Le gras nous renvoie actuellement à quelque chose de nocif, de mauvais pour la santé et pour notre poids corporel. Le gras nous donnerait du cholestérol, favoriserait les maladies cardiovasculaires et l’obésité. Ce serait "l’ennemi public" de "toute politique de santé nutritionnelle".
Ça n’a pas été toujours le cas. Et dans ces assertions, il y a bien des idées fausses ou des approximations qui manquent de rigueur scientifique.
La langue française parle de gras et de gros. Il y a là une même étymologie et un même phonème : le son « gr ». « Gras » vient de « crassus », qui veut dire épais en latin ancien. Sans vouloir faire de la linguistique ni de la psychanalyse, il y a des mots et des expressions qui en découlent… qui en disent long : « crasseux », « graisse », « dégraisser », mais aussi « gros mots », grossièreté », « engrosser », « femme grosse ». En d’autres termes, ce qui est gros serait sale et manquerait de délicatesse, pour ne pas dire plus ; et la femme enceinte ou l’obèse en sortent salis. Mais voyons tout ceci de plus près.
On distingue le cholestérol, les triglycérides et les phospholipides (4).
Il y a de très nombreux types d’AG (4) :
1. selon leur longueur : à chaîne longue (13 à 26 atomes de carbone), moyenne (7 à 12) ou courte (< 6 atomes de carbone ; ce sont l’acide acéto-acétique, l’acide propionique et l’acide butyrique) ;
2. selon leur saturation : on distingue des acides gras (AG) saturés, mono-insaturés et poly-insaturés. L’insaturation se définit comme l’introduction dans la molécule d’une double liaison. Cette double liaison assure une certaine souplesse. Plus il y a de doubles liaisons, moins la molécule est rigide à basse température (point de fusion). Ainsi, le beurre, fait surtout d’AG saturés, est « dur » en sortant du réfrigérateur, tandis que la margarine de tournesol, faite plutôt d’AG poly-insaturés est plus molle. De même, les poissons d’eau froide ont besoin d’AG poly-insaturés.
3. selon la place des doubles liaisons : il y a les AG dont la première double liaison est située à 3 atomes de carbone de l’extrémité N terminale (les AG « n-3 » ou « oméga 3 ») et ceux pour lesquels elle est située à 6 atomes de carbone (les « n-6 »).
En France, l’alimentation apporte de 60 à 120 g de matières grasses (MG)/j. Ceci représente de 30 à 45 % des apports énergétiques totaux (4).
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En % |
En grammes |
Protides |
13-16 |
60 – 80 |
Lipides (MG) |
30 – 45 |
70 – 100 |
Glucides |
45 - 55 |
250 - 350 |
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En % |
En grammes |
Cholestérol |
0,4 – 1,0 |
0,4 – 1,0 |
Triglycérides |
85 à 90 |
50 à 100 |
Phospholipides |
10 - 15 |
8 à 12 |
On distingue enfin les MG ajoutées (beurre, margarine, huile, saindoux…) et de constitution, qui sont soit visibles (gras du jambon), soit cachées (MG de la bavette).
Nature : Les lipides alimentaires sont de nature animale ou végétale :
Un AG a un pôle hydrophobe et un hydrophile. Plus la chaîne est courte, plus le lipide est miscible dans l'eau, et "liquide" et, comme pour les AG insaturés, plus son point de fusion est bas (les triglycérides à chaîne moyenne forment une margarine très molle à 4°C.
En fait, il y a dans le beurre des AG mono- ou poly-insaturés et différents types (longueur de la chaîne) d’AG saturés, dont certains augmentent le cholestérol LDL et d’autres non.
Enfin, il est possible actuellement de modifier génétiquement les AG des matières grasses ajoutées ou de constitution : on le fait déjà pour le tournesol et peut-être bientôt pour le lait de la vache et le beurre ! On peut aussi, à coût élevé, « structurer » les triglycérides, leur faisant porter ainsi trois AG d’un type différent.
Ce sont les mêmes, car elles en sont issues : cholestérol, triglycérides et phospholipides.
On distingue les lipides de constitution (TG, phospholipides et cholestérol des membranes cellulaires), de réserve énergétique (TG du tissu adipeux et des muscles) et les lipides fonctionnels (acides biliaires, vitamines A, D, E et K, ainsi que stéroïdes sexuels et cortisol, tous dérivés du cholestérol).
Rôles : Les lipides ont de multiples rôles (3) :
Les AG essentiels, insaturés en n -6, sont les précurseurs des prostaglandines et des prostacyclines ; les AG insaturés en n -3 sont les précurseurs de la thromboxane A2.
Le cholestérol est le précurseur des hormones stéroïdes (cortisol, testostérone, estrogène, progestérone) dans les surrénales et les tissus sexuels ; ces synthèses nécessitent quelques mg/j. Le cholestérol est le point de départ de la synthèse de la vit 1-25 D3 dans la peau, le précurseur des sels biliaires (foie) : environ 900 à 1.000 mg/j de cholestérol.
Protecteurs : ils assurent une protection mécanique (ils permettent le glissement, le frottement doux et évitent ainsi les lésions au niveau de la peau et des muqueuses), une protection électrique (ils évitent les fuites d'influx nerveux) et thermique (ils sont le meilleur isolant thermique et évitent ainsi les déperditions de chaleur des animaux, notamment marins).
Les lipides alimentaires sont hydrophobes. Pour les transférer vers leur site d'utilisation, il faut les rendre plus hydrosolubles (3). Ce sont des protéines spécifiques, les apolipoprotéines, qui assurent cette fonction. Les stocks de lipides circulants sont infimes (cholestérol : 2,50 g/L ; TG : 1 g/L ; PL : 1,50 à 2 g/L). Les stocks lipidiques cellulaires sont situés dans le tissu adipeux et un peu dans le muscle. Ce sont les lipides dits de réserve (mobilisables). Ces stocks sont considérables, de 8 à 12 kg dans le tissu adipeux chez l’adulte normal.
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En % de l’organe |
En % du poids du corps |
En kg |
Tissu adipeux |
70 à 85 % |
15 – 25 % |
10 à 15 |
Muscle |
4 – 5 % |
1,5 % |
1 |
Viscères |
2 (intestin) à 9 (cervelle) % |
1,5 % |
1 |
Transport : Les lipides circulent dans des particules appelées lipoprotéines. On distingue les chylomicrons, les VLDL, les IDL, les LDL et les HDL (very low, intermediate, low et high density lipoproteins) et la Lp(a).
Dans les tissus, les TG peuvent être soit stockés, soit oxydés. Ils entrent dans la cellule sous forme d’AG et des TG sont synthétisés (lipogénèse). A l’inverse, les TG sont hydrolysés (lipolyse) et servent de matériau énergétique, localement (muscle) ou à distance (tissu adipeux). L'oxydation se déroule comme suit : liaison avec le CoA puis béta-oxydation qui fournit de l'acétyl CoA. Celui ci, dans le foie, peut être incorporé au cycle de Krebs, si la glycolyse a donné un oxalo-acétate, ou utilisé pour la synthèse d'AG.
Il ne fait aucun doute qu’il existe une relation entre teneur en MG de l’alimentation et le risque de surpoids ou d’obésité chez l’animal et chez l’homme. Dans des études longitudinales, une certaine relation de cause à effet a été prouvée : les personnes qui consomment le plus de MG alimentaires sont celles qui ont le plus de risque de développer un surpoids. « Les obèses mangent trop et trop gras » : tel est ce qu’on entend partout.
Il n’est pas du tout prouvé qu’il existe une relation entre cholestérol alimentaire et MCV. La quasi totalité des études portant sur des populations générales (non sélectionnées) ont été incapables de mettre en évidence une corrélation entre apport de cholestérol et infarctus du myocarde, insuffisance coronarienne en général, accident vasculaire cérébral ou mort subite (4,5).
De même, on a échoué à démontrer de façon claire une relation forte entre ces MCV et l’apport en AG saturés ou en lipides dans des populations non sélectionnées.
… Alors que cette relation est claire bien sûr en cas d’hypercholestérolémie athérogène.
Ceci s’explique simplement : chez des personnes au métabolisme lipidique normal, l’augmentation des apports de cholestérol ou d’AG saturés entraîne une augmentation du cholestérol HDL tout autant que du cholestérol LDL (3,4). Lorsque la « voie de retour » du cholestérol est normal, l’alimentation a peu (ou pas) d’influence donc sur le dépôt des lipides dans l’intima artérielle.
Chez l’enfant comme chez l’adulte, un nombre troublant d’études épidémiologiques n’ont pas réussi à mettre en évidence un lien statistique entre apport de MG d’une part et surpoids, ou degré de surpoids ou d’obésité, ou risque de surpoids ou d’obésité d’autre part. Ainsi, dans une étude portant sur 1487 patients en surpoids ou obèses, nous n’avions trouvé qu’un lien faible (P = 0,03) entre apport de lipides et indice de masse corporelle.
Les matières grasses (MG) jouent un rôle essentiel dans la capture des molécules odorantes et goûteuses : volontiers liposolubles, ces molécules sont en concentration considérablement plus élevées dans les lipides de constitution que dans les glucides ou les protéines. C’est pourquoi les aliments « délipidés » (allégés) ont moins de goût.
Ainsi que vu ci-dessus, certaines matières grasses apportent des acides gras essentiels. Il n’est donc pas souhaitable de supprimer toute matière grasse alimentaire.
Les matières grasses alimentaires et les lipides dont elles sont constituées sont les aliments et nutriments les plus lentement évacués de l’estomac. Par ordre de passage, les lipides présentés sous forme d’émulsion (le lait, les vinaigrettes) liquide sont évacués moins lentement que les lipides solides (saindoux) ou que les lipides de constitution (gras du jambon).
En d’autres termes, après un repas normal mixte, l’essentiel des lipides quittera l’estomac entre la 4ème et la 8ème heure. Ce sera donc le carburant de la fin d’après midi ou de la fin de nuit. Il est celui qui nous permet d’espacer nos repas sans ressentir la faim. En revanche, il n’est pas ressenti, puisqu’il ne quitte pas l’estomac rapidement, comme un élément de rassasiement immédiat. Mais ceci n’implique pas pour autant que l’organisme ne nous avertit pas lorsque le repas est très riche en lipides : les sensations sont alors plus gastriques (inconfort, plénitude désagréable, reflux) que métaboliques.
Les lipides sont indispensables à la santé de l’homme.
Ils sont un élément clé de la structure de nos membranes cellulaires et participent à la synthèse de substances irremplaçables comme les stéroïdes sexuels, les sels biliaires ou la vitamine D.
Ils sont un carburant économique et « léger » à porter, car énergétiquement denses.
Le lien entre la consommation quantitative de cholestérol ou de matières grasses alimentaires d’une part et les maladies cardiovasculaires dégénératives d’autre part n’est pas établi dans la population générale. Il n’y a donc toujours pas de preuve que tout le monde doit manger moins de lipides pour diminuer la fréquence de ces maladies.
Il existe une possibilité qu’un apport majoritaire de matières grasses faites avant tout d’acides gras mono- (un tiers de la ration lipidiques) et poly-insaturés (en n-6 comme en n-3 ; un tiers de la ration) diminue le risque de coronaropathie dans la population générale.
Il est acquis qu’une alimentation riche en ces acides gras et riche en fruits et légumes, comme une alimentation riche et glucides lents et réduite en lipides (1,2 g/kg/j) est efficace à prévenir partiellement le nouvel accident coronarien.
Il est clair qu’il existe un lien, chez des sujets prédisposés génétiquement ou du fait de leurs conditions de vie (sédentarité forte) entre lipides alimentaires et surpoids ou obésité. Il importe donc au médecin d’être attentif et de limiter l’apport de lipides et de matières grasses plutôt saturées aux personnes à risque. Un apport de l’ordre de 1,2 g/kg/j est alors indiqué. Ceci peut se faire sans interdit, en renforçant l’apport de glucides lents et de fruits.
Publié en 2006