Anorexie, boulimie, compulsions alimentaires : l'association peut vous aider à voir les choses Autrement

Anorexie mentale et boulimie
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Guérir, c'est oublier !

Pr D. RIGAUD - Président d'Autrement

Bien des gens saluent le souvenir comme étant une part importante de la vie. Il faudrait absolument, partout et en tout lieu, se souvenir. Le souvenir, en effet, serait essentiel à la construction de l’esprit, à l’éducation, au bonheur et à l’anticipation du futur.

On plaint bien souvent les gens qui perdent la mémoire. Pire, on les rejette parfois, on en a peur, parce qu’on se dit qu’on n’aimerait pas que l’amnésie nous frappe un jour. Perdre la mémoire serait donc forcément malsain. Il faudrait se souvenir, garder la mémoire des choses, ne pas oublier, garder une trace. Le monde moderne, qui surfe obligatoirement sur nos phantasmes, nous a même vraiment ouvert des possibilités de « mémoire » hallucinantes. Songez qu’on peut stocker dans son ordinateur plusieurs centaines de milliers de photos et plusieurs centaines de films ! Songez aussi qu’on peut prendre avec son smartphone des photos de tout, et surtout de soi et de ses proches, qu’on peut ensuite mettre sur son « profil Facebook » ou autre logiciel de réseau social sur Internet. Pour qu’ON se souvienne.

Se souvenir serait aussi essentiel à la construction sociale, à l’équilibre des individus et à leur besoin de reconnaissance. Il en est ainsi par exemple d’une pensée commune à tous face à de graves préjudices, à des horreurs commises par une personne ou un groupe. Bien des gens pensent, à juste titre, qu’il faudra se souvenir longtemps des crimes de guerre nazis pendant la deuxième guerre mondiale, des massacres perpétrés au Cambodge, des arrestations arbitraires sous Staline ou Mao ZéDong (Mao Tsé Toung), de la fusillade du lycée à Columbine, près de Littleton dans l’état du Colorado (USA)... Il serait (et je suis d’accord) scandaleux d’oublier ces crimes qui vont à l’encontre de notre humanité. Il y aurait (et j’en conviens volontiers) un « devoir de mémoire » vis-à-vis des victimes. Se souvenir serait utile pour éviter que ça se reproduise.
Il va de soi que nul ne peut dire que tout ceci est faux. Pour autant, il est utile de réfléchir à une autre version, qui se juxtapose à celle-ci : l’oubli est utile, très utile. Il est aussi indispensable d’oublier que de se souvenir. Il est parfois ô combien salutaire d’oublier !

Il faut ici rappeler que le cerveau fait œuvre d’oubli des milliards de fois tous les jours. Il est probable en effet que le cerveau stocke chaque minute des milliers d’informations sensorielles, somatiques sensitives et fonctionnelles (métaboliques par exemple) dans un lieu (ou des lieux ?) qui serait une « mémoire vive » (si on se risque à comparer cette fonction à celle d’un ordinateur !). Le cerveau stocke ces informations dans ses mémoires, puis les oublie. Pour une raison simple : c’est qu’il ne peut d’aucune façon s’encombrer de toutes ces informations. Son travail est de trier, d’analyser, d’intégrer et de faire la somme des informations qu’il reçoit.

A titre d’exemple, le cerveau n’a cure de garder en mémoire les aliments que l’on a mangés les heures et jours précédents (nous disons « au fond, je ne me rappelle plus ce que j’ai mangé hier »). Il les oublie. Pour autant, il n’oublie pas l’intégration de l’information : il a « compté » les apports énergétiques d’hier, les apports de protéines et d’eau, il a analysé ses stocks disponibles et a « conclu » (il dit : « c’est suffisant », ou « c’était trop juste » ou au contraire « trop important »). Il a fait acte d’intégration, au sens mathématique du terme.

Les scientifiques pensent actuellement que le cerveau n’a pas assez de place pour tout stocker. Il résume, trie et classe. Lorsque nous nous promenons dans un lieu qui nous plait, nous regardons attentivement tout ce qu’il y a, notre œil voit et notre cerveau analyse et stocke… puis il oublie 90 % (au moins) de l’information stockée dans la mémoire vive sous l’appellation « promenade x, jour z » (le résultat est ce qui reste dans la « mémoire immédiate »). Un premier tri a été fait. Puis le cerveau va décider, souvent sans consulter notre intelligence, notre volonté ou notre désir (sans nous demander notre avis !), ce qu’il va stocker dans la « mémoire de son disque dur » (mémoire à long terme). Nous pourrons alors nous souvenir de ces éléments des dizaines d’années (la madeleine de Proust).

Oublier est « normal ». On oublie chaque jour. Heureusement, car notre cerveau serait, sinon, totalement encombré de tout un matériel totalement inutile et même nuisible. Imaginez une bibliothèque ou un grenier où vous stockeriez absolument tout ce que vous avez reçu, ramassé, eu en cadeau depuis 20 ans, tous les papiers, tous les quotidiens, tous les messages, toutes les publicités qu’on vous a mis dans votre boite aux lettres, tous les cailloux, toutes les fleurs ou tous les jouets même. Comment voulez-vous retrouver quelque chose que vous chercheriez, dans ces conditions ?

Oublier est sain, car il permet de se débarrasser de ce qui ne sert plus, pour pouvoir garder ce qui était utile ou ce qui l’est devenu.

Oublier permet de revisiter le passé. Notre cerveau va régulièrement visiter nos mémoires, il y analyse les éléments stockés, les classe, les épure (les résume) et les ré-écrit. Il s’agit d’un élément fondamental de la bonne santé mentale.

Oublier permet d’avancer. Prenons un exemple : si vous skiez sur deux skis depuis dix ans, il va vous falloir « dé-apprendre » le ski à deux planches, lorsque vous voudrez faire du monoski ou du skate-board.

Oublier permet la cicatrisation. La vraie cicatrice (sur la peau, comme dans le cerveau) est une cicatrice qui se voit (éventuellement), mais à laquelle n’est plus associée la douleur. Si une cicatrice fait mal, c’est que le cerveau n’a pas oublié la lésion qui a fait que l’organisme a, pour la faire disparaître, déclenché le processus de cicatrisation. En d’autres termes, la cicatrice est donc visible (on se rappelle un évènement traumatique), mais la douleur n’y est plus, ou y est moins, associée (la souffrance, le mal-être, l’angoisse ont diminué ou disparu). C’est ce processus mental auquel il faut arriver. Il faut réussir à « oublier » les affects négatifs associés à un traumatisme, pour les atténuer et y mettre, en lieu et place, des affects positifs.

Que faire pour oublier ?
Pour oublier, il faut se débarrasser du fardeau, et, parfois, l’autre est une « bonne solution pour porter ce fardeau ». C’est bien à ceci que sert un ami intime à qui on dit « tout », un journaliste, un psychothérapeute ou un juge en assise. Mais le but ultime n’est pas de se souvenir, il est d’oublier.

Quand je dis « oublier » je ne dis pas « oublier tout le temps, en toute circonstance ». Ce n’est tout simplement pas possible. Comment peut-on oublier un viol, oublier qu’on a souffert dix ans d’anorexie mentale, de boulimie ou de compulsions alimentaires ? Non, je dis seulement qu’on doit oublier un peu chaque jour, un peu plus aussi chaque jour pour aller mieux, c'est-à-dire aller vers le beau, vers la lumière, vers le bleu.

Se souvenir des belles choses. Pour oublier, il faut….. se souvenir des belles choses. Comment oublier la mort d’un être cher, sinon en sollicitant son cerveau pour qu’il retrouve les bons moments passés avec cette personne ? Ce n’est pas oublier LE mort qu’oublier LA mort ! Il EST VIVANT, il est en nous, il est ici. Il faut pouvoir oublier l’absence, pour vivre au présent la beauté de la personne morte.

Remplir son présent et son futur permet de gommer le passé. Il faut mettre en place de nouveaux comportements pour oublier les anciens. Chacun d’entre nous a du oublier qu’il savait manger au biberon ou au sein. Chacun d’entre nous a du oublier comment on apprenait à l’école, ce qu’il fallait faire pour avoir des bonnes notes, car ce n’est pas comme ça que les gens fonctionnent dans la vie adulte. Ceci ne veut pas dire que c’était inutile, voire stupide. Non, il faut le voir plutôt comme quelque chose qui n’a plus cours.

Chercher le ressenti. Son propre ressenti (pas celui des autres) : ce que mes narines me disent, ce qui me plait à l’œil, ce que ma peau adore, ce que mon estomac demande, ce que mes émotions me racontent.

Repeindre la mémoire. Notre mémoire « garde le souvenir des choses ». En fait, nos mémoires (toutes les mémoires) sont des animaux vivants qui n’arrêtent jamais de se remodeler, de changer, de grandir. Il faut se rappeler que la mémoire se construit en permanence. On revoit le passé, on le repeint, on en change les couleurs, les formes, pour qu’il soit visitable. Ceci implique un travail d’oubli. Si l’on souffre encore de son passé traumatique, il faut « travailler avec ses mémoires » pour revoir la scène, la déconstruire et l’habiller autrement.

Publié en 2013