Anorexie, boulimie, compulsions alimentaires : l'association peut vous aider à voir les choses Autrement

Anorexie mentale et boulimie
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Perte des règles, fécondité et troubles du comportement alimentaire


Pr Daniel RIGAUD - Nutrition (Dijon)

Il est bien connu que l’anorexie mentale s’accompagne d’une perte des règles. Nous nous apercevons régulièrement, à l’association, que les médecins et les familles ont des idées très simples et trop limitées concernant cet aspect de la maladie.

1. Comment ça marche ?

Les règles menstruelles témoignent d’un fonctionnement ovarien normal. Chaque mois, l’utérus fabrique un « nid » pour l’éventuel fœtus et chaque mois, elle le détruit, ce qui aboutit aux pertes que l’on voit. Les ovaires fabriquent les hormones sexuelles féminines : estrogène et progestérone notamment. Cette sécrétion est cyclique : plutôt les estrogènes en début de cycle et la progestérone en fin de cycle.

Ce fonctionnement cyclique est sous la dépendance d’une glande située à la base et au milieu du cerveau : l’hypophyse. Cette glande sécrète deux hormones qui « pilotent » la sécrétion d’estrogène et de progestérone. Sans cette sécrétion hypophysaire, point de sécrétion ovarienne.

La sécrétion cyclique de l’hypophyse est, à son tour, sous la dépendance de la sécrétion hypothalamique d’hormones qui la pilotent, comme par exemple le LH-RH.
Or, ce que nous avons appris depuis 15 ans, c’est que la sécrétion des hormones hypophysaires est sous la dépendance…. du tissu adipeux. Et oui : le tissu adipeux le plus performant à cet égard est le tissu adipeux « sexuel », c'est-à-dire celui qui est situé dans les zones contrôlées par les hormones sexuelles : celui du ventre, des seins, des fesses et des cuisses.

Pourquoi ? Parce que le tissu adipeux fabrique, lui aussi, une hormone, la leptine. Chaque cellule adipeuse (on appelle ces cellules des adipocytes) fabrique une petite quantité de leptine. Seul le tissu adipeux en fabrique. Toutes ces infimes quantités de leptine se regroupent dans le sang et font monter le niveau sanguin de leptine. A partir d’un certain niveau, la leptine entre dans le cerveau, juste en dessous de l’hypophyse. C’est cette leptine qui a pénétré et elle seule qui active les hormones hypothalamiques. Ensuite, le système s’enclenche : l’hypothalamus active l’hypophyse qui active les ovaires qui permettent la formation du tissu utérin. Et donc des règles.

Ceci nous a permis d’expliquer pourquoi les filles un peu enrobées ont en moyenne leurs règles plus précocement que les filles minces. Ceci explique aussi pourquoi les sportives minces ou maigres, comme les danseuses, les gymnastes et les coureuses de fond ont souvent des problèmes de règles.

2. Dans l’anorexie mentale, que se passe-t-il ?

La malade cherche à maigrir et à perdre sa « graisse ». Pour ce faire, elle réduit ses apports de matières grasses : elle ne mange plus ni beurre, ni margarine, ni aliments gras : plus de 90 % des malades anorexiques ont supprimé tous les aliments qui contiennent de la graisse.
A tord, elles pensent aussi que la viande fait grossir et diminuent les apports carnés, c'est-à-dire qu’elles se carencent en protéines. Or les hormones hypothalamiques et hypophysaires sont synthétisées à base de protéines.
La leptine baisse dans le sang, pour atteindre des niveaux à peine du dixième des concentrations normales. De ce fait, les hormones hypothalamiques ne sont plus activées. Elles n’activent donc plus les hormones hypophysaires, qui n’activent plus non plus les hormones ovariennes : les règles s’arrêtent.
Environ 92 à 95 % des malades anorexiques n’ont plus du tout de règles.

PS : il ne faut pas confondre pertes liées aux règles et hémorragies sous pilule contraceptive. Ces dernières ne sont pas des règles (du sang et du tissu utérin de nidation), mais des hémorragies (que du sang). En fait, si la malade anorexique arrête sa pilule, elle s’aperçoit qu’elle n’a pas ses règles.

3. Y a-t-il un lien entre poids et règles ?

 

 

Il existe un très fort lien. Les règles (disparition et ré-apparition) sont dépendantes quasi exclusivement de l’indice de masse corporelle (IMC) et, derrière lui, de la masse de tissu adipeux (qui est très fortement liée, sauf l’exception des sportifs) à l’IMC. Vous pouvez calculer votre IMC en cliquant ici.
Anorexie_regles_poids.png On voit dans la figure  que presque 100 % des malades anorexiques n’ont pas leurs règles si l’IMC est inférieur à 18-18,5 kg/m2. Seules 15 % des malades sont encore sans règles (aménorrhée) si l’IMC vient de passer 18,5 kg/m2. Et seules 6 % des malades qui ont gardé un IMC supérieur à 18,5 les 6 derniers mois et une alimentation normale restent en aménorrhée. Ceci veut dire que la perte de règles n’est que très rarement mentale.
Et dans la boulimie ?
Dans la boulimie, par définition, le poids (l’IMC) est normal. La masse de tissu adipeux est normale et donc, le plus souvent, il n’y a pas d’aménorrhée. En revanche, on observe assez souvent des troubles des règles : retard ou espacement anormal des règles, saignements trop longs ou trop importants. Les médecins s’accordent à dire que ce sont les désordres alimentaires (restriction forte aux repas, ou pas de repas) et les vomissements qui expliquent ces troubles des règles.

4.  Associés à ces troubles des règles, y a-t-il d’autres soucis de ce type ?

On oublie souvent que l’anorexie mentale est responsable de la plus grande et de la plus fréquente perte de fécondité de quasiment toutes les maladies chroniques. Une malade ayant un IMC inférieur à 17 kg/m2, perd presque 90 % de sa fécondité.

Les grossesses sont très rares et, le plus souvent, ne concernent que les malades qui ont un IMC limite, entre 17 et 18,5 kg/m2.
Ceci pourtant n’exclut pas une grossesse, lors des phases de rémission où le poids et l’IMC ont été proches de la normale. Et puis, il y a bien sûr, des personnes beaucoup plus fécondes que d’autres.

Malheureusement, il est fréquent d’observer, dans les rares cas de grossesse, des ennuis de santé autour de cette grossesse. Ceci ne concerne que les malades souffrant encore, durant leur grossesse, d’anorexie ou de boulimie (ou des deux). En d’autres termes, ça ne concerne pas les malades guéries. Si l’anorexie ou la boulimie perdurent pendant la grossesse, on peut observer, de deux à quatre fois plus souvent que dans la population féminine du même âge :

  • Accouchement prématuré
  • Retard de croissance et petit poids de naissance du bébé
  • Fatigue au décours de l’accouchement
  • Anémie et carences divers de la mère
  • État dépressif du postpartum (dans les 3 mois qui suivent la grossesse)
  • Problème d’allaitement divers : manque de lait, lait trop pauvre, difficulté et angoisse chez la mère et le nourrisson.

En revanche, il ne semble pas y avoir plus de problème de santé pour le bébé au moment de l’accouchement si la mère est anorexique ou si elle ne l’est pas.

Mais la perte de fécondité majeure que subissent ces malades n’est pas la seule complication en rapport avec le déficit hormonal. En effet, la perte de règles est associée à d’autres soucis de santé :

Avant tout et surtout, une ostéoporose. L’ostéoporose est une déminéralisation osseuse qui peut aboutir à des fractures sans chute ni choc. Une malade de 32 ans par exemple tombe de sa hauteur et se casse la hanche. Après 7-8 ans de maladie, presque 40 % des malades anorexiques sont ostéoporotiques. Après 10 ans d’anorexie, ce sont près de deux tiers des malades qui ont de l’ostéoporose. A nouveau, l’anorexie est la maladie qui donne le plus souvent et les plus sévères ostéoporoses. L’ostéoporose est plus fréquente en cas d’anorexie qu’après la ménopause. Le même phénomène touche les dents. On sait que c’est la durée de l’aménorrhée et le temps passé à un IMC inférieur à 18,5 kg/m2 qui sont les deux facteurs les plus importants (au demeurant, ils sont liés) de l’apparition d’une ostéoporose.

Le déficit en hormones sexuelles féminines altère la peau, les gencives, les ongles et les cheveux (qui deviennent secs et cassants). Là encore, la gravité des symptômes est fonction de la durée de l’aménorrhée.

Le déficit en hormones sexuelles féminines altère aussi le désir sexuel et le désir alimentaire, qui sont liés.
Le dysfonctionnement des vaisseaux sanguins est aussi à mettre en rapport avec la perte des sécrétions hormonales. C’est lui qui explique que les mains se boudinent, que la peau devient violette et sèche, que les muqueuses deviennent elles aussi sèches et rugueuses. Une des conséquences est le syndrome de « pseudo-Raynaud ». Au froid, les doigts deviennent violets puis blancs, puis douloureux. Trop souvent, ceci restera comme séquelle. Plus loin dans le temps, apparaissent des altérations vasculaires plus graves comme l’infarctus du myocarde : ce sont les hormones féminines qui protègent en effet les femmes de l’infarctus du myocarde).

Publié en 2012