n'y parviennent pas. Car le tabac provoque une dépendance à la nicotine dont les processus pharmacologiques et comportementaux sont similaires à ceux invoqués dans la dépendance aux drogues telles que l'héroïne et la cocaïne. Par ailleurs, le sevrage s'accompagne souvent d'une prise de poids très redoutée, surtout par les femmes. En effet, il semble que l'usage de nicotine ou de drogues induise des troubles des mécanismes qui contrôlent le poids corporel et l'appétit: il y a 1000 ans déjà, les amérindiens consommaient du tabac et connaissaient probablement ses effets sur la diminution de l'appétit.
L'arrêt du tabac s'accompagne d'un syndrome typique : troubles de l'humeur responsables de compulsions alimentaires, difficultés de concentration, agitation et prise de poids.
Les premières études détaillées sur la relation entre le poids corporel et la consommation de tabac sont apparues seulement dans les années 80. Des études transversales ont démontré une relation inverse entre tabagisme et poids. Les fumeurs pèsent en moyenne 2 à 4,5 kg de moins que les non-fumeurs d'âge et de taille comparables. Cette différence plus importante chez les femmes augmente avec l'âge et la consommation (à partir de 10 à 20 cigarettes par jour).
D'après des études longitudinales, la prise moyenne de poids après l'arrêt du tabac est de 2,8 kg chez les hommes et de 3,8 kg chez les femmes. Elle atteint plus de 13 kg chez 10% des hommes et 14% des femmes. Elle concerne essentiellement la masse grasse (60% chez les hommes, 72 à 96% chez les femmes). Dans la majorité des cas, le poids corporel après l'arrêt du tabac rejoint celui des non-fumeurs de mêmes âge et sexe.
Par ailleurs certains travaux semblent montrer que la prise pondérale après le sevrage est directement liée au niveau de consommation tabagique et aux habitudes alimentaires antérieurs : les personnes qui fumaient beaucoup et suivaient une restriction alimentaire chronique prennent plus de poids au sevrage tabagique. Mais ces résultats demandent encore à être confirmés.
Le tabagisme est associé à une répartition androïde de la masse grasse caractérisée par un rapport circonférence de la taille/circonférence des hanches (T/H) élevé. Cette élévation du rapport T/H conduit à une augmentation de la morbidité et de la mortalité cardio-vasculaires. Cependant, à l'arrêt du tabac, la prise de poids ne s'accompagne pas d'une diminution du rapport T/H; celui-ci augmente même un peu, mais non significativement.
En cas de reprise du tabac, le poids diminue essentiellement aux dépens de la masse maigre (74% de la perte de poids chez les femmes) et le rapport T/H a tendance à augmenter.
Plusieurs mécanismes physiopathologiques ont été proposés pour expliquer la diminution du poids chez les fumeurs et la prise de poids après l'arrêt du tabac :
Selon des études transversales récentes, les fumeurs ont un apport énergétique similaire, voire plus élevé que les non-fumeurs, pour un poids inférieur. De plus la qualité des aliments consommés diffère entre les deux groupes.
L’alimentation du fumeur, comparée à celle du non-fumeur
Le fumeur consomme
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… plus de :
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et moins de :
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Viandes en sauce, charcuterie |
Céréales, produits céréaliers |
Cette différence s'accentue encore à l'arrêt du tabac, témoignant plus de facteurs personnels que d'une relation de causalité : ainsi les fumeurs ou ex- fumeurs consomment plus de sucre, de produits glucido-lipidiques, d'alcool, de café et de sel. Le sevrage tabagique prive en outre le fumeur d'une défense comportementale de type oral, qu'il tendra à remplacer par des prises alimentaires compulsives, souvent glucido-lipidiques, même s'il n'a pas "faim" au sens strict du terme.
Le poids plus faible des fumeurs pourrait donc s'expliquer par une augmentation des dépenses énergétiques. Bien que peu de résultats soient disponibles, les différences d'activité physique entre fumeurs et non-fumeurs semblent minimes. Par conséquent, l'effet du tabac sur le métabolisme énergétique pourrait être le déterminant principal de la relation poids-tabac.
Une étude à court terme menée chez de jeunes femmes a montré qu'une consommation de 24 cigarettes par jour augmente en moyenne de 10% les dépenses énergétiques des sujets (environ 200 kcal/j). Cet effet pourrait être partiellement attribué au système béta-adrénergique. Lors d'expériences ponctuelles, la nicotine seule, en inhalation, peut provoquer une augmentation de 6 à 10 % du métabolisme de repos. Celle-ci est multipliée par deux quand la nicotine est administrée pendant une activité physique. La consommation de tabac en phase post-prandiale (courante chez les fumeurs) pourrait augmenter la thermogenèse induite par l'alimentation et diminuer le stockage des graisses après le repas. Par ailleurs les taux de lipoprotéine lipase, enzyme clef du processus de stockage des triglycérides dans les adipocytes, sont plus élevés dans le tissu adipeux des fumeurs de mêmes sexe et âge que des non-fumeurs. Son niveau d'activité dans le tissu adipeux des fumeurs semble être corrélé négativement avec la prise de poids qui intervient dans les trois premières semaines du sevrage.
Les cliniciens doivent ainsi être conscients que la prise de poids à l’arrêt du tabac représente une importante cause d’échec dans les tentatives de sevrage.
Au moment où les dépenses énergétiques se réduisent du fait du sevrage, l’ex-fumeur devrait pour maîtriser son poids, manger moins. Mais bien souvent, confronté au stress, il va manger plus.
Le fumeur candidat au sevrage doit être averti de cette éventualité tout en la relativisant : la prise de poids n’est pas systématique ; elle est en général inférieure à cette redoutée et de toute façon insuffisante pour annihiler les effets bénéfiques du sevrage.
Il semble que les sujets les plus exposés à la prise de poids soient les femmes, les sujets noirs, les sujets ayant un taux de lipoprotéine-lipase faible, peut-être les grands consommateurs de tabac, mais aussi les sujets ayant une restriction alimentaire chronique : en effet le sevrage induit chez ceux-ci, du fait même de la restriction alimentaire préexistante, des modifications particulièrement importantes des habitudes alimentaires.
La stratégie pour éviter ou minimiser la prise de poids consiste en un dépistage des sujets à risque, une adaptation des habitudes alimentaires, une augmentation de l'activité physique et un support psychologique.
L’intervention du nutritionniste est toujours utile et indispensable chez les sujets ayant des troubles du comportement alimentaire et des oscillations pondérales
Les conseils nutritionnels doivent être simples et compréhensibles. Puisque le syndrome de sevrage (modification de l'humeur) s'associe souvent à des troubles du comportement alimentaire (compulsions glucidolipidiques) l'ex-fumeur doit être informé de la possibilité de faire de petites collations lui apportant peu de calories, peu de graisses mais surtout des sucres complexes (fruits et légumes)
Augmenter l’activité physique
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Favoriser l’équilibre alimentaire
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Parallèlement, il a été montré que l'utilisation à long terme de chewing-gums de nicotine est associée aux prises pondérales les plus faibles. La supplémentation en nicotine décale probablement plutôt qu'elle ne prévient l'augmentation de poids, mais peut être utile. L’utilisation de la dexfenfluramine chez les ex-fumeurs permet une diminution des compulsions glucido-lipidiques, une diminution de l'anxiété et prévient la prise de poids sur trois mois. Des études prolongées devraient confirmer cette notion.
Enfin, il est essentiel d'encourager l'augmentation de l'activité physique pour contrebalancer la diminution des dépenses énergétiques à l'arrêt du tabac et soulager les troubles de l'humeur et le stress rencontrés au début du sevrage.
Aux cliniciens d'expliquer aux fumeurs, surtout aux adolescentes, que le tabac est une manière néfaste de contrôler son poids. Dans notre société où le racisme anti-gros et l'idéal minceur sont à leur apothéose, ils doivent favoriser le sevrage tabagique en aidant les ex-fumeurs à limiter leur prise de poids. Parallèlement, ils doivent lutter contre les mauvaises habitudes alimentaires des fumeurs qui semblent majorer les effets délétères du tabac.
publié en 2007