Anorexie, boulimie, compulsions alimentaires : l'association peut vous aider à voir les choses Autrement

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Manger aujourd'hui


1. Introduction

"Manger m’angoisse. Et l’angoisse me fait manger". Manger aujourd’hui s’inscrit dans ce paradoxe. Ceci n’a pas toujours été le cas. L’alimentation a, depuis toujours,  trois fonctions :

  • Une fonction métabolique : croître puis se renouveler
  • Une fonction hédonique : trouver du plaisir à peu de frais
  • Une fonction sociale : créer des liens et les renforcer.
    Aucune ne peut être exclue. Bien des gens pensent que « manger, c’est naturel » ! En fait, rien n’est moins évident. Avoir faim est naturel, mais la manière de combler cette faim est apprise.

2. Manger naturel ?

Manger n’est plus un acte si naturel. Quoi de plus normal, pensez-vous, que de manger. De tout temps, l’homme a mangé. Son objectif ? Manger « à sa faim » ; trouver chaque jour de quoi se nourrir et nourrir les siens. Pour cet objectif, il a travaillé dur. Pendant longtemps, cette tâche était quotidienne et envahissante : techniques de chasse ou de pêche, cultures agraires, cueillettes, élevage, stockage. L’occupation première des hommes fut pendant des dizaines de milliers d’années de chercher la nourriture de la tribu et de la défendre. C’est sans doute autour de l’alimentation que s’est construite l’idée de territoire, de possession, et donc de guerre et de nuisance de certains animaux !

Manger pour vivre

L’homme pensait, jusqu’au siècle dernier, à « manger pour vivre », « manger pour grandir », « manger pour être fort et en bonne santé ». Les problèmes s’appelaient famine et disette, on craignait les mauvaises récoltes, l’hiver (la soudure), la guerre, les rats... Il fallait défendre sa nourriture, donc nos aliments. Mais actuellement, il n’y a plus rien à défendre dans l’acte alimentaire : manger est le lot de tous, du haut au bas de l’échelle sociale. C’est de ne pas manger qui fait la différence, c’est « manger santé » qui donne le pouvoir.

3. Manger est un acte social

Manger était un acte de vie, et nombre de cultures ont inscrit l’alimentation, ses règles et le comportement alimentaire dans les grands livres qui régirent la loi des hommes et de Dieu (ou des dieux).

Manger était un acte de dominance aussi, où ceux qui étaient riches mangeaient à leur faim et où les pauvres travaillaient pour les riches, afin de survivre. Ce n’est plus le cas. Il faut à l’homme du XXIème siècle « manger santé » et « manger moins ». Les progrès majeurs de la science et de l’information nous ont amenés à une autre perception de notre alimentation. Une perception rationnelle et « médicalisée ».  Il faut « savoir manger », c’est à dire s’informer sur les bienfaits des aliments, les sélectionner, les associer non plus en fonction d’un besoin physiologique, celui de couvrir ses dépenses caloriques immédiates, mais en fonction d’un avenir impalpable (celui d’assurer sa santé physique, son développement intellectuel, son vieillissement optimal).

Le problème grossit et la population aussi

La population grossit. Et l’on sait pourquoi. A cause de l’offre alimentaire. Faute d’activité physique aussi, et enfin du fait du stress qui nous entoure. Le poids monte et l’angoisse aussi : et si ça ne s’arrêtait jamais ? Et si c’était de ma faute. Avec l’angoisse et la culpabilité viennent les troubles du comportement alimentaire. La fréquence de l’obésité augmente : dix pour cent de la population française en est atteinte à ce jour. Dans le même temps, augmentent les troubles du comportement alimentaire : anorexie mentale, boulimie, compulsions alimentaires. Et on nous en parle, on nous en reparle…

4. Manger, c'est compliqué

Manger devient bien trop compliqué.

C’était proche de nos sensations (j’ai faim ; j’aime les frites). Ça s’en éloigne (je dois « manger » du calcium, c’est bon pour l’os ; je dois éviter les graisses, pour prévenir les maladies cardiaques et l’infarctus du myocarde !).

C’était plutôt un peu en dessous des besoins caloriques de la plupart des hommes de nos contrées. C’est, en 2002, à profusion et bien au dessus de nos dépenses physiques.

Il y avait un prix à payer, ce n’était pas à portée. Maintenant, manger est tellement facile et bon marché que ça fait peur. La liberté a un prix, ne vous l’avait-on pas dit !

Notre Société : un coupable idéal ?

Dans nos sociétés, trois types de faits participent à cette grande confusion et ipso facto à la genèse des troubles du comportement alimentaire :

  • L’industrie agro-alimentaire a pris le contrôle d’une bonne partie du marché alimentaire ;
  • Personne ne supporte plus d’être « soumis » au risque alimentaire (ni à aucun autre) ;
  • Le développement extraordinaire des systèmes de communication entraîne une surinformation sur les risques, notamment alimentaires 

5. Société, je te hais !

Surinformés, nous avons peur de tout, au nom d’un risque alimentaire « zéro » irréaliste. Nous avons peur de grossir, du fait même de nos « appétits » et de notre consommation effrénée. On nous dit qu’il est dangereux de trop manger, sans pouvoir nous dire ce qui est « trop pour moi ». Mais, simultanément, nous sommes la « cible » de mille messages publicitaires sur les aliments. On nous vente, aux heures de grande écoute, les qualités de certains produits alimentaires à déguster vite fait. Jolis, bien empaquetés, délicieux, ils se glissent dans un cartable, dans une poche ou un sac à main. Pire, on nous dit que telle friandise contient 21 % des apports recommandés en magnésium ou en calcium. Mais est-ce bien le but d’une friandise d’apporter ces éléments ? N’est-ce pas là pervertir le sens du plaisir et mélanger tout au profit de quelques uns !

Notre Société est devenue folle de son alimentation : tant de publicités pour nous inciter à la gourmandise et tant d’articles pour nous dire combien c’est dangereux de même manger : vache folle et cholestérol, dioxine et graisses assassines, suppléments vitaminés et obésité. On nous dit qu’il est dangereux de manger des aliments gras et on nous parle de la richesse en magnésium du chocolat.

Trente millions de Français se précipitent sur les journaux qui parlent du risque lié à la fièvre aphteuse ou de l’encéphalopathie spongiforme bovine (la maladie de la vache folle). Alors, les gouvernements se sentent obligés d’ordonner d’abattre des dizaines de milliers de vaches. Pour cinq cas de maladie de la vache folle chez l’homme en cinq ans et aucun cas de fièvre aphteuse en 20 ans ! On se demande qui est fou, de la vache ou de nous. Mais qui donc se préoccupe des milliards d’euros que ceci nous coûte ! Certains journaux titrent « on nous empoisonne », alors que l’alimentation n’a jamais, de toute l’histoire de l’humanité, été aussi saine et aussi sûre. Rien d’étonnant à ce que certaines personnes, notamment à l’adolescence, âge où « douter de tout » est naturel, rejettent cette « alimentation qui nous tue ».

Maîtrise ton corps

gym_1.jpg Il y a aussi cet idéal minceur qu’on nous assène, où « sculpture » du corps rimerait avec maîtrise de soi dans le moule délirant de femmes filiformes improbables construites par et pour la mode au nom d’un idéal dérisoire : le paraître. Un million de Français attaquent chaque année un régime pour perdre 3 à 6 kilos. Ce sont surtout des femmes… victimes de la mode.

6. Les veuves noires

Sans crainte, ces femmes, jeunes pour la plupart, vont céder au mirage du petit régime. Et le piège se referme : la frustration, ou au contraire la valorisation sociale et la satisfaction d’avoir perdu ces quelques kilos, vont éveiller en elles les troubles du comportement alimentaire : Boulimie ou Anorexie. Les deux Veuves Noires ! Fées modernes de nos mythes et de nos peurs, elles transformeront bientôt certaines de ces jeunes femmes en êtres meurtris. Autour d’elles, le désert se sera fait, la famille aura éclatée et le temps se sera évanoui. Le piège ne se rouvrira parfois que des années plus tard !

Les troubles du comportement alimentaire

Les troubles du comportement alimentaire sont caractérisés par un besoin de mincir. Ils commencent assez souvent par un régime hypocalorique. C’est la société qui veut ça. Mais à bien y regarder, c’est plus compliqué. Oui, notre société valorise la minceur, le régime, la maîtrise, la beauté, le muscle, la fermeté. Les femmes ont à cet égard plus de pression que les hommes. Cette femme, gourmande par nature (on le lui répète assez), doit « se surveiller ». Sa ligne est mise sous haute surveillance, ses fesses sous contrôle « ferme », ses cuisses sculptées « au couteau » par de complexes et effarants mouvements de gymnastique. Fascinant, si l’on y réfléchit un peu ! A-t-on tant peur que ça de la femme et de ses attributs ? Fascinante cette idée que nous pourrions sculpter notre corps et ses parties !

La sécurité, maître mot de notre sens des valeurs, a son revers de médaille. La nourriture avait un sens : « vivre ». Actuellement, elle est pointée du doigt comme quelque chose qui nous rendrait malade. Maintenant que le risque alimentaire est réduit à rien, la peur du risque augmente en proportion. Nous raisonnons peut-être sur une base fausse : il y aurait un risque zéro et nous pourrions l’atteindre.

La dépense comme seul justificatif du manger

La sédentarisation du citoyen est également au cœur du problème. Dans nos sociétés, nous « luttons » contre toute espèce de fatigue physique, et nous encaissons de grosses fatigues psychologiques (le stress). On a physiquement de moins en moins d’efforts à faire et de plus en plus de temps pour ne rien faire. On n’arrête pas de nous « faire économiser notre temps », comme si le temps s’économisait. Et on nous expose tout le temps au stress, au nom du rendement. Or le stress fait manger, et l’activité physique de tous les jours mincir !

On nous fait économiser notre activité physique au travail et ailleurs (voiture, tapis roulants, caddies, e-mail…), et on nous dit à quel point faire du sport est important pour…. perdre du poids. Mais rien n’est fait pour qu’on le fasse (horaire, lieu d’activité…).

La perversion du système éclate, parfois, à la tête de certains, qui se disent : « Si je veux manger à ma faim, il faut que je me dépense » (que nos expressions nous trahissent !). A tourner et retourner dans la tête de quelques jeunes filles ou jeunes femmes qui manquent de confiance en elles, la petite phrase devient tout autre : « Si je veux manger (tout court), il faut que je me dépense (tout le temps). ». Se dépenser, c’est maigrir. Mais pour gagner quoi ?

Et si nous étions malades de nos régimes hypocaloriques (pour maigrir) débiles ? Ce qui va suivre ne prétend pas à la vérité scientifique : il s’agit seulement d’une réflexion sur la base de nombreuses statistiques. Des millions de gens se soumettent à un régime en France chaque année. Surtout des femmes. On leur propose des centaines de prétendus moyens pour « perdre facilement 3 kg en 15 jours, ou ses fesses, ou son ventre ». Et, dans la même période, la fréquence du surpoids augmente ! Et celle des troubles du comportement alimentaire aussi ! Nous souhaitons tous penser que c’est parce que notre poids augmente que nous nous mettons au régime. Mais si par malheur c’était parce que nous nous mettons au régime, alors que notre poids ne le justifie pas (au sens physiologique), que nous grossissions ! Si c’était dans cette idée de perdre vite 3 kilos que notre poids dérape !

7. Manger à sa faim n'est plus un enjeu

La démocratisation de l’alimentation est un élément qu’on ne peut négliger. « Bien manger » n’est plus comme avant un enjeu. Autrefois en France, et encore maintenant dans des pays pauvres, être gros était synonyme d’être riche. Il fallait montrer sa richesse. Or les viandes, des mets abondants et nombreux, les matières grasses, les gâteaux étaient rares et chers. Mais ce n’est plus le cas : tout le monde peut acquérir, et à toute heure du jour ou de la nuit, à toute époque de l’année, tout ce qu’il faut pour se nourrir ou se faire plaisir. Au demeurant, ce sont surtout les pauvres qui sont les plus gros. Pour la plupart d’entre nous, manger est à la portée de tous. Donc les puissants cherchent d’autres dominances ! Est-ce à dire qu’il n’y aurait plus d’enjeu social de nature alimentaire ? Oh que si ! Mais l’enjeu a changé : se nourrir « riche », c’est à l’heure actuelle se nourrir « santé » : les produits biologiques, nutritionnellement corrects ou sains (les légumes verts, les produits allégés) sont aussi les plus chers. Les riches se distinguent par leur capacité de maîtrise alimentaire.

Manger autrement

Ceci dit, rien n’est plus stérile que d’accuser la société. Où il y a des voitures, il y a des risques d’accident. Où il y a à manger, il y a des mauvais mangeurs. Les voitures n’en sont pas responsables, les aliments non plus. Les médecins et les scientifiques ont également raison de nous mettre en garde contre les dangers, pour certaines personnes, d’apports excessifs en calories ou en tel nutriment. Face à une société qui se sédentarise, il faut bien chercher à limiter les apports caloriques. Donc il faut faire de l’éducation, apprendre à manger différemment qu’il y a trente ans, car l’activité physique a changé. Mais ce faisant, on donne à beaucoup de personnes l’idée de se mettre au régime. Et certains sombrent dans les troubles du comportement alimentaire.

Nous sommes dans une société qui pense que « pour avoir le droit de manger, il faut dépenser ». Et donc, obligatoirement une société qui craint que « manger, ça fasse grossir ». Mais, avec ces deux petites phrases, le sens est perdu : nous mangeons parce que nous dépensons des calories en fait ; nous mangeons pour donner à notre organisme tous les nutriments dont il a besoin pour fonctionner et se renouveler. En bref, nous mangeons parce que nous avons des dépenses. On ne construit pas son corps avec des calories, mais avec des aliments. Les aliments servent à monter les cloisons de nos cellules, les systèmes internes, à assurer les échanges et les transmissions entre cellules. On n’entretient pas son corps avec des calories. Les calories permettent de faire fonctionner l’ensemble, d’assurer la vie des organes qui travaillent à toute heure du jour et de la nuit. On entretient l’ensemble en ayant une alimentation variée, qui apporte tous les nutriments nécessaires à réparer ou remplacer ce qui a vieilli...

8. Conclusion

Nous sommes face à un vrai défi. C’est vrai que la population prend du poids. Mais elle ne prend pas forcément du poids parce qu’elle mange trop. Non, elle grossit parce qu’elle ne mange pas en fonction de ses besoins. Elle grossit, parce qu’elle est plus soumise au stress et que ceci la pousse à manger. Elle grossit, parce que manger a perdu son sens, tandis que l’offre augmentait et que l’activité physique diminuait. Elle grossit, parce que manger ne fait plus brûler de calories (c’est du « tout fait, vite consommé »).

C’est le sens qu’il faut retrouver, pour une meilleure gestion de notre alimentation, pour un autre regard sur notre poids.

9. Bibliographie

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- Rigaud Daniel. Anorexie, boulimie et autres troubles du comportement alimentaire. Ed. : « Les essentiels Milan », 2002 : 63 p.

- Rigaud Daniel. Anorexie, boulimie, compulsions. Ed : «Marabout », 2003 : 320 p.

Publié en 2008