Anorexie, boulimie, compulsions alimentaires : l'association peut vous aider à voir les choses Autrement

Anorexie mentale et boulimie
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Le traitement : comment l'accepter ?


Pr D. RIGAUD, Président d'Autrement

1. Anorexie mentale et boulimie

A priori il peut sembler naturel à beaucoup de gens de suivre son traitement médical. A première vue en effet tout est simple : le malade se plaint de symptômes en rapport avec une maladie, il va consulter un médecin pour trouver une solution et ce dernier lui prescrit le traitement approprié, traitement qui s’avère être efficace.
En fait, tout est toujours un peu plus compliqué. Voyons, élément par élément, différentes réponses à ce qui précède :

1.1. Le traitement est efficace

En fait, un traitement médical n’est jamais toujours et totalement efficace. Par exemple, dans les compulsions alimentaires ou dans la boulimie, les médicaments contre l’angoisse que génèrent les crises sont réellement efficaces sur l’anxiété (ils sont anxiolytiques) mais curieusement pas sur les crises. Ceci peut paraître curieux quand on sait que beaucoup de malades identifient l’anxiété et le stress comme premier moteur de leurs crises. Donc si l’anxiété génère leurs crises, on se demande bien pourquoi un traitement efficace contre l’anxiété ne réduit pas le nombre de crises !

Un 2ème exemple est celui des médicaments antidépresseurs sérotoninergiques. On sait qu’ils sont efficaces sur les crises de boulimie chez un malade sur deux et qu’ils sont par ailleurs nettement antidépresseurs. Or beaucoup de malades estiment que les crises de boulimie sont secondaires à un état dépressif. Pourtant, ces médicaments antidépresseurs sérotoninergiques eux sont efficaces que sur un malade sur deux. De plus, très curieusement, leur efficacité sur les crises de boulimie paraît indépendante de leur efficacité antidépressive.

1.2. Le médecin prescrit un traitement approprié

Mais il arrive que le traitement soit approprié pour le médecin et pas pour le malade. L’exemple en est dans les troubles du comportement alimentaire. Le traitement de la dénutrition de l’anorexie mentale. La nutrition entérale par sonde gastrique et les compléments alimentaires ont fait la preuve qu’ils corrigeaient efficacement la dénutrition, augmentaient la masse musculaire et permettaient la régénération du foie, des reins et du cerveau. C’est donc un traitement médical approprié. Mais alors, pourquoi les malades ne le suive t’ils pas ?

C’est sans doute qu’ils n’arrivent pas à le faire « leur » : « approprié » veut dire qu’on se l’attribue en propre. Mais dans une maladie qui a capturé « le moi », il n’est pas facile d’admettre que ce traitement, justement, est pour son bien. Une réflexion mérite ici d’être faite : il est rare que les malades qui souffrent d’anorexie mentale ne prennent pas les vitamines qui leurs sont prescrites ou le traitement contre la perte de leur règle (aménorrhée). En revanche, comme c’est le cas pour la nutrition par sonde, les malades ont bien des difficultés à prendre les médicaments antidépresseurs ou anxiolytiques. La raison en est sans doute que ces trois traitements leur donnent l’impression de perdre le contrôle.

1.3. Le malade vient chercher une solution

En fait, dans bien des maladies et dans le cas des troubles du comportement alimentaire, le malade ne consulte pas forcément le médecin pour trouver une solution. Alors pourquoi donc vient-il ? Il y a plusieurs réponses possibles. On peut venir parce qu’on l’y a contraint. Il peut consulter pour faire plaisir à un proche, parce qu’il se sent obligé. Il peut prendre rendez-vous parce qu’il veut pouvoir se dire qu’il à tout fait pour se soigner et n’a donc rien à se reprocher. Il s’adresse au médecin, mais ce n’est en fait qu’une partie de lui-même qui est venu consulter.

1.4. Le malade se plaint de symptômes

Il est très clair que le malade qui souffre de compulsions alimentaires ou de boulimie se plaint de symptômes, il souffre, se sent mal, se sent anxieux et dépressif, se plaint de maux de gorge… pour le malade atteint d’anorexie mentale, la souffrance est plus masquée : la malade la refuse, la nie, la néglige, voire même s’en sert comme relation particulière à son être intérieur : « je souffre, donc je suis ! ». Il y a chez l’anorexique donc sans doute une plainte qu’elle va exposer au médecin, mais un besoin mal compris de témoigner de cette souffrance plutôt que de s’en alléger (sans jeu de mots !). La malade anorexique a en effet pris pour objet son propre corps en souffrance et en fait le sujet de sa dissertation sur la vacuité de son existence.

2. Les troubles du comportement alimentaire, faute de soins

Si un certain nombre de malades hésitent à se soigner, si un certain nombre d’autre abandonnent le traitement sitôt qu’ils l’ont commencé, si beaucoup enfin n’arrivent pas à poursuivre leurs efforts c’est bien qu’il y a à ceci des raisons fortes :

  • La première est sans conteste que le traitement met en faute le malade. Il lui donne l’impression d’avoir mal agi, puisque c’est lui au fond qui était l’initiateur, souvent, du régime qui a conduit à l’anorexie mentale ou à la boulimie.
  • La malade se sent également en faute parce qu’il n’a pas su réagir à tant.
  • Il se sent enfin coupable d’être double : cette pensée anorexique qui l’emplit, cette personne qui doute que guérir soit possible.

Mais les troubles du comportement alimentaire mettent aussi en faute le raisonnement. La pensée est dysfonctionnelle et la peur de grossir voit mille et une calories la où il n’y en a que dix.
Mais la faute la plus énorme ! est sans conteste que le traitement lui-même n’en est pas un. Il pêche justement par là où le mal s’est infiltré : il faudrait grossir et c’est à l’alimentation qu’il faut recourir alors que tout y est poison.

2.1. Il ne s’agit pas là de médicament, de pilule, mais de nutriments, de calories, de lipides…

Faute de confiance en lui, le malade doute qu’il lui soit possible de guérir, qu’il lui soit même possible de supporter le traitement. C’est trop dur et il n’en sera pas capable.
Il en sera incapable et on le jugera pour ceci. Avec les troubles du comportement alimentaire, bien souvent vient la méfiance à l’égard d’autrui. Et le médecin est justement cet autrui qui vous pousse par son traitement à perdre ce qui faisait justement le peu d’estime qu’il avait en lui. C’était le régime hypocalorique, c’était l’amaigrissement, c’était descendre toujours plus bas, qui lui avait donné cet estime en lui, cette confiance … il n’en espérait pas tant et voici que le médecin veut le lui arracher.

Mais pourquoi donc est-elle venue consulter, cette malade aux yeux fous, porteuse de ce corps décharné, de cette silhouette si peu féminine, et de cette pensée si anorexique ? Elle l’ignore elle même au fond, cette malade que ronge au fond l’anorexie mentale : mais ce qu’elle sait bien c’est que ce médecin inconnu doit très vite entrer dans sa sphère affective, l’aimer comme personne avant. Et c’est peut être ça qui lui fait peur au fond, qu’elle s’attache et qu’il s’attache, si elle suit scrupuleusement le traitement. Autant tout foutre par terre.

La malade qui souffre de boulimie ou de compulsions alimentaires, elle, n’en est plus là. Elle ne croit plus vraiment qu’elle puisse retourner à l’anorexie et à maigrir, même si elle l’espère encore. Elle croit seulement que ça va être dur de suivre le traitement, qu’elle a bien besoin de ses crises alimentaires pour gérer ses émotions, qu’elle est incapable de rien, a fortiori donc de guérir et de vivre sans son trouble.

Un dernier élément peut être est qu’au fil des mois passés au plus profond du trouble du comportement alimentaire la malade finit par se persuader qu’on ne peut l’aimer et s’intéresser à elle que si justement elle est malade. Sans s’en rendre compte, elle se murmure qu’a défaut de passion, elle ne vaut bien que cette compassion qu’elle inspire.

3. Mais si, on peut se soigner et guérir

Première règle : les deux tiers des malades guérissent et il faut le croire. Qu’on souffre d’anorexie mentale, de boulimie ou de compulsions alimentaires, la guérison est bien là, au bout du chemin, calme et sereine.

Deuxième règle : se dire que la compassion, c’est nul, et que la guérison vous apportera la passion. La passion de l’autre, la passion pour l’autre, la passion pour tout ce que le trouble alimentaire avait brisé : le coup d’aile d’un papillon, le chant éclatant d’un rossignol, le ronronnement du chat près de l’âtre et le baiser tendre de vos proches.

Troisième règle : j’ai un sexe et j’entends m’en servir. Utiliser ce capital de séduction, utiliser ce corps redevenu féminin (ou masculin) pour accrocher l’autre dans la réalité et lui donner tout l’amour que j’ai tapi, ici, maintenant, au fond de moi.

Quatrième règle : adulte je suis, adulte je me fais. Je ne suis plus cette petite fille qu’on câline et qu’on protège. D’ailleurs, je n’ai plus l’âge à ça, je n’ai plus l’envie non plus car au fond je suis bien trop fière.

Cinquième règle : je combats les pensées dysfonctionnelles partout où elles se trouvent : dans le moindre gramme de beurre, dans le moindre kilomètre de course parcouru, dans cette pulsion alimentaire qui prétendument me soulage. Non, ce que je mange ne me fait pas grossir, il chasse l’anorexie. Non la graisse ne boudine pas mes cuisses, elle me fabrique les bonnes hormones féminines. Non la course ne donne pas de muscles à l’anorexique, elle la rend ridicule et l’isole. Non ma maladie ne me rend pas intéressante, elle me rend vide, insignifiante, creuse, sans âme.

Sixième règle : je ne me trompe pas de cible. Non, le médecin n’est pas contre vous, non, ma mère et mon père ne comprennent pas mieux que moi ce trouble alimentaire qui me bouffe, non, le silence de mes collègues de bureau ou de classe n’est pas synonyme d’acquiescement mais de peur de ne pas savoir quoi dire, de frayeur mal dissimulée et d’indifférence mal tempérée.

Septième règle : je peux avoir confiance et je lâche prise. D’abord parce que des tas de malades l’ont fait avant moi et qu’ils ont réussi, que leur trouble du comportement alimentaire n’est plus qu’un lointain souvenir dont ils peuvent rire parfois.

Huitième règle : je n’y comprends rien, mais ce n’est pas grave. Personne n’y comprends rien, pas même le Pr Rigaud, pas même les psychiatres, pas encore les neurobiologistes, ni les généticiens. Alors il me faut absolument penser que c’est normal que mon père et ma mère n’y comprennent rien, que mon petit ami ou mon mari soit tantôt désespéré, tantôt exaspéré. Ce qui est rassurant, c’est que dix ans après la guérison, je n’aurais moi même rien compris. Ce doit être une excellente raison pour en sortir.

Neuvième règle : j’accepte de me perdre pour me retrouver. La maladie a tissé au fond et autour de moi une toile impénétrable qui m’a donné, il fut un temps, l’impression d’une seconde personnalité. Or, j’avais le sentiment de n’en avoir pas. Mais là encore je me trompe, j’en avais une et l’anorexie ou la boulimie me l’ont ôtée. Le plus difficile est de lâcher prise pour trouver d’autres marques, mais c’est possible. Après tout, en escalade, il faut bien lâcher prise puis en lâcher une autre pour grimper.

Dixième règle : je rechute, mais je persévère. La rechute n’est pas la mort, elle est la règle. Certains malades rechutent même plusieurs fois. Mais une rechute ca n’est pas grave : c’est souvent sur ses échecs que l’homme inscrit dans le marbre ses plus belles victoires. Bien souvent, ce sont les échecs qui nous font avancés et comprendre certaines choses qu’on avait laissé de coté.

Publié en 2011