Anorexie, boulimie, compulsions alimentaires : l'association peut vous aider à voir les choses Autrement

Anorexie mentale et boulimie
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Conduites de dépendance et troubles du comportement alimentaire


Pr Daniel RIGAUD, CHU Dijon

On appelle "conduites addictives" un ensemble de conduites de dépendance. Dans le langage courant, ceci s'appelle être "accro", "comme sous l'emprise d'une drogue". Les scientifiques se demandent actuellement si les troubles du comportement alimentaire ne s'inscrivent pas dans cette logique.

1. La dépendance s'inscrit dès notre plus jeune âge

Si les troubles du comportement alimentaire peuvent "s'organiser" et se figer dans des conduites de type addictif, c'est qu'il y a des bases physiologiques à ceci.

Nous sommes, en tant qu'humain, dépendant de la nourriture : il faut manger. Pire, dans notre plus jeune âge, nous sommes dépendants de celui ou celle qui nous nourrit : le nourrisson (le petit qui est nourrit) ne peut aller chercher tout seul sa nourriture. Il lui faut donc "convaincre" le nourrisseur de lui apporter (de lui "donner").

Et ce pendant fort longtemps : au moins 2 ans. C'est à dire plus de 2000 repas. C'est beaucoup. Ceci oppose l'homme à bien des animaux.  

2. Jeune, il faut "être nourri"

La nature a prévu qu'il serait plus simple de faire appel au plaisir, comme motivation : si quelque chose nous fait plaisir, ceci renforce l'envie que nous en avons et aussi l'envie que nous avons d'apprendre à le faire à notre tour.

Or le plaisir est "piloté" par des hormones (des substances chimiques qui partent comme des messagers apporter une information et donner un ordre). Dans le cas du plaisir, une de ces hormones ressemble à la morphine : on l'appelle béta endorphine ("endo" pour fabriquée au dedans). C'est parce que cette hormone existe et qu'elle agit sur sa cible (des cellules cérébrales sensibles à ce message) comme une clé dans une serrure (pour ouvrir la porte du plaisir), que la morphine et la cocaïne ont cet effet.

A l'opposé, toutes les excitations négatives (peur, angoisse, stress) font secréter des espèces d'hormones qui bloquent la faim : imaginer une gazelle poursuivie par un guépard qui ne penserait qu'à manger, alors qu'elle risque d'être mangée !

3. Le plaisir fait manger, la peur bloque la faim !

Il faut ainsi qu'il y ait plaisir pour que le nourrisson ait son repas : plaisir propre et plaisir de la mère. Sans plaisir, le nourrisson n'a pas la conviction d'appeler sa mère et de lui sourire. Sans plaisir, la mère ne peut transmettre l'apprentissage de l'acte alimentaire.

Le plaisir à manger est un plaisir partagé : nourrisson et nourrisseur !

4. Le plaisir à manger est un plaisir partagé

C'est dans ce contexte que s'organise la "satisfaction" de nos besoins alimentaires ! C'est cette interaction de 2 plaisirs qui rend possible "la satisfaction de nos besoins nutritionnels physiologiques" (caloriques, protéique, en calcium…).

Ce qui est à la fois prodigieux et fragile, c'est que la nature n'a pas prévu de programmer en détail l'ensemble de nos apports en fonction de nos besoins. Tout se passe comme si nous étions un patron de supermarché qui achèterait ses produits sans se soucier de ses stocks ! Il y a deux raisons à ceci :

  • Nos besoins sont innombrables : il y a plus de 40 nutriments indispensables, plus de 4000 aliments et plus de 40.000 façons possibles de les préparer. Il était donc plus simple d'être formé (programmé ?!) à apprendre que d'avoir à programmer chaque besoin.
     
  • D'autant que ces besoins peuvent changer. Ils peuvent changer par nécessité, par souci d'innovation, ou par commodité. Ils doivent donc être modifiables et notre comportement doit y répondre : on appelle ceci la plasticité de nos comportements alimentaires (la souplesse).

La nature a trouvé plus simple que chaque animal "satisfasse" ses besoins dans un registre de plaisir, de " récompense sensorielle immédiate" (c'est bon, le chocolat) et d'affectivité (j'ai envie que ma mère vienne, et me nourrisse) plutôt que de le programmer à chercher comment il va bien pouvoir se nourrir. C'est au demeurant le propre de tous les animaux omnivores.

En d'autres termes, la nature n'a pas prévu que nous ressentions un manque de graisse, de protéines, de calcium, de vitamines C ou B… Elle a prévu en revanche que nous apprenions à répondre à notre besoin nutritionnel par un apprentissage gouverné par le désir et le plaisir d'une part, et l'investissement affectif à celui qui nous nourrit d'autre part.

L'enfant, tout petit, sent le besoin d'être nourri. Ce besoin (physiologique) est une sensation : il a faim. La faim, initialement, n'est sans doute pas une sensation agréable !

Mais elle le devient, s'il n'y a pas de problème. En effet, ce besoin physiologique ressenti comme un manque va devenir agréable à force de savoir qu'il va être bientôt remplacer par du plaisir.

5. Manque... ou désir

C'est le fondement comportemental du désir : le bébé sent la faim " le tenailler " et sait que sa mère va le " combler " (la crise de boulimie s'inscrit dans l'inverse de cette logique).

Le bébé sait (il l'a appris par la répétition des sensations, de l'acte de manger et de ses conséquences sensorielles) que le manque va être remplacé bientôt : donc il peut attendre !

S'il y a problème, cet apprentissage ne se fait pas et le bébé ne sait plus attendre.

Un exemple ? La mère est dépressive. Son regard est terne, triste, sans joie. Elle vient, elle s'approche de bébé. Et non, elle ne lui sourit pas ! Comment le pourrait-elle ? Ce n'est pas la faute de bébé, mais comment le saurait-il ? Et comment bébé peut-il se dire que " c'est bon de manger " ? Alors peut-être un jour refusera-t-il cette alimentation là, à cause même de ce ressenti ! Ou au contraire cherchera-t-il dans une crise de boulimie ou de compulsion quelque chose qui ne s'y trouve pas : l'amour et le regard de l'autre aimé !

Mais j'ai une question : pourquoi alors les troubles du comportement alimentaire ne commencent-ils qu'à la puberté ou juste après ? On ne le sait pas bien.

Il y a néanmoins deux explications plausibles :

L'enfant jeune est "sous la dépendance" de sa mère (tiens, la dépendance !). L'adolescent au contraire est à l'âge où l'on quitte (où l'on fuit) cette dépendance (et pas seulement alimentaire). La jeune fille cherche son "propre" modèle. Mais comment peut-elle réellement le trouver, si elle ne l'a pas appris ? Et c'est bien de ceci dont la jeune fille ou la jeune femme anorexique ou boulimique parle lorsqu'elle dit au thérapeute : "Apprenez moi à manger, je ne sais pas". Le commun des mortels est agacé par cette question " stupide " (ils ont tort !). C'est en fait une vraie et "énorme" (vous avez dit "grosse" ?) question : mais c'est de l'apprentissage affectif et sensoriel dont elles parlent.

Peut-être faut-il aussi, pour entreprendre un nouveau cycle (celui de l'âge adulte par exemple), avoir pu clore le précédent (celui de l'enfance) ? Comment pouvoir aimer, désirer, accepter le manque, si l'on en a eu (ou cru en avoir) une image négative ou un doute ?

Tout est-il dit ?

Non : deux choses importantes. Ce ressenti n'est pas forcément le fait (et encore moins la faute) de la mère, ni plus celui de la fille. C'est un ensemble complexe de faits et d'événements qui n'ont pas permis l'apprentissage ou qui en ont modifié le sens ou le contenu.

Un exemple : tout s'est bien passé. La mère a mis juste ce qu'il faut d'amour et la fille a "toujours mangé normalement". Mais la fille a eu le sentiment d'être "toujours moins aimé que sa sœur". Où est l'alimentation là dedans ?

Nous ne le savons pas de façon certaine. Mais les animaux nous renseignent un peu : pour survivre, lorsque l'on est d'une portée de 6, il faut prendre la place (la tétine) le premier ; donc être aimé le premier, le plus. Est-ce qu'il reste en nous quelque chose comme ceci ? Ceci ne serait-il pas la base de la jalousie ? Et n'y a-t-il pas là un lien avec les troubles du comportement alimentaire. Certaines anorexiques font manger leur sœur. Pourquoi donc ? Est-il possible qu'elles n'aient le droit d'être nourrie (aimé !) qu'après leur sœur ? Et dans cet exemple, la mère n'y est pour rien, la sœur non plus et la malade encore moins !

Mais ce ressenti peut être, dans d'autres cas, le masque sous lequel la jeune fille " dit autre chose ", qui n'est plus alimentaire, mais qui est dans un registre mental voisin : par exemple l'amour d'un adulte pour un autre adulte.

Un autre exemple ? Tout s'est bien passé pour D. La mère a mis juste ce qu'il faut d'amour et la fille a "toujours mangé normalement". Mais D. a, au moment de la puberté, le sentiment d'être aimé de son père "d'un peu trop près" (que ce soit vrai ou non d'ailleurs). Or elle voit bien "qu'en mangeant, elle se transforme" (en femme). Car effectivement, elle prend des formes au moment de la puberté.

Jusqu'à présent, qui pouvait avoir à dire quoi que ce soit (à commencer par la jeune fille) contre l'adorable petit câlin sur les genoux de papa. Mais comment peut-elle, maintenant qu'elle a quinze ans, continuer à le faire ?

La peur s'installe : comment lutter contre le désir ? Comment échapper au plaisir ? Seul le manque peut le combler sans risque d'être jugée. Alors vient l'anorexie mentale, Lanor l'araignée exigeante, la seule qui permette de "sombrer" dans ce désir du manque (!).

Mais non, l'anorexie mentale, la boulimie, les compulsions alimentaires ne sont pas la solution.

La solution, il faut la chercher au fond de soi, à la croisée des chemins, là où se rencontrent la sarabande des désirs, des plaisirs et des manques. Là où l'on peut les faire évoluer, briller à nouveau et vous emporter vers une vie retrouvée, à l'abri du besoin-sans-nom, au delà du besoin-sans-fond : plaisir partagé et maîtrisé, parce qu'à portée, tant il est petit mais renouvelé !

Le plaisir infini n'existe que par la répétition du désir fini,
fini et si petit qu'on y tient tout entier dedans !

 

Publié en 2007