Anorexie, boulimie, compulsions alimentaires : l'association peut vous aider à voir les choses Autrement

Anorexie mentale et boulimie
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Peut-on déceler tôt une anorexie, une boulimie ou des compulsions alimentaires


Pr Daniel RIGAUD, CHU Le Bocage, Dijon

1. Anorexie mentale, boulimie, compulsions alimentaires

Les troubles du comportement alimentaire (TCA) que sont l’anorexie mentale, la boulimie et les compulsions alimentaires sévères (quotidiennes) ont tendance, assez souvent, à évoluer vers une forme grave et chronique.

Classées parfois parmi les conduites addictives, les troubles alimentaires piègent les malades qui ont ensuite beaucoup de mal à s’en sortir. Il est donc logique de chercher à savoir si un diagnostic précoce permet d’en limiter l’évolution, grâce à une intervention précoce.

Mais avons-nous des preuves que déceler tôt un TCA permet effectivement d’en améliorer le pronostic, soit en en raccourcissant la durée d’évolution, soit en en limitant la gravité ?

Il faut tout d’abord admettre qu’il n’existe pas d’étude contrôlée donnant la réponse à cette question. En revanche, un certain nombre d’études rétrospectives ou prospectives ont été publiées sur ce thème : beaucoup d’entre elles suggèrent qu’il existe un lien statistique entre la durée de la maladie avant la première hospitalisation en service spécialisé et la longueur d’évolution globale de l’anorexie mentale avant la guérison ; ces études montrent que plus longue est la durée d’anorexie mentale avant la 1ère hospitalisation et plus tard et moins fréquente est la guérison. Il en est de même dans la boulimie. En revanche, on ignore si c’est le cas dans la compulsion alimentaire grave (« binge eating » des anglo-saxons).

Il y a une certaine logique à ces résultats. Si l’on admet que les TCA sont des conduites addictives, on peut admettre qu’il est mieux d’intervenir tôt, avant que la maladie ne soit figée et n’ai créé dans le psychisme des malades une idée forte de dépendance.

2. Mais comment en pratique déceler tôt un trouble alimentaire ?

Une première réponse est bien sûr liée au sexe. Les troubles du comportement alimentaire sont quinze à dix sept fois plus fréquents chez les sujets de sexe féminin que chez ceux de sexe masculin :

  • dans l’anorexie mentale, on note 95 % de femmes,
  • dans la boulimie, 90 à 95 %
  • dans la compulsions alimentaires sévère 60 à 75 % de femmes.

Ceci est surtout vrai à l’adolescence. Ceci concerne donc l’anorexie mentale et la boulimie. A un moindre degré, ceci concerne la compulsion (65-75 % des consultants).

Une 2ème réponse est liée à l’âge : dans 90 % des cas, l’anorexie mentale et la boulimie se développent lors de l’adolescence. Les filles de 14 à 18 ans sont dix fois plus à risque que les filles de 8 à 14 ans. On ne connaît que très peu de garçons anorexiques de moins de 12 ans. Rares sont les anorexies qui démarrent au-delà de 25 ans : moins de 5 % des cas. Ceci concerne surtout l’anorexie mentale et, mais à moindre titre, la boulimie. En effet, celle-ci commence environ, statistiquement, 4 à 5 ans plus tard que la boulimie.

Une 3ème réponse est de nature génétique : nous savons de façon certaine (probabilité statistique de 92 %) que l’anorexie mentale et la boulimie relèvent en partie d’une prédisposition génétique. Les études de jumeaux (vrais contre faux jumeaux, c’est à dire homozygotes contre hétérozygotes), les études de famille, les études de criblages de gènes, à l’aveugle ou ciblés nous enseignent qu’il y a 3 fois plus de risque de développer une anorexie et une boulimie, s’il existe dans la famille un cas soit d’anorexie mentale, soit de boulimie. Cette prédisposition génétique concerne donc l’anorexie mentale et la boulimie, et au même degré.

Un 4ème facteur de risque est à trouver dans les antécédents d’activité physique intense. Des études scientifiques, dont certaines prospectives, nous apprennent que le risque de développer un TCA, et pas seulement dans ces formes graves que sont l’anorexie et la boulimie, est de deux à trois fois plus grand si l’adolescent  était, auparavant, un enfant ou un pré-adolescent qui s’était beaucoup ou énormément investi dans le sport.

Ainsi, dans une étude de Davis et al, la relation à l’activité physique et la fréquence d’une activité physique soutenue chez les adolescents et leurs parents étaient plus marquées chez ceux qui développeraient une anorexie mentale, par opposition à un groupe d’adolescents contrôles. Parmi leurs patients, 78 % avaient eu ou avaient encore une hyperactivité physique à un moment ou à un autre de la maladie et surtout 60 % d’entre eux avaient exercé une activité sportive à un haut niveau (semi-professionnel, compétition) avant le trouble du comportement alimentaire. Ces malades répondaient même que leur activité sportive s’était accrue au début de leur restriction alimentaire et de leur perte de poids.

Davis et al ont mené plusieurs études sur le thème en 10 ans et ont toujours trouvé les mêmes résultats. Ceci est confirmé par d’autres études, rares il est vrai. Les activités sportives en question sont le plus souvent la danse, la gymnastique sous toutes ses formes (au sol ou aux barres), la course d’endurance, la natation. Ce sont, il faut le noter, des sports pour lesquels un poids bas et un contrôle strict de l’alimentation pour ne pas grossir sont importants pour les entraîneurs. Contrairement à une idée répondue, ceci concerne aussi bien et aussi fréquemment les malades qui développeront une anorexie mentale qu’une boulimie.

Un 5ème facteur est d’ordre médiatique. Des études prospectives ont montré que la lecture assidue, de magazines avant ou au début de la puberté, chez la fille comme chez le garçon, augmentait par deux à trois le risque de développer des vomissements provoqués, un abus de laxatif, un jeûne de plusieurs jours voire ou anorexie ou une boulimie dans les trois à cinq ans qui suivaient.
Ainsi, l’étude très récente de Van den Berg est plus que convaincante : ils ont étudié 2.516 garçons et filles âgés de 10 à 17 ans. Après un suivi de 5 ans, ils ont noté une relation très nette entre la fréquence de lecture de la presse « mineur » (magazines de mode et « people ») et le besoin de maigrir, le suivi de régime pour maigrir, la pratique, pour maigrir, de comportements nocifs pour la santé : vomissements, abus de laxatifs, jeûne prolongé, tabac. Celles qui lisaient ces articles avaient 3 fois plus souvent de fréquents vomissements provoqués ou d’abus de laxatifs pour maigrir et deux fois plus de jeûnes, de sauts de repas fréquents que les filles qui ne lisaient pas ces articles de presse.

Un 6ème facteur est en rapport avec l’anxiété. On trouve en effet, 3 à 4 fois plus d’adolescents anxieux, souffrant d’anxiété généralisée, de troubles obsessionnels et compulsifs (avant l’anorexie ou la boulimie) chez des adolescents ou des adultes jeunes qui développeront un trouble du comportement alimentaire (TCA). Ceci concerne l’anorexie mentale et la boulimie, mais aussi les compulsions alimentaires sévères. C’est dans ce contexte d’anxiété que souvent le TCA se développe. Il contribue sans doute à apporter une « solution » anxiolytique au patient : lorsque s’installe l’anorexie mentale, la restriction alimentaire et la perte de poids, gratifiante, lui font oublier son anxiété.

Un 7ème facteur est dans d’autres caractéristiques mentales : manque de confiance, besoin fort de perfectionnisme, besoin excessif de liens affectifs (en particulier avec les parents).

Un 8ème facteur de risque enfin est dans le risque de boulimie, face à une anorexie mentale de moins de 3 ans. On sait en effet que le risque de développer une boulimie est d’environ 25 à 40 %, selon les études, dans les 3 1ères années d’anorexie et que ce risque diminue beaucoup ensuite. Ainsi, chez une malade anorexique qui reprend vite du poids, des crises de boulimie qu’elle n’avoue pas sont fréquentes (les ¾ des malades qui prennent plus de 2 kg par mois, hors hôpital).

Une 9ème piste se trouve, chez un malade obèse, dans le suivi trop longtemps de régimes hypocaloriques trop drastiques, surtout sans perte de poids, voire avec une prise de poids. Dans ces cas, il y a 70-80 chances sur cent que des crises compulsives alimentaires se soient installées, sans que le (la) malade ne vous le dise spontanément.

3. Conclusion

Il est en fait assez facile de déceler tôt un trouble du comportement alimentaire (TCA).

Chez cette jeune fille ou jeune femme, l’amaigrissement ne répond pas à une stratégie de séduction, mais à une difficulté d’expression.

C’est une fille plutôt introvertie, plutôt timide et anxieuse, qui attache assez souvent une grande importance à l’image qu’on a d’elle et à sa silhouette (magazine de mode, activité sportive). Elle se voit grosse, alors qu’elle est de poids normal ou déjà mince. Elle est un peu trop attentive à tout ce qui concerne l’alimentation, le « diététiquement correct ».

Le problème en fait n’est pas tant dans le diagnostic précoce de l’anorexie mentale que dans celui de la boulimie et des compulsions alimentaires sévères.

Il faut être attentif à des détails :

  • troubles des règles,
  • poids qui fait le « yo-yo »,
  • obsessions alimentaires,
  • bouffissure du visage ou légers oedèmes des membres inférieurs sont autant de signes de compulsions alimentaires,
  • Des parotides gonflées,
  • le besoin de bouger tout le temps (se lever, ne pas rester assise),
  • une pâleur.

Enfin, il faut être attentif, en tant que thérapeute, aux petits signes cliniques : marques sur la naissance de la 1ère phalange des 2ème et 3ème doigts, fissure labiale, évolution « illogique » du poids (prise de poids sous régime « basses-calories », perte de poids chez une fille qui « mange normalement », prise rapide de poids chez une anorexique.

Publié en 2008