Anorexie, boulimie, compulsions alimentaires : l'association peut vous aider à voir les choses Autrement

Anorexie mentale et boulimie
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Sommeil et troubles du comportement alimentaire


Pr D. RIGAUD - Président

1. Anorexie mentale, boulimie, compulsions et leur sommeil

Lorsqu’on pose la question à des malades souffrant de troubles du comportement alimentaire (TCA) « Avez-vous des troubles du sommeil ? » et qu’on leur propose comme choix de réponses une note de zéro à dix (zéro : « je dors très bien » et dix « je dors vraiment très mal »), on obtient les réponses suivantes :

Notes supérieures à 6
% malades
Boulimie
60 %
Anorexie restrictive
54 %
Anorexie boulimie
51 %
Compulsions
55 %

Ces résultats confirment des données rapportées par d’autres équipes médicales. On peut estimer qu’environ une malade sur deux au moins a des troubles du sommeil.

Mais peut-être faut-il faire un bref rappel du sommeil et de ses cycles, pour essayer de comprendre.

Il y a 4 phases qui se succèdent au cours de la nuit de sommeil des humains.

2. Sommeil : définition

Le sommeil est un état de perte de conscience où le cerveau ancestral gère seul toutes les fonctions de l’organisme. Contrairement au coma, il n’y a pas perte totale de conscience : il s’agit d’un état de conscience modifiée, où le sujet reste plutôt conscient de ce qui se passe autour de lui (il peut être réveillé par un bruit, une odeur, le toucher, la parole, ce qui n’est pas le cas s’il est dans le coma). Dans le sommeil, la personne est consciente, mais ne réagit pas ou très peu. Pendant le sommeil, la chose la plus évidente est la perte du tonus musculaire. Ici aussi, il ne s’agit pas d’une perte absolue (on voit de nettes différences de tonus musculaire entre un homme endormi et un homme dans le coma ou mort).

2.1. L’endormissement ou somnolence (stade 1)

C’est la 1ère phase. C’est une étape transition entre l'éveil et le sommeil, souvent précédée de bâillement. Cette phase est caractérisée par une réduction de la vigilance, du tonus musculaire et de la fréquence cardiaque. Les mouvements musculaires sont lents (les yeux "roulent"). La durée normale maximale de l’endormissement est de 20 min (un sujet normal s’endort le plus souvent en 10 à 15 min). Au-delà de 20 min, il s'agit d'une forme d’insomnie.

2.2. Sommeil léger (stade 2)

Le sommeil léger (ou stade 2) occupe environ 50 % du temps de sommeil total. Le sujet est assoupi, mais il est encore très sensible aux stimuli extérieurs. En sommeil de stade 2, environ 50 % des bons dormeurs et 80 % des mauvais dormeurs pensent ne pas dormir. On peut dormir et penser qu’on ne dort pas : c’est même fréquent et toute la difficulté est là : qu’est un « bon sommeil » ?

2.3. Sommeil profond (stade 3 et 4)

Le sommeil profond correspond aux phases 3 et 4. L'activité électrique cérébrale (électro-encéphalogramme) est constituée d'ondes lentes, qu’on appelle les ondes delta (< 3,5 Hz). Les fonctions vitales (respiration, fréquence cardiaque, métabolisme énergétique) se ralentissent fortement. Elles sont ainsi économisées, mais elles restent régulières. Au stade 3 on peut observer une très discrète activité musculaire, mais les mouvements oculaires ont quasiment disparu. C'est au stade 4, pense-t-on, qu'ont lieu de façon privilégiée certaines activités : synthèse de l’hormone de croissance, divisions cellulaires et renouvellement tissulaire, fabrication osseuse (ostéogénèse), redistribution des nutriments énergétiques d’organes à organes. C’est aussi pendant cette phase, pense-t-on, que le sujet classe ses données : ce qu’il a appris, ce qu’il va mettre dans sa mémoire durable et où il va le mettre (les informations sont classées à plusieurs endroits différents, ce qui nous permet de nous les rappeler de différentes façons). C’est alors enfin qu’il fait des associations (qu’il comprend le monde, qu’il a l’intuition de la manière dont il fonctionne). Le sommeil profond occupe environ 90-100 minutes (une heure et demie) au cours d'une nuit moyenne de sommeil. Ce stade de sommeil profond (3 et 4) a tendance à diminuer avec l'âge, au profit du stade 2. Le raccourcissement explique le raccourcissement de la durée totale de sommeil chez beaucoup de sujets âgés. Le sommeil profond est la phase la plus importante du sommeil. C’est au cours de cette phase que sont produites les fameuses ondes delta, caractéristiques de ce sommeil profond.

2.4. Sommeil paradoxal

Pendant cette phase, l'activité électrique du cerveau et des yeux (mouvements saccadés) est très importante, mais (et c’est pour ceci qu’elle est « paradoxale ») il existe une atonie musculaire (paralysie) quasi totale du reste du corps. Sur l'EEG, l'activité néocorticale est plus proche de celle de l'éveil que de celle du sommeil lent. La respiration est irrégulière ; le cœur accélère et ralentit par intermittence. Cette phase se répète toutes les 90 minutes environ, et sa durée s'allonge avec la succession des cycles du sommeil au cours de la nuit, pour devenir maximale en fin de nuit. Le sommeil paradoxal correspond environ à 20-25 % du temps total de sommeil. C'est la période propice aux rêves (et aux cauchemars), même si les rêves peuvent survenir pendant le sommeil lent.

Les enregistrements polygraphiques (EEG, EMG et EOG) ont permis de montrer une certaine corrélation entre le rêve et le sommeil paradoxal. Des études ont été faites en réveillant plusieurs individus à différents stades du sommeil. Elles ont montré que la qualité du souvenir de leur rêve est fonction du stade auquel ils sont réveillés : réveillé au cours de son sommeil paradoxal, on se souvient avec beaucoup plus de détails de son rêve, que quand le réveil est provoqué lors du sommeil lent, où on ne s’en souvient que de façon très floue, ou pas.
Les études ont également montré que les intensités des mouvements oculaires, de la fréquence cardiaque et l'intensité du rêve sont corrélées. Ces études ont conclu que 80 % des rêves se produisent pendant le sommeil paradoxal et seulement 20 % pendant le sommeil lent.

2.5. Succession des phases

Au cours d'une nuit de sommeil, les périodes de sommeil paradoxal s'allongent de plus en plus. Au contraire, les phases de sommeil lent profond (stades 3 et 4) se raccourcissent et disparaissent, au profit du stade 2. À la fin de chaque cycle, il existe, de façon tout à fait normale, des brefs réveils, en général moins de 3-4 minutes, dont la personne ne se souvient pas le matin. Cependant certaines personnes ne se souviennent que de ces éveils et croient à tort qu'« elles n'ont pas fermé l'œil de la nuit ». En vieillissant, les périodes de réveil sont mieux mémorisées, donnant l'impression d'un mauvais sommeil, alors que la durée de celui-ci est inchangée. Lorsque surviennent des réveils inopinés, le sujet doit repasser en sommeil 1, puis 2 puis 3 et 4.

Quelques réflexions

Le sujet peut en toute bonne foi penser ne pas dormir alors qu’il dort et est en phase 2. On voit bien qu’il y a deux aspects au sommeil : un aspect objectif (ce que les machines scientifiques mesurent) et un aspect subjectif (ce que le sujet ressent de son sommeil). Ainsi quelqu’un qui dormait 10 h et ne dort plus que 7 h peut en être perturbé voire anxieux, alors qu’il n’en souffre pas (n’est pas fatigué, ne dort pas plus dans la journée).
Entrer dans le sommeil est actif. Ce n’est pas un état passif, que l’on subit, mais une action de lâcher-prise. Une personne, pour s’endormir, doit « faire le vide » et « faire action de sommeil », pour entrer en phase de déconnexion (de perte de conscience). Il est bien évident que si son cerveau est excité par quelque chose, la personne ne pourra pas s’endormir : lorsqu’on a un travail urgent et important à rendre, ou un examen à passer, le cerveau est sollicité par le travail intellectuel à faire et ne valide pas l’endormissement. Il en est de même si on est perdu dans la jungle, avec une menace proche. On voit bien que l’angoisse est un déterminant de l’insomnie : l’angoisse répond à une excitation neuronale. Les neurones sollicités l’emportent sur le système qui pilote le sommeil.

Le sommeil est sous contrôle, ente autre, de la mélatonine. Or la mélatonine est fabriquée, au-delà de 18-19 h le soir, à partir de la sérotonine. Et la sérotonine, elle-même, fabriquée dans le cerveau, est synthétisée à partir du tryptophane. Le tryptophane est un acide aminé exclusivement apporté, dans l’alimentation, par les muscles animaux (la viande, le poisson) et le lait et laitages. Si nous ne le trouvons pas dans l’alimentation, le corps le prend à nos muscles à nous. En d’autres termes, pour bien dormir, il faut apporter le soir au dîner des protéines animales pour fabriquer de la mélatonine.

3. Caractéristiques du sommeil dans les troubles alimentaires

Les troubles du sommeil touchent au moins 50 % des malades. Mais, dans la population, ils ne sont pas rares.

Quels facteurs pourraient-ils jouer un rôle dans la genèse des troubles du sommeil des troubles alimentaires ?

Peu d’études scientifiques nous le disent. On ne peut qu’évoquer, sans trop de preuves :

  1. La perte de poids et la dénutrition : on sait que, chez l’animal, un poids maigre s’associe à des troubles du sommeil ;
  2. La restriction calorique (énergétique) : on sait que « qui dîne dort ». En effet, en cas de déficit calorique, le cerveau cherche à stimuler la personne à trouver à manger. Notre cerveau nous maintient en éveil pour ce faire ;
  3. L’anxiété : plus de 50 % des malades anorexiques et boulimiques sont anxieuses. L’anxiété est, au niveau cérébral, une excitation « sans but » des neurones. Le cerveau ne donne donc pas la permission de dormir, puisque les neurones sont occupés ailleurs ;
  4. Les TOC (troubles obsessionnels et compulsifs) : les pensées obsessionnelles correspondent à une hyperactivité cérébrale qui est préjudiciable à l’endormissement ;
  5. L’hyperactivité physique : contrairement à une idée reçue, faire du sport n’est pas synonyme de bon sommeil. Une activité physique modérée, oui, mais pas un excès d’activité. Il se pourrait que l’hyperactivité physique de l’anorexie (60 % des cas) et de la boulimie (45-50 % des cas) soit la cause de leurs troubles du sommeil ;
  6. La pensée de maîtrise et de contrôle : pour dormir, il faut lâcher prise, accepter de se perdre, de se laisser aller dans le sommeil. Comme nous le disions, c’est une démarche active. On fait « exprès » de s’endormir, ça ne vous vient pas tout seul ;
  7. La pensée négative : il est possible, mais non démontré, que la pensée négative qu’ont beaucoup de malades souffrant de TCA (« je ne vaux rien, rien ne marche, tout est nul… ») nuise à l’idée que se font les malades de leur sommeil, même si celui-ci n’est pas si perturbé ! En d’autres termes, le sommeil des malades souffrant de TCA ne serait pas plus perturbé que celui de bien des gens normaux, mais, elles (les malades) le vivraient plus mal.
  8. En revanche, l’état dépressif ne semble pas en cause. En effet, les études scientifiques sur "anorexie, état dépressif et TCA" n’ont pas mis en évidence de similitude entre les caractéristiques du sommeil des anorexiques ou boulimiques d’une part et des dépressives de l’autre.
  9. Les malades boulimiques et compulsives sont en situation de demande de crise alimentaire. Les crises sont volontiers vespérales ou nocturnes. Elles ont lieu très souvent après 18-19 h, voire au-delà de 22 h. la malade, « toute à sa crise », n’est pas prête pour le sommeil. Elle se tient éveillée, car son cerveau est obsédé par le besoin de faire la crise. Il refuse le sommeil. En revanche, sitôt la crise faite, la malade s’endort, épuisée. Mais le sommeil n’est pas de bonne qualité, dans la mesure où le cerveau est inquiet : il y a dans l’estomac beaucoup de nourriture et celle-ci risque de refluer vers la bouche et les poumons. Donc le sommeil profond n’est pas autorisé.

4. La guérison du trouble alimentaire s’accompagne-t-elle d’une amélioration des troubles du sommeil ?

Peu d’études scientifiques ont été faites. Le peu qui l’ont été vont dans ce sens. L’impression du clinicien qui travaille avec ces malades depuis plus de 30 ans va aussi dans ce sens. L’amélioration du TCA s’accompagne d’une amélioration des troubles du sommeil.

5. Conclusion

Les troubles du sommeil touchent au moins 50 % des malades souffrant de troubles du comportement alimentaire. Ils sont en rapport avec la dénutrition, la restriction alimentaire, notamment au dîner, l’anxiété, la peur de lâcher prise, le besoin vital de manger pour se nourrir, la peur et la pulsion de faire une crise alimentaire.
En règle, les malades qui guérissent améliorent très significativement leurs troubles du sommeil.

Publié en 2011